Tik Tok ▬ feat Akashi Ellyot

Je termine de taper les dernières lettres de mon discours, masse ma nuque en soupirant, exténuée. J’ai le sentiment que je vais devoir encore allonger mes heures supplémentaires pendant des semaines avant que ce drame ne soit de l’histoire ancienne. Vous y croyez-vous ? Des Chasseurs rentrent dans un donjon en le pensant de rang C et finalement, ils se retrouvent piéger dans un cauchemar et finissent par se faire massacrer. Pou être franche, nous avons eu du mal à identifier les victimes vu l’état des cadavres… Enfin, je suis loin d’être choquée par pareil spectacle et j’ai fais largement pire. Quoi qu’il en soit, c’est à la guilde des Chasseurs d’expliquer la situation et le caractère exceptionnel de la situation afin que tous continuent d’offrir leur cœur en luttant contre les donjons.

Je soupire une énième fois, craque mes articulations, retire mes lunettes et me lève de ma chaise. J’ai largement dépassé mon quota d’heure pour la journée, j’ai besoin d’un verre. L’avantage de travailler dans Tokyo ? Avoir tout à portée selon mes désirs et ça, dans un minimum de temps. Et putain, j’ai hâte de retirer cette saloperie de perruque de merde. Ça fait maintenant des années que je porte de déguisement de la bureaucrate parfaite, droite et respectueuse et j’avoue avoir parfois envie de laissé tomber cette image pour prendre mes armes et les saigner tous comme des porcs. Mais bon, soyons francs deux minutes, je me ferais probablement atomiser avant d’avoir bougé le petit doigt. Enfin, si j’arrive à buter cette connasse à côté de mon bureau avec sa saloperie de k-pop qu’elle fredonne à longueur de journée… ouais, ça en voudrait le coup.

Souriant en imaginant la peur qui s’afficherait sur son visage dans pareille situation, je mets ma veste, ferme mon bureau à clefs et descendant les étages afin d’affronter l’air glacial de la soirée. De la buée s’échappe de ma bouche lorsque je soupire en voyant l’heure tardive sur ma montre, il est déjà si tard ? Je pourrais trouver rapidement un bar dans le quartier des affaires mais je serais obligée de garder mon déguisement, ce qui est hors de question, j’ai besoin de respirer. Attrapant mon téléphone, je commande un Uber en direction du quartier animé, Ikebukuro fera largement l’affaire et j’ai hâte de me poser.

Putain, pourquoi les chauffeurs se sentent toujours obligés de parler ? Une obsession pour combler le silence ? Trop idiot pour se rendre compte quand le client ne souhaite pas parler ? Le laissant parler dans le vide, je profite de la pénombre de la voiture pour retirer ma perruque, mes lentilles et tout ce qui constitue ce rôle que j’incarne en journée.

Une fois arrivée, je sors de la voiture et me promet de ne lui mettre aucune étoile. Quoi ? Il me les a royalement brisés et ça fait trop longtemps que je n’ai pas pu traquer lors d’un donjon, j’ai besoin d’action. Laissez-moi ma mesquinerie, elle comble ces journées trop calmes. Je soupire et laisse mon regard vagabonder sur les enseignes et glousse en voyant mon futur repaire. Second Luck, hein ? Un signe du destin ? Quoi qu’il en soit, c’est parfait.

D’une démarche assurée, je me dirige vers le bâtiment et respire les effluves d’alcool lorsque j’ouvre la porte. Surprise, je reste un moment sur le seuil, prenant mon temps pour fixer ce qui semblerait au final être plus un « pub » qu’un bar japonais habituel. L’ambiance festive et la lumière tamisée détend immédiatement mes nerfs et je m’approche du comptoir afin de passer ma commande.

-« S’il vous plait ? Je souhaiterais un verre de whisky. Double, avec glaçon. » Demandais-je au barman avant de faire le repérage de la salle, notant les entrées, sorties et caméras.

Avais-je l’espoir naïf de passer une soirée tranquille ?

Je soupire en voyant deux types s’approcher de moi d’une démarche de macaque, semblant vouloir me dire : « J’vais t’montrer c’que c’est un mec. » M’ouais… ce qui est certain, c’est qu’avec ses couilles arrachées il fera nettement moins le mâle alpha. Sans même me demander mon avis, ils s’assoient chacun d’un côté et me hèlent, m’envoyant par la même occasion l’odeur nauséabonde de leur haleine, un parfait mélange de bière grasse. Putain, je vais les buter.

-« Bah alors ma jolie, tu fais quoi ici toute seule ? T’es pas une habitée toi, hein ? T’es trop chic pour ce coin. Nous non plus hein… d’habitu- » Déclara le premier connard en glissant sa main sur ma jambe.

-« Est-ce que j’ai l’air de m’en foutre enculé ? Dégage avant que je t’arrache. » Répondis-je d’une voix énervée en le coupant avant de prendre sa main dégueulasse et lui tordre pour la reposer sur le comptoir.

Un coup d’œil m’apprend que ma tirade à eu l’effet voulu. Un rictus de rage, le visage cramoisi, on pourrait presque voir la bave apparaitre, une parfaite illustration du potentiel masculin. De sa main libre, il essaye de m’attraper le bras mais j’anticipe son geste, ce n’est qu’un faible humain. Tout en dosant ma vitesse, j’attrape un pic à glace et le plante dans sa main restée sur le comptoir.

Son cri résonne un long moment et je m’apprête à me retourner pour me défendre face à son ami lorsqu’un rouquin s’approche, les épaules carrées et le regard énervé. Fuck. Encore un bipède à éduquer ou bien est-ce un bon samaritain venu pour m’aider ?

Un bon samaritain, donc. Tant mieux, j’aurais détesté devoir refaire le portrait de ce rouquin. Rien que d’imaginer mes mains se posant sur l’autre déchet… où est mon gel désinfectant ? D’ailleurs, s’il pouvait arrêter de beugler comme un porc qu’on égorge, il commence à me taper sur le système, ce n’est qu’un trou dans sa main ! Quoi ? Croyez-le ou non, il existe bien pire comme douleur.

Prenant la situation en main, le nouvel arrivant maitrise le deuxième énergumène, retire le pic à glace et projette les deux déchets comme s’ils ne pesaient rien. Mon regard se porte sur ce « sauveur » et mon instinct me dicte de me méfier, ressentant une sensation de danger. Serait-il un chasseur ? Aucune idée, rien ne le laisse penser mais, depuis toutes ces années, j’ai toujours fait confiance à mon jugement. Un gloussement s’échappe de mes lèvres lorsqu’ils les jettent en dehors du bar.

-« Une bonne chose de faite, les poubelles qui trainent donnent souvent une mauvaise image. » Déclarais-je en soupirant mon verre renversé, super. Levant la main, j’intercepte le barman. « La même que précédemment, ces deux singes m’ont renversé mon verre. » Demandais-je en râlant.

Une fois servie, je porte l’alcool à mes lèvres et masse mes épaules, m’enfonçant dans le fauteuil de ma chaise. Enfin, je peux enfin me relaxer après toutes ces heures de travail. Non mais bordel, c’est quoi leur délire à ces bridés sans déconner ? Sous prétexte qu’ils travaillent comme des esclaves, tout le monde devrait faire pareil ? Je suis crevée et la pensée de la traque à venir dans quelques jours me fait soupirer intérieur, j’ai besoin de vacance. Du repos, un coin désert sans aucun être humain dans les environs et surtout, du silence. Mais bon, autant rêver !

-« Alors, c’est votre job de venir au secours des demoiselles en détresse ? C’est une technique comme une autre pour se faire payer un verre, après tout. » Déclarais-je en me tournant légèrement vers cet inconnu. « A moins, que ce soit une forme de remerciement qui vous intéresse ? » Repris-je en souriant avant de boire une gorgée de whisky. « Vous travaillez ici, je suppose ? Ça vous arrive souvent de devoir gérer des connards dans ce genre ? » Demandais-je, curieuse de savoir si je pouvais venir de temps en temps lorsque j’avais envie de tuer.

Un contrat est un job, je l’exécute, peu importe l’âge ou le sexe. Mais en dehors du travail, je préfère sélectionner mes victimes en fonction de leurs crimes. Sachez que châtier les ordures est un passe-temps comme les autres ! Alors oui, je ne me fais pas d’illusion, je sais qu’un jour mon tour viendra. Mais pour le moment, je compte bien profiter un maximum !

Mon sourcil se hausse en entendant la réponse bien trop sérieuse de cet inconnu. Laissé ses verres à son patron ? Un crime qui ne saurait rester impuni ! Je laisse un sourire s’afficher sur mon visage et penche la tête sur le côté, curieuse.

-« Vraiment ? J’ai toujours pensé que les individus cherchaient toujours un profit derrière leurs actions. Le votre serait donc aussi désintéressé que ça ? D’habitude je ne vais jamais dans ce quartier de Tokyo pour me détendre, préférant celui des affaires. » Déclarais-je avant de me redresser et boire une gorgée de whisky. « Et ça fait longtemps que vous faites ce métier ? Pour ma part je ne sais pas si j’assumerais de devoir me coltiner des types torchés à longueur de soirée, vous devez avoir une sacrée patience. » Terminais-je en croisant mes jambes et finalement rigoler en l’entendant me proposer ce job.

-« Houla non, je n’ai clairement pas votre patience ! Je pense que le premier à me regarder de travers finirait avec mon talon enfoncé dans sa gorge. » Répondis-je avant de froncer légèrement les sourcils en me rendant compte du mordant de ma phrase. « Enfin, façon de dire, bien sûr, pas certaine qu’une femme comme moi sache se sortir de toutes les situations, les gros muscles aident pas mal. » Repris-je en souriant avant de rigoler une énième fois. « Une manière de se défouler ? Oui, on peut dire ça comme ça. Je déteste qu’on empiète sur mon espace vitale sans mon autorisation et malheureusement ce genre de… cas, ne comprennent pas la subtilité ou ne veulent pas la comprendre. Quoi de mieux qu’un trou dans la main pour se rappeler l’ordre de la chaine alimentaire ? » Terminais-je avec un sourire légèrement sanguinaire.

Oh, comme j’aimerais le retrouver. Traquer ce porc, lui insuffler la peur de se savoir suivre sans réussir à me débusquer dans les ténèbres de la nuit. Ressentir sa panique lorsque je ferais intentionnellement en me rapprochant pour finalement l’attraper entre mes griffes. Je prendrais alors mon temps pour jouir de sa souffrance, de ses cris et de son désespoir. Ces déchets échappent bien trop souvent aux forces de l’ordre. Inutile donc de vous préciser que je n’ai aucune pitié envers eux et que je prends un plaisir sans nom à les faire payer jusqu’à leur dernier souffle.

Pique d’adrénaline afin qu’ils restent éveillés, douleurs diverses et variées, castration, tout y passe. Un peu comme une journée shopping lorsqu’on ne sait pas quoi choisir et qu’on passe des heures à faire les rayons, vous voyez le genre ?

La voix de mon interlocuteur me sort de mes pensées et c’est avec un plaisir non dissimulé que je lui réponds avec ma langue natale.

-« Oh ! Vous êtes français ? C’est mon accent qui m’a trompé, n’est-ce pas ? J’ai souvent croisé des anglais mais la France se fait rare sur le sol nippon. Vous venez de quel coin ? » Demandais-je, curieuse avant de faire signe au barman. « La même chose pour nous deux, c’est moi qui invite. » Déclarais-je en japonais avant de répondre au rouquin en français. « Oh, rien de bien passionnant, je travail dans l’expertise comptable. D’où ma présence en ces lieux pour me relaxer. » Mentis-je avec aplomb.

Ben quoi ? Vous me voyez vraiment déclarer faire partie des Faucheurs ? Ou bien cramer ma couverture ? No way, pas même pour un beau gosse samaritain.

Intéressant, ce type l’est. Est-ce une coïncidence de retrouver un individu qui parle la même langue que moi dans ce pays ? Est-ce un coup monté pour me faire baisser ma garde et m’arrêter, voir pire ? Non, peu probable, je n’ai laissé aucune trace pouvant lier mes deux vies. Amusant comme le hasard peut parfois vous surprendre. Amusée, je bois une gorgée de mon verre avant de lui répondre en souriant.

-« Belges hein ? Il va falloir attention à ce que je ne vous qualifie pas de français dans ce cas, j’ai souvent entendu parler de votre aversion pour cette comparaison. » Déclarais-je avant d’ouvrir les yeux en grand avant de me tourner vers le barman. « Hey, dîtes, vous avez des pommes de terre dans votre bar ? Je vous donne un pourboire énorme si vous l’autorisez à m’en faire. J’ai toujours rêvé de gouter de vraies frites. » Repris-je, excitée au possible de pouvoir enfin en manger.

Le point faible de la tueuse en série Belladone ? Son ventre. Et d’autres choses, mais je ne vais pas vous faciliter la tache en tout vous listant, voyons. Amusée, je continue de fixer mon interlocuteur et un hausse un sourcil.

-« Alors ? Vous relevez le défi ? » Demandais-je, joueuse en tournant mon doigt sur les rebords de mon verre, attendant sa réponse. Silencieuse, je l’écoute me parler de son expérience en temps qu’étranger et soupire. « Ouais, je vois. De mon côté ça a été quelque peu différent… Dans le monde d’aujourd’hui, les femmes doivent faire doublement leur preuve alors imaginez une caucasienne. Devoir rassurer votre patron sur le fait que, non, vous n’êtes pas une faignante, vous imaginez ça ? Enfin, je sais qu’il y a pire, j’en ai parfaitement conscience mais parfois… hm, oui parfois ils mériteraient des pics à glace. Et pas forcement dans la main. » Répondis-je, hargneuse avant de lâcher un bref rire.

-« Oui, ça peut surprendre… » Lâchais-je avant de répondre sérieusement pour la première fois de la soirée. « Mais, la vie nous force à aiguiser nos crocs si on ne veut pas se retrouver dévoré. Être une victime ? Très peu pour moi, je préfère donner les coups que les accepter. Même si parfois j’ai tendance à les t- enfin, disons que j’en fais parfois un peu trop. » Répondis-je en fixant la couleur ambrée de l’alcool.

Comment déclarer dans une discussion que parfois il m’arrive de sentir la rage couler dans mon sang et que la seule solution est d’entendre les cris résonner et voir le sang couler. Le type de tout à l’heure ? J’ai retenu son visage et compte bien régler mes comptes avec. Perdue dans mes pensées et mes souvenirs, je soupire avant de relever mon visage vers mon interlocuteur avec un sourire légèrement mélancolique.

-« Pas de soucis, c’est normal de prendre soin de sa famille, je suppose. Elle à quel âge ? Probablement celui de vous faire tourner en bourrique ? Et vos parents doivent servir d’intermédiaire entre vous deux je suppose ? » Demandais-je en continuant de jouer à tracer les rebords de mon verre avec mon doigt.  

Je l’écoute parler, me raconter ses souvenirs et laisse sa douleur m’imprégner. Celle-ci flotte à travers la pièce, alourdissant l’air et sa détresse me fait soupirer tout en me comprimant ce qu’il me reste de cœur. J’aimerais pouvoir lui apporter du réconfort afin de chasser la tristesse de ses prunelles et réussir à détendre son visage crispé par les souvenirs. Mais, je reste Belladone, une tueuse qui analyse froidement les situations afin de tout compartimenter pour ne pas me faire noyer par mes propres émotions. Je prends une gorgée de mon verre avant de fixer la couleur dorée de l’alcool.

-« C’est triste, oui. La mort frappe souvent lorsqu’on s’y attend le moins. Vient ensuite les questionnements habituels afin de pouvoir se reprocher des faits, comme si se sentir coupable pouvait aider à atténuer la douleur de la perte. Mais au final… la mort n’attend pas pour frapper et se fiches des actes ou des réflexions. Quand elle frappe, c’est brusque et définitif. » Déclarais-je doucement avant de crisper ma main autour de mon verre.

L’abus de violence, voilà mon credo afin de sélectionner mes cibles. Oh, n’allez pas croire que je n’ai jamais tué d’innocent, ce serait un mensonge. La différence, c’est l’absence de plaisir. Alors que faire hurler une ordure en appliquant ma propre version de la justice ? Un réel délice. Peut-être que cette distinction pèsera dans la balance quand viendra mon tour… ou pas.

Quoi qu’il en soit, lorsque je fixe mon regard ambré sur cet inconnu, je refuse de croire qu’effacer ces enfoirés de la surface de la terre soit une mauvaise chose. Ces merdes usent de leur pouvoir, de leur force et de leurs avantages sans même se soucier des dégâts qu’ils peuvent causer. Et lorsque la victime réplique, voilà le résultat : un homme hanté qui ne fera probablement jamais le deuil de cet acte.

Doucement, je me relève et m’assoit sur la chaise voisine à la sienne avant de jouer avec le rebord de mon verre afin de me concentrer sur mes pensées.

-« Est-ce que tu as fais le bon ou le mauvais choix ? Était-ce une erreur de céder à cette pulsion et cette rage qui t’a animé ? Je ne pourrais pas t’apporter de réponse sur le sujet. Néanmoins, sache que les punitions pour ce genre d’actes sont rares, longues et pénibles. Tu avais une famille à protéger, tu as agi en conséquence sans te soucier des paramètres moraux. » Déclarais-je doucement en continuant machinalement mes gestes sur mon verre. « Pour ma part, je pense qu’il t’a fallu une force insoupçonnée pour agir et ne pas rester simple spectateur, ça ne veut pas dire que tu es un monstre si c’est la question que tu te poses, ni une mauvaise personne. Tu es juste humain. » Repris-je dans un souffle avant de me sentir complètement idiote.

Non mais, c’était quoi cette psychologie à deux balles ? Comme-ci j’y connais quelque chose dans les remords ou en famille. Quelle blague de vouloir apporter du réconfort alors que je brille lorsqu’il s’agit d’infliger la douleur. Et ouais Bella, triste constat mais on ne s’endurcit pas comme tu l’as fait sans perdre une partie de soi-même.

Ses paroles me font rire et je retire ma veste avant de m’adosser contre ma chaise.

-« Déjà, lorsqu’on raconte ce genre d’histoires, je pense que le « tu » devient une nécessité, ça ferait un peu cringe sinon tu crois pas ? » Déclarais-je en souriant avant de rétrécir mes yeux face à sa légère provocation. « Et bien… si la saveur en vaut la peine, pourquoi vouloir s’en passer ? » Répondis-je en souriant en coin.

C’est donc ça, ce qu’on appelle une soirée « chill » ? Oh, n’allez pas croire que je sois une vieille fille qui passe ses soirées, seule, accompagnée de ses chats, loin de là. Je n’ai aucun animal de compagnie. Quoi qu’il en soit, je me surprends à être décontractée et souriante, sans que ce soit forcé ou pour ma couverture de bureaucrate.

La détresse de mon interlocuteur semble se calmer pour se transformer en une amère tristesse. A mon avis, je sais que je ne peux rien faire de plus pour lui, il devra probablement apprendre à vivre avec jusqu’à ce qu’il arrive à accepter et se pardonner.

Je termine mon verre de whisky et le fixe du regard pendant qu’il retire sa veste, appréciant sa plastique au passage, avant de se diriger vers la cuisine. Détestant l’inactivité, je porte mon regard vers le patron du bar et lui glisse mon verre.

-« Vous pouvez m’en resservir un ? » Demandais-je avant de me lever de ma chaise pour me diriger vers le jukebox, peu désireuse de simplement attendre le retour de mon maitre cuistot de la soirée.

La musique remplit le bar et j’en profite pour me glisser sur la piste de danse improvisée pour laisser la musique envouter mon corps, mes mouvements et mon âme. S’il y a bien quelque chose qui n’a jamais changé, c’est ça. Le fait de pouvoir ressentir la musique jusque dans la moindre parcelle de mon corps et me fondre dans son rythme.

Les musiques s’enchainent pendant une bonne vingtaine de minute et un mince filet de transpiration recouvre mon corps à cause de la chaleur et de l’adrénaline. J’esquive les mains baladeuses, ignore les regards affamés et me contente de rester dans ma bulle, loin de ce monde brisé, bien décidée à savourer cette soirée comme n’importe quelle personne normale.

Le rouquin me coupe dans mes mouvements et je quitte la danse d’un pas léger afin de retrouver ma place sur ma chaise.

-« Putain, ça sent beaucoup trop bon ! » Déclarais-je avant de choper une frite et souffler dessus comme une demeurée, trop pressée pour attendre, quitte à me brûler. « Des choses gênantes hein ? Aurais-tu des choses à confesser monsieur ? » Répondis-je en rigolant avant de croquer dans la frite, me brulant atrocement au passage. « Bordel, c’est super chaud mais c’est super bon ! » Déclarais-je, sincère avant de lever un sourcil, la frite coincée entre mes dents.

Lentement, je termine de la mâcher et suce le gras sur mes doigts en lui souriant en coin.

-« Pour sûr, le défi est réussi. Aucun doute là-dessus… Quant au fait de revenir, je ne voudrais pas perturber tes soirées ainsi que ton travail à chaque fois que je reviens ? » Mentis-je en haussant les épaules tout en continuant de le fixer en souriant. « Et puis, loin de moi l'idée de monopoliser toute l’attention d’un salarié s’occupant simplement des clients. » Terminais-je avant de continuer de piocher dans les frites.

Parce que oui, ce moment volé est bien trop rare dans ma vie mais je n’ai aucune putain d’idée comment font les gens normaux pour… avoir des liens ?

Funfact les gens, Belladone est fucked up.

J’écoute mon interlocuteur et lâche un bref rire sincère en entendant ses anecdotes. L’imaginer dans ces situations m’amuse, aussi, j’en profite pour partager certaines de mes expériences. Je sais que je prends un risque et en temps normal j’aurais exclu cette idée mais… et puis merde.

-« Ahaha, ça devait être marrant à voir effectivement. Je n’ai pas d’histoires croustillante de ce genre à raconter mais, mon adaptation à été aussi mouvementée. C’est simple, je venais d’arriver au Japon et je me suis retrouvée avec un cafard de la taille de mes mains. Je sortais tout juste de la douche et… j’ai paniqué. J’ai hurlé et je suis sortis de mon appartement avec une serviette pour seule protection. Mon voisin m’a rappelé ce souvenir jusqu’à ce que j’ai assez pour déménager. » Racontais-je en souriant avant de terminer mon verre et faire signe au barman. « Ce serait possible d’avoir d’un grand verre d’eau ? Ou alors du nashi ? Je sais que ce jus de poire asiatique ne se trouve pas partout mais si vous en avez ce serait parfait. » Terminais-je en croisant mes jambes, calée dans ma chaise.

-« Oh, oui. Le bon de livraison… j’ai connu ça. Je suis restée un soir et un mec s’est pointé avec une commande. J’étais seule, j’ai tout accepté en signant. Résultat : on s’est retrouvé avec une dizaine de palette sur les bras, sans savoir où les ranger. Sans oublier la consigne qui nous a couté une blinde. » Racontais-je en souriant.

J’attrape une poignée de frite que je pose sur le comptoir, prends mon temps pour les déguster et bouge doucement mon corps sur la musique. Un bip sur mon téléphone m’alerte et je soupire en m’en emparant. Un contrat… forcement, la soirée ne pouvait pas durer éternellement. Mon regard, dénué de chaleur, continue de fixer les informations sur ma nouvelle cible. Je soupire, alterne entre les frites et mon téléphone avant de le ranger dans ma veste, bien décidée à profiter de cet instant de tranquillité lorsqu’il me propose ce jeu de oui ou non.

-« Des vérités sur l’autre hein ? » Demandais-je en souriant, essayant de relaxer mon corps. « Très bien, je commence alors. Même si la récompense si tu gagnes m’arrange aussi… alors, disons que si je gagne… une autre soirée. Mais en terrain neutre, un endroit qu’on aura choisit au hasard. Ça te va ? » Repris-je en mordillant ma lèvre avant de le fixer pour réfléchir à ma question.  

Le problème de ce jeu c’est la curiosité qu’il risque de créer. Comment résister à l’envie d’en apprendre plus ? Sans le savoir, il a piqué mon côté joueuse et, comme vous l’imaginez, je déteste perdre. Délaissant ce qui m’entoure, je le fixe et scan ses habits, sa posture et me rappelle sa manière de bouger.

-« Tu es un Chasseur ? » Déclarais-je en accrochant ses prunelles aux miennes. « Es-tu satisfait par ce que la vie t’a offert ? » Repris-je, sincèrement curieuse. « Oh et, t’es un vrai roux ? » Demandais-je avec un sourire mutin avant de boire dans mon verre d’eau. « Je sais que ça fait plusieurs questions alors je t’autorise la même entorse. » Terminais-je en restant prudente, redoutant ses questions.

Un sourire tendre s’affiche sur mon visage, chose infiniment rare, lorsque je remarque les légères rougeurs sur les joues de mon interlocuteur, serait-il gêné ? Excité, peut-être ? Quoi qu’il en soit, sa réaction repend une douce chaleur dans ma poitrine. Depuis quand n’ai-je pas vu quelque chose d’aussi… innocent ? Je ne sais pas, je ne me rappel plus, j’ai probablement perdu le fil des années à force de partir en quête de toujours plus de puissance. Mais, parfois, comme maintenant… ouais, j’en viens à me demander si ça en valait la peine. Sacrifier ses émotions, sa bonté et sa gentillesse pour s’endurcir et aiguiser ses crocs, était-ce le bon choix ? Et puis, je me rappel que ça n’a jamais été une question de choisir ou non, je suis ce que je suis, en entier et sans me dissimuler derrière une façade.

Les réponses du -faux- rouquin me font rire et je bois mon verre d’eau avant d’en demander un autre au barman.

-« Et bien, quelle triste vie de se faire esclavager de la sorte par sa sœur cadette ! Ou bien est-ce un côté que monsieur possède, celui du gentleman ? Ou alors t’es juste gaga de ta sœur. Les deux ? Hey, qu’on soit bien d’accord, ça ne compte pas dans les questions du jeu ! » Déclarais-je en le pointant du doigt.

Ainsi, il participe aux donjons ? J’espère sincèrement ne pas le retrouver sur ma liste, un jour. Il a raison, il faut savoir s’attacher aux petites choses de la vie. Encore plus lorsque nous la risquons sur un jeu d’échec mortel en frayant avec la mort à chaque raid. Ou lorsque, léger détail, on utilise sa force pour assassiner des Chasseurs.

Ses réponses données, il se concentre sur moi et je redoute ce moment, celui où je serais obligée de lui mentir afin de maintenir une barrière entre le séduisant videur/cuisto de frite/faux roux/yeux à se damner. Être une Chasseuse… lui mentir ou non ? En relativisant la situation, ce serait logique et une très légère prise de risque. Après tout, qui peut planter quelqu’un avec un pic à glace sans une onde de peur ?

-« Oui. » Répondis-je avant de marquer une pause face à sa deuxième question, bien plus compliquée.

Considérer le fait d’être dans la Guilde des Faucheurs comme un boulot ? Là est la question. Je soupire, décroche mes yeux des siens et tourne l’eau dans mon verre dans un geste pensif. Je soupire et le regarde à nouveau dans les yeux, résolue.

-« Non, mon travail ne me plait pas. Et oui, il m’épanouit. » Déclarais-je avec honnête.

De là à ce qu’il comprenne la différence… Parfois, il m’arrive de détester la Guilde des Faucheurs lorsqu’ils me forcent à tuer sans logique. J’ai conscience que sans la protection de mon mentor, je serais morte depuis un moment. Je refuse systématiquement les assassinats des gosses, femmes enceintes et tout ce qui touche aux enfants. Néanmoins, je sais parfaitement que mes mains sont tachées de sang innocent… La logique d’une violence nécessaire à toujours été mon credo concernant les pourritures que j’ai tué. Alors oui, tuer un enfoiré car il à commis des atrocités m’aide à épanouir.

Suis-je coupable ? Oui, mais je ne regrette rien. Je suis Chasseuse, je chasse des monstres, humains ou non.

Mon sang se réchauffe lorsqu’il me demande mon numéro et je sens mes joues rougir.

Merde.

Je rougis putain ! Moi ? Rougir ? Bordel de merde ! Où est passée mon image de femme fatale ?

Gênée, je remue sur mon siège et racle ma gorge… avant de sourire en coin, bien décidée à jouer jusqu’au bout.

-« Ou pas. » Répondis-je en sortant mon portefeuille de mon sac, déposant le paiement de ma note ainsi qu’un énorme pourboire. « Hey bien, on dirait que j’ai perdu… quel dommage, à moi de revenir passer une soirée à tes côtés, un jour. » Déclarais-je en remettant ma veste avant d’hésiter une fois arrivée à ses côtés. Au même niveau, lui assis, je laisse mon regard sonder le sien et me penche, lentement, tellement que je sens mon cœur prêt à traverser ma poitrine. Ma peau s’enflamme lorsque mes lèvres touchent sa joue. Un baiser chaste dans lequel je lui transmets ma gratitude pour cette soirée, son innocence, sa simplicité et plus encore.

-« Merci, à bientôt. » Terminais-je avant de prendre la direction de la sortie, frissonnant en sentant l’air froid de la nuit agressée ma peau.

Je commande un uber et pose mon dos contre le mur, observant silencieusement le ciel. Était-ce une bonne idée de couper court de la sorte ? Oui, probablement. En avais-je envie ? Putain non.

Agacée, perturbée et tout un tas d’autre chose, j’allume une cigarette en attendant mon chauffeur.