A stray cat in a dog's lair [PV Yegorovich]

Je déteste les chiens.

Non, vraiment. Ils sont bruyants. Ils sont odorants. Ils sont collants. Et surtout ils ont une satanée tendance à faire échouer toutes mes tentatives de filatures avec leurs satanés sens et tendance à faire savoir qu’ils m’ont repérée.

Mais dans le contexte si-présent, c’est surtout leur odeur qui m’assaille. Bon, c’est moins dangereux certes, mais c’est super inconfortable ! Pourquoi fallait-il que je me planque dans une camionette qui sente le chien. Mais voilà le bail: j’ai pas vraiment le choix. Je voulais quitter Tokyo le plus rapidement possible… ça fait déjà deux jours que je suis partie de chez moi, et c’est déjà trop de temps à rester dans la ville où mes parents vivent, où mon père vit. Ils ont déjà dû appeler la police, et les recherches ont surement déjà commencé, donc faut que je m’en aille très très vite.

Le truc, c’est le comment. Ouais, j’ai déjà pensé au train… mais c’est souvent surveillé, il y a des contrôleurs, et y’a un risque que quelqu’un qui me connaît me repère. J’ai aussi songé à faire du stop… mais hé, si je tombe sur quelqu’un qui a vu l’avis de disparition je vais avoir des ennuis. Enfin, une adolescente toute seule risque aussi d’autres ennuis en partant avec des inconnus et si j’ai très envie de partir je suis pas non plus encore assez désespérée pour pas tenter d’autres plans avant.

Quoique, cela dit, je pense que niveau “action désespérée” ce que je suis en train de faire c’est tout juste l’étage au dessus. A l’une des entrées de la ville j’ai repéré une camionette qui a pas l’air de venir d’ici, le genre de véhicule qu’on utilise pour transporter des choses ou du matériel, pour des services ou autre. Et comme elle rentrait dans la ville, j’me suis dit… qu’après que son conducteur ait fait son taff il repartirait. Et de préférence avec moi comme cargaison… imprévue.

Du coup bon, je vais pas mentir, j’ai peut-être un peu utilisé mes “trucs d’éveillés” pour me déplacer de point d’observation en point d’observation -c’est à dire des lieux en hauteur, de préférence où on me voit pas trop quand j’y grimpe ou que j’en change- afin de suivre le véhicule jusqu’à ce qu’il soit à l’arrêt.

Des chiens… Le type qui en est sortit a amené des saletés de chiens ! Bon, le truc c’est que j’ai pas fait tout ça pour faire la fine bouche. Du coup j’ai profité du moment où il discutait avec ses clients pour entrer discrètement dans la camionette, par l’arrière, et me glisser rapidement sous un large drap afin de me dissimuler. Malheureusement, le drap devait servir de lit pour les bestioles, car il empeste de cette odeur canine...

Je déteste les chiens.

C’était toujours très triste que de se séparer de ses animaux. Il se sentait toujours comme une maman ours qui abandonnait ses petits avant qu’ils ne soient tous devenus suffisamment grands et féroces, et malgré la taille respectable et la force de ses bêtes, il ne pouvait pas s’empêcher de se sentir triste. Il savait après tout que jamais ses bêtes ne seraient aussi heureuses qu’avec lui, à batifoler dans les prés et à manger de la bonne nourriture maison. Il fallait bien vivre, pourtant, et il ne pouvait pas de manière réaliste espérer continuer à prendre en charge tous les chiens qui se reproduisaient chez lui. L’affaire se conclut rapidement, et après les formalités d’usages expédiées – signez ici, cette brosse pour frotter, faut faire ça régulièrement, signez là aussi, aurevoir heureux d’avoir fait affaire avec vous – il réintégra sa camionnette, et reprit la route. Il avait fini de livrer une bonne partie de ses bêtes, et n’avait pas vraiment grand-chose de plus à faire ici. Il pouvait repartir, maintenant. Il serait bien resté un peu plus ici, mais il faisait beaucoup trop d’allers-retours entre son chez soi et Tokyo en ce moment, et il devait à vrai dire en avoir un peu marre de la capitale. Il se réinstalla dans son véhicule, et roula. Une heure, deux heures, trois, unissant sa voix et ses piètres talents de chanteur aux enregistrements que sa radio fatiguée diffusait, jusqu’à ce qu’il soit s’arrête sur le bord de la route, afin d’aller honorer un arbre de sa présence et de son urine. Il fit son affaire rapidement, profitant de la tranquillité de la petite route peu fréquentée, et se retourna, observant rapidement son véhicule. Il s’immobilisa un court instant, lui jetant un regard curieux, et s’approcha des portes arrière de la camionnette. La porte n’était pas normalement foutue. Il ne savait pas pourquoi, mais la porte n’était pas normalement foutue. Il n’y avait ici rien d’anormal, et pourtant quelque chose lui disait que tout ici l’était, et il avait depuis longtemps appris à se fier à son instinct.

Ses gros doigts épais serrèrent les barres métalliques qui verrouillaient le véhicule, avant de les hisser, le bruit plaintif du métal qui raclait contre le métal s’écrasant contre ses oreilles. L’épaisse lumière du jour inonda son véhicule, éclairant timidement les entrailles de la bête. Il se hissa dans son ventre, regardant l’intérieur. Quelques caisses. Des couvertures. Des cages, et divers outils. Et là, au fond, autre chose. Une petite souris, un passager clandestin. Il s’approcha d’elle, la considéra avec une curiosité bienveillante, se demandant ce qu’elle faisait ici.

« Eh bah, qu’est-ce que tu fais ici toi ? »

Concis, propre, amical. C’était tout lui. Il se pencha doucement, l’ombre projetée par son corps épais engloutissant celui de la petite, et il attendit.

“....Alors en fait.”

Il y a un truc à savoir sur moi. Quelque chose que seuls les gens qui me cotoyent régulièrement savent, et encore heureux, sinon je serais souvent dans de beaux draps…
...Bon, je SUIS souvent dans de beaux draps, mais ce serait encore pire quoi ! ‘Fin, je sais pas si c’est clair, mais bref.
Le truc à savoir donc.
Quand je m’apprête à mentir, je commence bien trop souvent ma phrase par “alors en fait”. C’est...un genre de tic de langage, et incontestablement une faiblesse que peuvent exploiter les gens qui me connaissent.
Doit être pour ça qu’on dit “on peut mentir une fois à mille personnes mais pas mille fois à une personne”, un truc comme ça?...

“On jouait à un jeu à boire avec des amies, vous savez, le genre de jeu un peu con avec des gages et tout… Ben voilà. J’ai perdu, et mon gage c’était de rentrer dans une voiture sans se faire remarquer par le conducteur, d’attendre une minute, et de repartir. Sauf qu’en fait vous êtes répartis vachement tôt et… ouais, j’crois que j’ai du tirer un peu sur le saké, à tous les coups j’me suis endormie là…”

Bon. J’ai déjà fait mieux mais j’espère que ça fera l’affaire. Je...il faut reconnaître que là, je suis pas non plus au top de ma forme. Depuis deux ou trois heures je me questionne, à me demander si j’ai pas fait la bêtise de trop là, à m’enfuir de chez moi…
‘Fin, la bêtise de trop c’était surement le donjon cela dit. Le reste… c’est la suite de la chute?

“Mais euh… faîtes pas attention à moi du coup, hein. J’comptais descendre au bout d’un moment, ‘fin…

…

….Ouais, juste comme ça, vous allez vers où? Nan parce que je serais pas contre une ville avec une gare, vous savez pour...repartir. Rentrer chez moi. Ahah. ”

Tout en parlant, j’essaye subtilement de mieux dissimuler mon sac -qui me servait d’oreiller- derrière mon dos, car bon, évidemment, j’ai quand même fugué avec quelques affaires… Et s’il les voit ça risque de sacrément achever ma couverture déjà beaucoup trop fragile à mon goût.

Il l’écouta parler. Dieu ce qu’elle parlait. Même les vieilles mégères de sa région natale, lorsqu’elles se réunissaient en congrégation malfaisantes pour commérer, ne parlaient pas autant, pas d’une traite. Il l’écouta attentivement, fronçant les sourcils et hochant la tête de temps en temps au fur et à mesure de son récit. Sa première réaction aurait été de monter dans son camion, et de poser ses mains sur son cou, et de serrer, jusqu’à ce que ses vertèbres se brisent. Plus de pépiement. Plus de bruit. Et de quoi apaiser ses pulsions pendant quelques jours. C’était après tout une aubaine rare, que de voir un petit animal de ce genre s’échouer sur le pas de sa porte, et de n’avoir plus qu’à se pencher pour s’en emparer. Mais il ne pouvait pas. Il devait rester méfiant. Elle mentait, et relativement mal, et semblait dévorée par le stress. Il ne savait rien d’elle que ce qu’elle voulait bien lui dire et ce qu’il pouvait voir et comprendre, et ce n’était pas suffisant.

Ne prends pas de risque, se répéta-t-il lorsqu’elle termina de parler.

Il hocha simplement la tête, la considérant brièvement.

« Y’a pas de gare près de chez moi. C’est isolé, fit-il en haussant les épaules. Dans la campagne. Sapporo. »

Il y avait bien des gares routières, de quoi prendre le bus et retourner vers Tokyo. Et il préférait à vrai dire éviter de ramener la gamine chez elle. Outre le fait qu’il avait encore dans sa cave quelques morceaux dont il préférait ne pas avoir à justifier l’existence, et encore moins la présence, il doutait que cette pipelette se fasse parfaitement discrète. Cela voulait dire qu’elle allait raconter son excursion, et que son auditoire en ferait sans doute de même, et ainsi de suite. Il n’aimait pas l’idée. Pas du tout. Gardant son image de rude type au langage laconique, il continua :

« T’as pas un téléphone ? Sinon, j’peux faire un détour, et te laisser dans une gare. »

Il hésita un instant, avant de continuer. Il ne pouvait ni la tuer, ni l’abandonner. Il fallait qu’il s’occupe d’elle. Il grogna, et lui fit signe de sortir du camion :

« Bon, monte à l’avant, et on va voir ce qu’on peut faire. »

Il ne pouvait non plus se balader avec une gamine dans son coffre. Il doutait qu’on vienne inspecter son coffre, mais si jamais cela se produisait, ce serait un aller simple pour la prison, l’ironie tragique de la situation étant que parmi toutes les raisons judicieuses de l’éloigner de la société, on aurait choisi la moins pertinente. Au moins, si on l’interrogeait alors qu’elle était sur le siège passage, il pourrait simplement dire la vérité, ce qui devrait le protéger suffisamment. Et puis, c’était la chose bonne et normale à faire, et il était important qu’il ait l’air normal et bon. Il attendit une réaction de la gamine, l’observant soigneusement, sans chercher à s'en cacher. Elle puait les ennuis.

“Super ! Merci !”

Le vieux monsieur a l'air un peu bizarre. Pas méchant, mais… bizarre. Je sais pas. J’imagine que, vu sa marchandise et l’odeur de son camion, ça doit être un genre de solitaire, qui doit pas beaucoup aimer la compagnie. Du coup devoir se coltiner une gamine… Bon, ça doit pas lui faire plaisir.

Trop contente d’avoir été crue -enfin, visiblement- je le suis jusqu’à l’avant de son camion, oubliant complètement l’idée de cacher mon sac. J’avais vraiment peur qu’il décide de me larguer en plein milieu de route, ou pire, de me ramener à Tokyo… alors bon, à partir de là, Sapporo ou le coin le plus paumé du monde au coeur des montagnes, franchement je m’en fiche.

Du coup je l’accompagne à l’avant du camion, où ces fichues odeurs de chien et...d’autre chose sont un peu moins fortes, puis continue la conversation:

“Donc, ben… nan, j’ai...j’ai pas de téléphone. J’lai oubliée là-bas.”

Un mensonge, mais franchement j’ai pas envie qu’il me demande pourquoi j’appelle pas des amis ou mes parents. Ce serait… ouais, gênant.

“Chizuko, au fait ! Enchantée ! C’est quand même cocasse, hein, de me retrouver en plein milieu de nulle part comme ça, ahah… Du coup, si ça vous dérange pas de m’déposer dans une ville quelque part avec une gare, peu importe où c’est… j’me débrouillerais, ouais.”

Finalement, tout a l’air de bien se passer… jusqu’à ce que mon téléphone sonne. Et forcément je l’avais pas mis en silencieux. Immédiatement, une goutte de sueur perle sur mon front.

“Ahah, euh… on dirait bien que j’l’avais pas oublié finalement…”

De toute façon grillée, je sors le petit appareil bien trop bruyant de ma poche et regarde l’écran.
Merde.
C’est ma mère…

Complètement tétanisée, je reste sans voix et sans geste devant le téléphone affichant “Maman”, ne comptant pas répondre et bien incapable de simplement rejeter l’appel.

En plus de jacasser, elle mentait. Mal. Si Vsevolod savait que son physique d’étranger et sa tête aux traits épais suffisait souvent à le faire passer dans l’esprit des autochtones pour un débile léger, et si à vrai dire il lui arrivait relativement régulièrement d’en jouer, il devait avouer trouver relativement insultant qu’on tente de se moquer de lui, comme ça. Une gamine, à cette époque, qui soi-disant était sortie avec ses copines, sans téléphone. Il ne parlait même pas de ses piètres talents d’actrice, de cela elle n’était à vrai dire pas responsable. Il hésita un instant à commenter, se demandant ce qu’elle cachait. Emmener avec lui une jeune fille aussi suspecte n’était pas une bonne idée. Pas du tout. Il pouvait déjà voir son maquereau débarquer chez lui, ou pire encore, les flics. Serrant les dents, il opta finalement pour garder le silence. Il fit tourner ses clés dans le contact, les vibrations sourdes de la grosse camionnette mise en branle agitant un instant le compartiment, et au moment où il voulut desserrer le frein à main, il l’entendit.

La sonnerie du téléphone.

il avait depuis que le système avait envahi son existence développé une haine aussi tenance que profondément ancrée en lui pour tout ce qui se rapprochait de près ou de loin des sonneries. Les téléphones, les cloches, les sonnettes, tout cela faisait naître un profond sentiment de colère. Son conditionnement était-elle qu’il manqua de peu d’attraper l’offensante créature et de lui faire les poches pour attraper l’objet. Il maintint son calme, son contentant à la place de serrer un peu plus ses mains sur le volant. Il tourna la tête vers elle, écoutant à peine ses excuses, et inspecta rapidement l’écran de l’appareil.


Maman. Et elle ne voulait pas répondre.

C’était une fugueuse. Une fugueuse. Non. Non. Non. Pas de ça. Pas de parents éplorés lançant des recherches, pas d’équipes de volontaires intrusifs et indiscrets, pas de grandes battues municipales, pas d’enquêtes spéciales des nombreux départements de la police enthousiasmés à l’idée de résoudre une affaire médiatique, pas de puce téléphonique indiquant le trajet de la petite jusqu’à lui. Pas de ça, pas avec lui. Il fallait trouver une solution, et vite.

« Bah, décroche, fit-il d’un ton étonné. »

Voilà. L’autorité maternelle allait reprendre ses droits, et lui se débarrasserait rapidement de la gamine, et son existence retrouverait une louable apparence de normalité. Tout allait bien se passer.

La musique en boucle de la sonnerie se répète. Encore. Encore. Et encore. Et moi, comme une idiote, je reste parfaitement immobile devant. Ouais, je pourrais juste raccrocher. Ou au moins baisser le son, mais… je peux juste pas. Elle est pas là, et pourtant c’est comme si au moins de mes gestes elle saurait où je suis, ce que je compte faire.
C’est bien la première fois qu’elle est aussi présente…

Le son finit par se couper, alors que je n’ai pas bougé d’un pouce. Puis, comme un réflexe, l’instinct de survie d’un animal qui réussit un instant à échapper à la vigilance de son prédateur, j’éteins simplement et rapidement mon téléphone. D’un geste lent, prudent comme s’il existait une fonction secrète qui le rallumerait de force si elle rappelait, je le range non sans appréhension dans mon sac.

Encore quelques secondes, puis ma tête se tourne vers l’étranger. Ça va être compliqué de trouver une excuse, là. Et j’ai franchement pas la tête pour.

“...Ouais, ok, j’ai pas été très très honnête...désolée…”

Je prend mon sac contre moi, l’entourant avec mes bras comme on prend une peluche. Ce serait p’tet pas mal d’en avoir une d’ailleurs…

“J’voulais quitter la ville discrètement...Comme si tout le monde était déjà à mes trousses, ou j’sais pas quoi… Alors que maintenant que j’y pense, y’a encore peu de chances que ce soit le cas. ‘Fin… je suppose.”

A vrai dire, j’avais agis plus que réfléchis. Comme d’habitude en fait.

“Hé, j’dois pas encore être recherchée en fait. Donc je vous attirerais pas d’ennuis. Du coup...ça vous dérange pas de me déposer dans une ville? Après, j’me débrouillerai… je trouverai bien. Et euh, j’ai pris un peu d’argent si vous voulez que je paye ma part d’essence.”

...Non pas que j’aie envie de payer, mais franchement je crois que c’est pas le moment de me mettre le monsieur à dos.

L’espace d’un instant, il se vit lui attraper la tête et la fracasser contre le tableau de bord. A plusieurs reprises. C’était curieux, de se dire que cette petite chose provoquait en lui des colères bien plus intenses et fréquentes que la plupart des monstres qu’il affrontait régulièrement. Encore une fois, il se retint, et choisit à la place de l’écouter. Elle lui proposait de payer l’essence. Cette dégénérée, cette imbécile, cette jeune oie stupide, après avoir bavé et enchainé les pires idioties, n’avait rien trouvé de plus trivial et de plus inutile pour s’attirer ses bonnes grâces que de lui proposer de partager le prix de l’essence. Sans chercher à s’en cacher, Vsevolod ouvrit la bouche, soufflant longuement pour se calmer. Il serra ensuite les dents, passant sa langue sur l’émail de ses dernières, réfléchissant calmement. Au moins la gamine commençait-elle à être honnête avec lui, maintenant. Il pouvait travailler avec ça, il pouvait en faire quelque chose.

« C’pas la peine, fit-il simplement. »

Il ne voulait pas de son argent. C’était un autre fil qui pouvait la relier à lui, et il ne voulait pas ça.

« T’es majeure au moins ? Tes parents, ils sont encore légalement responsables de toi ? »

Son ton avait changé. Plus rauque, plus grave, plus bas. Il n’avait plus envie de jouer au brave camionneur sympa, au gros nounours amical. Et à vrai dire, elle lui avait fourni une raison parfaitement acceptable de laisser une partie de son masque habituel s’estomper. Restait à savoir ce qui resterait de ce dernier une fois leur conversation terminée. Au rythme où allaient les choses, il doutait de pouvoir continuer à adopter un comportement socialement acceptable bien longtemps. Pour le moment, restait à savoir s’il allait se taper la brigade responsable des enlèvements de mineurs. Il avait déjà assez à faire à cacher ses traces à la police en temps normal sans qu’en cette dernière ne se mette à la recherche d’un pédophile ou d’un trafiquant d’enfant. Il sentait déjà monter à l’arrière de son crâne un mal de tête carabiné, et il doutait que la réponse qu’il attendait ne vienne le dissiper. Elle avait l’air jeune, un peu trop sans doute, même s’il avait toujours du mal avec les japonaises.

Ça c’était quand même une sacrée question. J’ai vraiment l’air majeure? Bon, remarque, c’vrai que nous les japonnais on paraît toujours assez jeune, ‘fin globalement plus que les autres en tout cas.
Mais bon, j’ai bien remarqué son changement de ton. Ouais, j’crois que je commence à l’agacer avec mes problèmes… c’est bien pour ça que j’espérais passer discrètement, pour éviter qu’il se rende compte que je l’ai entraîné dans mes ennuis.

‘Fin, et pour éviter les ennuis moi-même, faut être honnête. Et en parlant d’honnêteté, c’est la carte que je vais jouer maintenant… si d’autres mensonges foirent j’ai peur qu’il se foute vraiment en rogne.
Et comme on est au milieu de nulle part -je saurais même pas dire où-, et que c’est lui qui a les clés et ler permis ben… j’aimerais vraiment pas le foutre en rogne.

“...Nan, je suis mineure. J’ai….j’ai fugué quoi. J’voulais passer discrètement dans votre camionette pour quitter la ville sans ennuis, puis descendre quand vous atteindriez une autre ville. J’voulais pas vous embêter hein...désolée.”

Plus de mensonge, donc je cesse avec mon attitude mi confiante mi enjouée. J’essaye d’être neutre, factuelle. Je suis en plein dans la mouise et j’essaye d’en sortir, c’est tout. D’ailleurs quand j’y pense c’est p’tet pas une bonne idée d’admettre comme ça que je suis dans une mauvaise posture…
Bah, tant pis.
Mais je flippe vraiment à l’idée qu’il décide de me larguer en pleine campagne. Ou pire, qu’ils appelle la police.
Ou encore pire, qu’il appelle mes parents.

Je le supplie presque.

“Ecoutez… déposez moi à la prochaine ville ! Même si y’a pas de gare, j’me débrouillerai, je trouverai une autre voiture… mais me laissez pas là ! Et me livrez pas ! Je vous attirerai pas d’ennuis ! Et si on me demande je vous ai jamais vus !”