Fil-cature

J’adore les chats.

Ils sont amusants, mignons, intelligents, n’ont presque pas besoin qu’on s’en occupe et savent se montrer aussi affectueux qu’intéressant.Quand ils ne dorment pas. Ce qui est un peu dommage finalement.
Mais ce qui est surtout dommage c’est que je n’ai jamais pu en avoir à la maison. Mes parents préfèrent les chiens… Et forcément comme je vivais chez eux et que je suis mineure, si j’en voulais un j’avais qu’à réussir mes études pour travailler et avoir mon propre appartement bla bla bla. Bah j’en adopterais un tiens ! Dès que j’aurais trouvé un endroit où vivre.
Espérons que ce soit tôt.

Pourquoi je pense à ça soudainement? Bah, alors que je prenais quelques photos de l’environnement de Kumamoto en ce début de soirée -super chouette ville au passage-, j’ai vu une jeune femme avec des oreilles de chat passer. Elle avait aussi un bâton bizarre dans le dos. Finalement je suis assez peu sortie de Tokyo dans le passé… ‘Fin, j’y étais pas confinée mais à part pour quelques vacances et quelques sorties par-ci par-là on a jamais beaucoup voyagé.
Et ça, ça m’attriste beaucoup. Même en restant au japon il y a plein de trucs différents à voir quand on va les chercher… des trucs exotiques même ! Mais maintenant que je suis libre, je peux aller où je veux ! Je n’ai plus à me voir imposer leur décisions stupides ! A subir leur façon de vivre qui n’est clairement pas la mienne.
Certes, c’est assez difficile, il faut que j’économise beaucoup, que je dorme dans des endroits pas toujours très quali, et manger de la bouffe pas toujours saine mais… hé, si c’est que ça !

...Attends.
Comment ça des oreilles de chat?

Sortant de mes pensées, mon attention se reporte sur la motarde qui vient d’entrer dans la superette en contrebas. La boutique étant entourée de baies vitrées, j’ai pu suivre ses mouvements quelques instants avant de la voir disparaître dans les rayons. Malheureusement, depuis la cime du sapin qui me sert de point d’observation -pas terrible derrière, ça pique un peu comme arbre-, je ne peux pas voir en détail l’intérieur du magasin.
Bon, je sais qu’en quittant Tokyo, je verrais des choses différentes, mais ça… ça dépasse l’entendement !
C’est légal? Ce sont des vraies? On peut en acheter où? On peut les gratter?
Je dois savoir. Et par extension je dois aussi tout savoir sur celle qui les porte. C’est comme ça que ça marche.

Du coup je décide de descendre de mon arbre, pour commencer par prendre le véhicule de la madame en photo -on sait jamais-, puis par entrer innocemment dans le commerce. Une fois ma cible aperçue, je prend le plus furtivement une photo d’elle, avant de commencer à proprement parler la filature… faire semblant de regarder des articles, prendre un panier pour placer certains produits afin de simuler quelqu’un qui fait vraiment ses courses, tout en jetant des regards discrets à la concernée pour surveiller le genre de choses qu’elle achète.

En fait je me demande si elle va acheter des trucs comme du poisson et du lait…
Ou peut-être même de la pâtée pour chat?...

Sans la moindre méfiance, Saya, la sherlock-at, commence son petit marché. Ni pâtée pour chat, ni poisson ! Elle se prépare pour une expédition en donjon très bientôt, et sait naturellement que la plupart des chasseurs ont tendance à oublier ce petit creux qui vous prend après quatre ou cinq heures à faire de moulinets avec de grosses armes. Et puis, c'est toujours un moyen de se faire bien voir, ce genre de petits détails. Une dizaine de sandwichs filent donc dans le sac de la fausse féline, deux bouteilles de lait, OUI, puis elle change de rayon tout en observant naturellement les alentours. Les clients, surtout. Un vieil homme, un couple dans la force de l'âge, une ptiote aux cheveux noirs et un type avec un mohawk qui devait être un chasseur comme elle, étant donné qu'il cachait tant bien que mal -et plutôt mal que bien- deux dagues sous ses habits, ainsi que de légères petites cicatrices que les avant-bras typique des blessures que reçoivent ceux qui se battent aux armes courtes. Vu la fraicheur et l'ancienneté de certaines, il ne devait pas en être à son premier donjon, et pourtant il ne semble pas faire d'effort pour se protéger, signifiant qu'il n'a jamais du être en réel danger au point de penser à sa survie, un chasseur qui rafle les mises faciles en se faisant passer pour plus faible qu'il n... waaaiiiititiiit... !?

La tête à moitié penchée vers une bouteille de lait, Saya s'immobilise presque, les yeux s'écarquillant légèrement. On aurait pu remarquer déjà son regard inquisiteur. Pendant deux secondes, elle aura cette sensation du moment où l'on doit à tout prix agir normalement, tout en étant incapable de se rappeler où mettre ses bras, et où mettre ses jambes ; quelque chose venait de la surprendre. Et le pire, c'est qu'elle n'a aucune idée de quoi, voila comment marche l'intuition. Un enchevêtrement d'informations analysées trop vite par sa petite caboche pour qu'elle ai eu le temps de réaliser ce qu'il se passe. Comme un réflexe, mais cérébral et non physique. L'instant de stupeur passé, elle repose finalement la bouteille, portant son regard attentif vers le couple... Chemise, plis. Propre. Croquettes dans le sac. Pas de poils sur les vêtements. Les deux commettent un adultère, et aucun des deux n'est au courant pour l'autre. Inintéressant. Saya tourne alors discrètement la tête vers la plus petite silhouette aux cheveux noirs, panier en main...

Cheveux à peu près coiffés. Apparemment. Des habits... Légèrement négligés, des restes de tâches qu'on a tenté de faire disparaitre, donc avec de l'eau, mais sans savon. Un sac à dos... Apparemment. Encore des traces et petites plaques de terre sur le côté des basket, le genre incrustées dans les creux qui apparaissent lorsqu'on marche dans la boue en s'y enfonçant, pas lorsqu'on marche sur du béton poussiéreux ou des chemins de terre. Saya détourne alors le regard, jetant un coup d'oeil sur son téléphone... Pas de pluie dans les environs depuis six jours. Venue d'ailleurs ? Pas de temps non plus pour un coup de ménage depuis ou pas les moyens car n'habite pas ici.. Pas d'éclaboussure de boue sur le dessus des chaussures donc pas de valise lourde à trainer. Juste un sac à dos bien remplit.

... Baroudeuse.
... Trop jeune pour ça... Devrait être à l'école.
Fugueuse ?
Non... Le contenu de son panier est trop coûteux pour quelqu'un en fuite de son âge.
... Voleuse.
... Et fugueuse.

Wait, le contenu du panier ?
Voila ce qui avait marqué Saya. Elle le réalise soudainement comme un petit flash. Qui dans ce fichu monde achète deux marques différentes d'un même produit au même moment ? Soit elle n'avait absolument pas l'intention d'acheter -aucun sens-, soit elle ne faisait pas du tout attention à ses courses -ce qui semblait peu probable vu la supposée situation précaire-, soit elle comptait cacher les plus chers et acheter les moins coûteux. Yeap. Voila la conclusion, Sherlo-kat. Le tout lui aura tout de même prit une quinzaine de secondes, dont cinq ou six d'observation indiscrète seulement, puis elle tournera la tête une dernière fois vers l'adolescente pour afficher un petit sourire encourageant -et peut être un peu moqueur car on ne chasse pas le naturel !- avant de reprendre ses courses. Troisième bouteille de lait dans son sac, et Saya s'éloigne vers d'autres rayons sans plus faire attention, sans avoir envisagé l'idée d'une filature.

Nouveau passage cette fois ci vers le rayon poisson. Est ce qu'elle risquait d'avoir une invité ce soir ? Saya sait très bien à quel point une vie abandonné peut être difficile. Peut être un coup de main. Mh... Va pour la barquette avec 4 filets de poisson, Saké, nouilles, et algues sèches parce que ça croque délicieusement. Le tout fini dans son sac à dos, puis elle repart vers la caisse en jetant de petits coups d'œil aux alentours mais sans plus voir la gamine cette fois ci. Soit. Un petit

"Bonjour~" mélodieux échangé avec le caissier, les articles passent, la fausse féline paie en liquide, range les articles un par un dans son sac, puis se dirige vers la sortie... Et ira s'adosser contre un des murs du magasin, près de la porte d'entrée, observant simplement en face d'elle. Non pas qu'elle comptait attendre longtemps, peut être cinq ou six minutes voir si l'adolescente observée plus tôt allait sortir, et au bout de se délai, la chasseuse reprendra simplement sa marche pour retourner vers l'auberge à peine une rue plus loin -pas besoin de prendre sa moto pour si peu-.

Quand la femme-chat me sourit, je dois cacher un sursaut de surprise qui m’aurait sans doute immédiatement grillée. Des tas de questions fusent dans ma tête à cet instant, des interrogations dont le centre d’intérêt principal est de savoir si elle a compris mes intentions ou non, et si oui, qu’est ce que j’ai mal fait et surtout comment rattraper le tir?

Mais dans l’immédiat, elle ne semble pas réagir outre-mesure, donc il s’agit peut-être d’une coïncidence? Après tout, je dois avoir une sacrée sale tronche, celle de quelqu’un qui vit dans la rue depuis plusieurs jours. Ça doit commencer à attirer l’attention… ce qui n’est pas bon du tout pour moi !
Ou peut-être que si?
Je...j’en sais trop rien finalement. Peux pas m’empêcher de me sentir rassurée quand quelqu’un a l’air de remarquer que j’existe… et en même temps les fois où ça arrive c’est souvent dans les moments où je préfère qu’on me remarque pas justement. Comme là.

Mais bref.

Du coup, j’essaye de me faire encore plus petite pendant quelques minutes histoires de pas être trop louche si miss cheveux roses suspecte effectivement quelque chose. Je fais mine de me concentrer sur mes courses, et limite les observations de ma cible, me contenant de regarder dans quel coin elle traîne histoire de pas la perdre de vue. Jusqu’au moment où elle passe à la caisse.
Donc faudrait que je sorte bientôt aussi, pas trop tôt pour pas être trop louche mais pas trop tard sinon elle va s’échapper. Surtout si elle reprend sa moto.

Un coup d’oeil dans mon panier. J’ai trop de trucs. Trop cher pour moi. Mais si je sors sans rien, là, c’est clair que je suis spottée. Et puis… hé, j’en suis pas à mon premier “emprunt” dans un magasin. Du coup je vais mine de rien me planquer dans un angle mort des caméras -et des autres clients-, et fous quelques sandwichs et bouffe toute prête dans mon sac. Je garde que deux ou trois produits dans mes mains -de quoi faire un repas du soir, comme si j’étais entrée pour ça- et me dirige vers la caisse alors que la femme-chat vient de sortir du magasin.

Bon. “Normalement” je serais censée montrer le contenu de mon sac à la caisse. Mais franchement, jamais personne fait ça et les caissières le demandent jamais. Si fallait le faire pour tous les scolaires qui passent…
Du coup l’air de rien je pose mon sandwich triangle et ma bouteille d’eau sur les tapis, l’hôtesse les passe, puis…

“Vous pouvez me montrer votre sac mademoiselle?” prononce la voix grave du vigile qui vient de se rapprocher et s’est mis entre moi et la sortie.

Je le regarde.
Il me regarde.
Je le regarde.
On se regarde.
Et là je sais qu’il déconne pas.

“Alors en fait… il y a des trucs dedans, mais ils sont pas d’ici, je les ai achetés dans un autre magasin mais j’avais oublié de me prendre un truc pour ce soir…”

Il ne dit rien mais son regard répond “Arrête de me prendre pour un con sale gamine j’ai bien vu que t’avais un panier bien plus remplis avant de venir”.

Et là j’ai deux choix. Me rendre et risquer de me faire retenir le temps qu’ils appellent mes parents, ce qui n’est PAS DU TOUT une bonne nouvelle.
Ou le plan B.

Le plan B c’est une appellation générale pour la série d’action qui suit l’échec du plan A. En toute circonstances j’ai toujours quatre plans pour aborder une situation. Le plan A c’est toujours l’approche furtive. Donc le plan B c’est quand la furtivité échoue. Les plans C et D on en parlera plus tard.
Pour l’heure, plan B donc.

Sans aucune forme de considération pour ce qui est le respect des lois et du matériel, je me jette entre les jambes du gardien… et m’enfuis, ben, à toutes jambes. Dans ma fuite je me mange un peu la porte de la boutique mais franchement c’est pas grave
Dans l’immédiat, y’a qu’une chose à faire: courir. Avec mon agilité naturelle je crains pas le balourd de vigile, mais ça n’empêche pas qu’il va surement y avoir un appel à la police. Comme si j’avais besoin de ça.

Du coup je me faufile entre des maisons pour changer de rue, et réfléchit rapidement. Clairement faudrait pas que je reste dans les parages, mais en même temps c’est pas comme si je pouvais quitter la ville comme je voulais.  Du coup si des flics allaient bientôt venir, le plus safe ça reste de se mettre dans un bâtiment… Et là tout paraît clair. J’ai assez de miam pour tenir quelques jours, et y’a le problème de mon apparence à règler.
Faut que je me prenne une chambre dans l’auberge la plus proche.
Pour les raisons ci-dessus déjà. Mais aussi car c’est tellement stupide de se cacher aussi près du lieu du crime que je suis presque sûre qu’on me cherchera pas là-bas en priorité.

Du coup, après avoir couru quelques minutes je reprend un rythme de marche tout à fait innocent, et m’y dirige en faisant comme si de rien n’était, me retenant pour ne pas jeter des coups d’oeil autour de moi comme les gens qui craignent quelque chose.

J’entre donc dans le petit bar-hôtel, et fort heureusement le tenancier pose pas trop de questions quant à mon âge. Je donne alors les billets, prend les clés, et fonce à l’étage… sauf qu’en arrivant dans le couloir où est censée être ma piaule, qu’est ce que je vois.

Des cheveux roses et des oreilles de chat, qui ont visiblement une chambre voisine à la mienne.

BLANG le bruit de la porte qui s'ouvre en percutant une épaule au passage. Saya aura tout juste le temps de tourner la tête pour voir la gamine aux cheveux noirs débouler à toute vitesse et filer du magasin. Avec un gardien aux trousses qui tente de lui coller l'arrière train, sans grand succès. C'est qu'elle est rapide la petiote, très rapidement. Irréalistiquement rapide, même. Mmh. Et elle est partie vers le nord. Le balourd de vigile aura à peine atteint la même rue avant de renoncer pour plutôt prendre son téléphone. Oh, sérieusement ? Appeler les flics pour cinq sandwichs volés ? Car elle n'avait pas l'air de chercher autre chose la petiote ! Tant pis ! Saya s'appuie donc du mur pour s'en décoller d'un petit bond, repartant à son tour dans les rues de la ville pour aller rejoindre son auberge comme prévu. En passant dans les rues, elle jettera de rapides coups d'œil à droite et à gauche, observant les passant mais peut être également en espérant retrouver cette curieuse petiote aux cheveux noirs, sans succès cependant.

Elle s'était volatilisé, et même si il était possible de tenter de retracer son chemin par des suppositions, Saya n'est pas à ce point désespérée de porter une main secourable à la première venue. Récupération de clés à l'accueil, donc, puis la fausse féline remonte un étage en pianotant sur son téléphone, page enfants disparus, tout en marchant sur un tapis étendu le long d'un couloir menant aux chambres, puis… Relève finalement la tête, sa clé à moitié enfoncée dans la serrure, alors qu'elle croise son voisin de palier devenu voisine de palier. Uh. Ce matin même, elle avait croisé un type en débardeur qui sortait faire son sport matinal, c'est à dire, fuir avant que la plus-si-demoiselle-que-ça qu'il avait abandonné sous les draps ne le réalise. Pas que Saya avait vu ladite demoiselle, non, mais elle en avait déduit la présence facilement. Ongles coupés, reste de suçon récent en bas du cou, et encore une légère trace de maquillage sous la lèvre du type qui avait du passer la nuit à les frotter contre celles de sa conjointe. Sans parler des habits froissés en bas, mais pas en haut, vêtements donc relevés mais pas retirés. Est ce qu'elle était ici en face de ladite demoiselle ? Est ce qu'elle avait emmené un homme et non l'inverse ? ... Non. Impossible. Pas de trace de maquillage, que la supposée conjointe avait porté. Elle n'en aurait probablement pas les moyens. Donc, l'information intéressante est qu'elle vient de prendre cette chambre, aujourd'hui même, après nettoyage. Probablement qu'elle vient donc de débarquer en ville et ne s'est pas vraiment soucié de son séjour avant. Donc. Petit effort de mémoire pour se rappeler de ce que la fausse féline a regardé sur son téléphone plus tôt... Puis elle demandera :

"Tokyo ? "

De but en blanc, comme ça, venu de nul part. Okayama était le seul endroit où il avait plu récemment, elle était donc ailleurs il y a 6 jours, mais cela ne voulait pas dire que sa fugue remontait à 6 jours pour autant. Juste qu'elle y était passée, sans forcément s'arrêter. Mais la fausse féline était perdue dans ses pensées au moment de sa question, trop perdue pendant quatre ou cinq secondes d'observation qui ne lui apprirent rien de plus malheureusement, il y avait encore du chemin. Peut être si elle voyait quelque chose comme… L'origine de son sac à dos.. Ses habits étaient simples, de pauvre facture, indiquant probablement des parents de classe moyenne, ou basse, et ou qui se fichaient d'elle. Etant donné que ses habits n'étaient pas en SI mauvais état elle avait sans doute du fuir d'une ville, et prendre des transports, comme le suggère la teinte très très légèrement sombre qu'avait prise son vieux sac à dos à force de baigner dans un air plus pollué... Abimé, inchangé depuis des années. Mais la tâche de s... QSTOPPPP. Pas le moment de continuer à réfléchir en fixant droit dans les yeux la personne en face ! C'est impoli, d'après une psy.

".. .. J'avais la tête ailleurs. C'est juste.. La boue trop haute sur tes chaussures, mais pas de pluie récente, et... Ton sac, grisé par la pollution au fil des années, une grande ville comme Tokyo ou Osaka ou Nagoya, n'importe quelle ville de la ligne Tokaido Shinkansen qui mène ici. Comme Okayama où il a plu récemment et qui devait être sur ton trajet. A cause de la boue.   " Petite respiration, puis la chasseuse se reprend, sans penser à préciser que pour avoir retrouvé Tokyo, elle a simplement consulté les disparitions par grandes villes -en cherchant uniquement sur la ligne énoncée- jusqu'à tomber sur la bonne.

".. Bonsoir Chizuko. Je m'appelle Saya. Nous nous sommes croisés au magasin un peu plus tôt… Enfin, avant que tu ne files comme si tu avais un monstre aux trousses. Rapidement, d'ailleurs. Certains chasseurs n'auraient pas fait mieux~ "

Ce qu'elle venait de déballer pouvait sembler comme une menace. Elle mit quelques instants à s'en rendre compte dans le regard de la petiote, mais ne comprenait pas exactement que son discours jusque la avait du paraitre menaçant, surtout pour quelqu'un en fugue, cela devait donner l'impression qu'une longue enquête avait eu lieu, quelque chose qui échappait totalement de l'esprit de Saya pour le moment. Avec son petit sourire habituel, coincé entre la taquinerie et l'affection, elle rajoute simplement :

"J'ai un peu trop de poisson pour ce soir. Il ne sera plus bon si je me le trimballe jusqu'à demain, alors je compte préparer quelque chose de délicieux avec. On partage ? ♪ "

Quand la féline prononce comme seule salutation le nom de ma ville d’origine, je me fige. Je n’aime pas ça. Pas du tout. Déjà, à sa manière de m’avoir regardée là-bas, dans le magasin, mon intuition s’était alarmée… mais si toute à l’heure c’était un petit voyant rouge qui s’était allumé, là on est pas très loin de l’alerte générale avec tout l’équipage aux postes de combat.

J’aime pas sa manière de me fixer droit dans les yeux. De m’analyser à peine subtilement. De déduire des choses… ou de les connaître? Plus elle parle, plus j’ai l’impression qu’elle a mené son enquête. Ou qu’elle a un sacré don de déduction.
Sauf qu’à moins d’être une diseuse de bonne aventure sacrément douée, je vois pas à partir de quoi elle aurait pu déduire mon nom.

Là, j’ai carrément un mouvement de recul, prête à me retourner et à courir dans la direction opposée.

‘Tain, mais faudrait quand même une chance sacrément négative pour être tombée sur une détective privée ou quelque chose du genre aussi peu de temps après mon départ… Et j’aime pas son trop plein de confiance. Elle se comporte comme si elle avait gagné, ou…
Ou j’en sais rien en fait.

Zut, je crois que je deviens parano. Tout ce que j’ai envie de faire, là, c’est détaler le plus vite possible. Et en même temps, elle a pas l’air d’être quelqu’un qui veut m’attraper. Je veux dire, elle m’aurait surement déjà sauté dessus?
Ou alors elle court pas assez vite et essaye de m’attirer pour me piéger. Qu’est ce que je hais ces moments où les gens montrent qu’ils sont intelligents.
Enfin, plus que moi en tout cas.

Mais à côté de la crainte y’a aussi la curiosité. Elle était déjà intriguante avant, mais maintenant elle l’est encore plus. J’ai envie de comprendre son attitude, et de savoir comment elle sait autant de choses, même si elle en a déballé une partie.

...Et troisièmement, le poisson qu’elle a pris au magasin a l’air vachement meilleur que mes sandwich industriels.
Oui, c’est un argument.

Bon. Va pour la curiosité.

“...B’soir. Ouais, le vigile a pas apprécié que j’me fasse une promo sur les sandwich tout prêt. J’dois être passée juste derrière vous.”

Du coup, je m’approche, un peu plus détendue. Paraît que c’est l’un de mes défauts ça. Que je prend trop de risques en partant du principe qu’au pire j’aurais toujours une échappatoire.
Moui. Peut-être.

“Ben… enchantée du coup. Je viens de Tokyo ouais, j’ai… un peu marché par-ci par là et n’ais pas toujours le temps de passer à la laverie. Mais bon, j’imagine que pour ce soir je me contenterai d’une salle de bain c’est déjà pas mal.”

Je n’évoque pas directement ma fugue. Pour qu’elle connaisse mon nom, je me doute bien que ça doit avoir un rapport avec mon avis de recherche, mais dans l’immédiat je préfère voir si elle l’évoque d’elle-même.

“Et, euh… Ouais, si ça vous dérange pas de partager un peu de poisson, ce sera toujours meilleur que mes trouvailles du jour, héhé…” dis-je en me grattant l’arrière de la tête. Mouaip’, je suis toujours un peu gênée quand les gens sont sympas avec moi...

La fausse-féline range son téléphone dans sa poche, un peu rassurée de ne pas voir Chizuko prendre aussitôt ses jambes à son cou, elle avait bien senti le moment d'hésitation bref ! De sa main libre, Saya fait donc tourner la clé dans sa serrure, double tour, puis ouvre la porte pour entrer dans sa chambre, laissant la porte entrouverte pour… Inviter son invitée ! Parfait, finalement le poisson prit en trop servira bel et bien. L'intérieur de la chambre est propret, sobre, une valise ouverte contre un coin de mur révélant diverses possessions et des habits certes jetés en vrac sur une chaise mais qui avaient au moins le mérite de sentir la lessive ! Puis bien sur, du mobilier de base : un bureau, un miroir, une salle de bain reliée à la chambre, un laptop ouvert sur son matelas et un autre, fermé, sur son bureau. Plus particulier en revanche : un skate pour les petits déplacements, et une plaque à induction pouvant accueillir une poêle ou une casserole, montrant un certain désir de ne pas se faire arnaquer par les prix exorbitants de repas d'hôtel ou de restaurants environnants B)

"Nous y voila ! Pour la salle de bain, c'est à gauche et j'admet que tu le mériterais bien. Et tes vêtements aussi. Ta longue… "promenade" n'est sans doute pas prête de s'achever, alors autant profiter d'une bonne soirée, d'une petite trêve, pour repartir demain plus agréablement qu'aujourd'hui ! Mais va pour le manger d'abord, tu peux t'asseoir où tu veux ♪ "

Avec un nouveau petit sourire franc -plus franc que celui affiché en permanence sur sa bouille, car cette fois, elle sourit des yeux- la chasseuse ira s'assoir au sol pour allumer sa plaque, poser une poêle dessus et laisser d'ores et déjà chauffer un peu d'huile -car du beurre supporterait mal le voyage-, un peu de sel, et quelques herbes qu'elle sort de son sac à dos, mais celle ci finiront directement sur le poisson encore dans sa barquette ouverte. Tout en cuisinant, Saya discutera de temps à autres, curieuse d'en apprendre un peu plus sur l'invitée.

"Alors. Tu es libre maintenant. Ou aussi libre qu'on puisse l'être, je sais à quel point ça doit être agréable comme sensation.~ " dit la féline, en se gardant bien de préciser qu'elle avait elle même littéralement redécouvert la vie "normale" après une période particulièrement difficile. Le changement, le besoin de se réadapter à une vie normale, elle connaissait. ".. Mais pas facile pour autant, et ce n'est d'ailleurs pas une raison pour oublier l'avenir. Je serais curieuse de connaitre tes aventures, où est ce que tu es allée, mais plus important... J'ai bien cru voir que tu avais des talents de chasseuse, alors, où est ce que tu comptes aller et qu'est ce que tu comptes faire ensuite ? ~ "

Loin d'elle l'idée de faire un sermon. Étant donné l'écart entre le moment où la fugueuse avait été aperçue la dernière fois indiqué en ligne, et celle de l'ajout de l'annonce de disparition, la "féline" futée avait deviné que ses parents n'étaient pas particulièrement impliqués dans sa vie, voir même pas du tout. Sans doute qu'un organisme scolaire avait du remarquer la disparition plus que les adultes, en réalité. A moins qu'ils n'avaient tardé à déclarer la disparition pour essayer de résoudre le problème eux mêmes mais.. En termes de probabilité, en prenant en compte qu'elle avait du fuir un environnement néfaste, la première option semblait meilleure. Déduction, déduction, parfois on se trompe.

Une fois l'huile bien chaude, Saya plonge un, deux, et trois des morceaux de poisson bien épais, lesquels frémissent en prenant aussitôt une vive coloration et en répandant dans la pièce l'odeur des herbes qui les recouvrent, puis celle délicieuse de la "grillade". Pour ne pas laisser trop de soupçons, car on pourrait la réprimander de cuisiner dans cette chambre, elle ira ouvrir une fenêtre proche de la plaque à induction afin que l'odeur file en partie vers l'extérieur, puis revient rajouter une petite quantité de riz dans la poêle pour que celui ci cuise tranquillement, façon pilaf, en même temps. Pendant que l'odeur délicieuse monte aux narines de son invitée, Saya se pose au bord de son futon, se déchausse, puis s'allonge à moitié dessus pour aller pianoter sur l'écran d'ordinateur, taper un mot de passe de 12 caractères _{pour l'œil observateur} et lancera une petite musique pour rajouter à l'ambiance du soir et aux bruits discrets -peu d'insectes ou de passants en cette période- venant de l'extérieur :

Celle ci me détend toujours lorsque je l'écoute ! ~

Malgré tout ce qu’on peut dire sur moi, je reste une personne simple. On me propose un futon confortable, de la bonne musique et du poisson grillé… ben j’accepte, hé. Bon, j’enlève quand même mes chaussures sales avant de trop rentrer dans la chambre, mais trop intriguée par la décoration et l’ambiance de cette scène, sort quand même mon polaroïd avant de prendre tout de même une photographie de la pièce.
Compulsions quand tu nous tiens.

“Euh...C’est l’habitude désolée.”

Puis sans plus de cérémonie, je range l’appareil avec la photo dans mon sac avant de venir m’installer sur un futon.

“Merci pour la salle de bains, mais euh… je dois en avoir une dans ma chambre je pense.”

Saya donc. Visiblement elle a l’air d’être assez au courant de ce qu’il m’arrive… et de ce que j’ai fait du coup. Donc ce n’est plus la peine de tourner autour du pot à priori.

“Pour la suite de mes actions je… sais pas vraiment en fait. C’pas comme si j’y avais réfléchis ou quoi, c’est juste… je voyage un peu au pif, j’essaye d’aller de point d’intérêt en point d’intérêt, de visiter des coins cools… Au moins personne vient m’engueuler quand j’ai pas fait mes devoirs, héhé !”

… ‘Mais pas facile pour autant’, donc. Je ne l’aurais pas mieux dit, même si je reste plutôt enjouée actuellement.

“Fin, j’évite de trop rester au même endroit quand même. Du coup c’est pas vraiment simple de gagner de l’argent, alors je fais comme je peux, genre quelques ‘emprunts’ ouais… Mais ça m’fait pas plaisir hein !  Juste...pas trop le choix.”

Je ne cherche pas à me plaindre. Il s’agit juste d’exposer les faits. Je pense pas être à plaindre, enfin… je crois? C’est quand même bien de pouvoir aller où on veut, non?

“Mais… vous êtes qui au juste? Je veux dire, c’est pas tout le monde qui irait héberger une fugueuse comme ça. Surtout que ouais, je suis une chasseuse. Vous aussi? C’est genre de la solidarité entre chasseurs ou un truc comme ça?”

Malgré tout, dans cette situation, j’arrive à me détendre hyper rapidement. Peut-être trop? Mais je sais pas, je me sens un peu plus en sécurité déjà.
Ou alors c’est juste à cause du poisson?

Tiens donc ! Voila pourquoi elle était venue ici particulièrement. Saya, de son regard habituel, observera et analysera l'appareil le temps de la sortie pendant ses mouvements. Contrairement au reste, il a l'air mieux entretenu, en partie car les doigts posés dessus et qui glissent par frottement servent de nettoyage de fortune, sans même supposer des soins supplémentaires. Probablement quelque chose de précieux pour elle. Tout en l'écoutant, elle surveille la cuisson de temps à autres, remue de temps en temps le riz cuit à sa façon avec une fourchette, puis répondra

"Tu peux aller où tu veux en réalité. Quasiment. Sans vraiment penser au lendemain, mais j'espère que tu te rends compte que tu es actuellement recherchée. C'est une bonne chose que tu changes régulièrement d'endroit dans ce cas ! Sinon, la nouvelle d'une voleuse finirait par se répandre. Je pense que tu as eu le temps de penser aux problèmes éventuels. Maladie, surtout en pleine hiver, vêtements, car l'odeur et les déchirures n'aident pas à l'embauche, et éventuellement à un plan de secours en cas de pépin. Donc, étant donné que tu sembles avoir passé ton éveil... Tu sais qu'on peut plutôt bien gagner sa vie dans les donjons, même si c'est un poil dangereux ? Tu l'as déjà envisagé ? ~ "

Hop. Dernier remuage de fourchette, et le riz est prêt. La fausse féline éteint alors la plaque puis récupère la poêle, va poser une double épaisseur de torchon et serviette sur son bureau, et pose ensuite ladite poêle par dessus.

"Et voila ! Vas y en première, je ne peux pas me trimballer tout ça et une assiette en prime quand je voyage, et je n'avais pas vraiment prévu d'avoir une invitée ! Les deux poissons sont pour toi, mais laisse moi au moins le troisième~ "

Puis le tout posé, elle tire la chaise pour l'inviter à s'asseoir au bureau et va simplement se laisser tomber sur le dos et sur le futon, vautrée la, la tête au bas du matelas pour éviter d'avoir à lever la voix en lui parlant.

"Je suis Saya, et comme tu l'as bien deviné, je suis une chasseuse ! Pour être honnête, je me suis aussi retrouvée dans une situation... Difficile, quand j'étais plus jeune, et lorsque j'ai compris que toi aussi, j'ai eu envie de tendre une main, ni plus ni moins ! ... Enfin, un petit peu plus, si. Je serais curieuse que tu me racontes tes voyages, et aussi de voir les photos des lieux que tu as visité. Ca nous occupera la soirée et ça vaut bien deux poissons ! ♪ "

Quand on me propose de manger du poisson sortant tout juste de cuisson, pas besoin de me le dire deux fois ! Hastement, je m’empresse d’aller sur la place que Saya prépare, et ne peux me retenir de commencer à dévorer goulument le délicieux met mijoté dans son riz. Ma fugue date d’il y a seulement un mois… mais j’ai l’impression qu’il s’est passé une éternité depuis mon dernier repas chaud.

Il me faudra le temps d’avaler -ou presque- entièrement l’un des filets pour finalement parler à nouveau:

“Merchi ! Ch’est chuper bon !”

Même partiellement obnubilé par le repas, une partie de mon esprit prend la peine de réfléchir aux paroles de la nekogirl. Elle décrivait plutôt bien la liste de complications qui faisaient partie de mon quotidien. J’y avais pensé, oui, c’est sur. De là à dire que j’avais un plan bien précis pour chacune d’entre elles… Enfin, j’ai vaguement une idée de comment résoudre chaque truc que j’adapte en chemin à chaque fois, et généralement ça fait office de plan.

“Bah… Ouais, je sais que je suis recherchée. J’essaye d’éviter la police autant que possible. Pour l’instant ça va parce que je bouge beaucoup, je paye tout en liquide et privilégie les petits motels pas trop regardants. Pour les donjons… meh. Je les privilégie pas disons, même si t’as surement raison, j’crois bien qu’y me faudra y aller même si j’ai été vachement déçue la première fois que j’ai passé un portail.”

Sans même m’en rendre compte, je me met à la tutoyer. Bah, j’imagine que vu qu’on partage le même repas… C’est pas comme ça que ça marche? Ben tant pis.
Sinon, oui. Moi qui aime les trucs magiques, les nouvelles expériences et les lieux exotiques, y’a encore à peine un mois j’aurais tué pour entrer dans un donjon et voir ce que c’était.  Mais y’a un truc. UNE raison qui a gâché tout l’intérêt d’y mettre les pieds.
Et rien que l’imaginer tord mes traits en une mine boudeuse.

“...Mon appareil photo marche pas dans les donjons. Du coup ben… ça tue complètement l’intérêt d’y mettre les pieds. ‘Fin c’est cool hein, j’adore comment ils sont décorés, les choses qu’on trouve dedans et tout, mais… sans pouvoir capturer des images ça me frustre et me met plus mal à l’aise qu’autre chose.”

Une photographie est pour moi très précieuse. C’est un témoin d’une aventure, un zoom sur une étape de ma vie. Un souvenir cristallisé. Et mes souvenirs… Ben, comment dire. Je suis pas très croyante et souvent pas très respectueuse des croyances mais… je crois que “Sacré” c’est pas un terme inapproprié pour définir comment je vois mes souvenirs. Mon identité, mon vrai moi, n’est constitué que de l’ensemble de fragments de mémoire alignés les uns après les autres jusqu’à l’instant présent.
Donc une photo, c’est une partie de moi et de ma vie.
Ne pas pouvoir en prendre, c’est… comme considérer que toute une expérience est similaire à un épisode hors-série d’un anime. Pas forcément mauvais, mais c’est chiant et j’ai envie de revenir sur l’histoire Canon.

Ayant terminé ma partie du repas, je me lève pour lui laisser la place, retournant m’asseoir sur le futon du coup. Cette mine triste est ensuite chassée de mon visage, je veux pas passer pour une boudeuse !

“M’enfin ! Heureusement que j’ai visité d’autres endroits hein !” Et tout en parlant je sors de mon sac le classeur-journal qui me sert… à noter absolument tout sur les gens et les lieux en fait. C’est aussi là que j’épingle leurs photos.
...Oui, avec une tablette électronique ça marcherait bien aussi et ce serait plus sûr, mais… ben j’en ai pas.

“Tu vas voir j’ai vu des coins trop cool !”

Et du coup, sortant les pages correspondantes, je vais pour lui montrer les fameux “coins trop cool.” Ou en tout cas les meilleures versions de leur photo -celles qui me plaisent le plus-. Il y a des temples de Tokyo, des monuments sacrés et historiques surtout concentrés à Kumamoto, des montagnes, des petits villages... Des endroits étrangement vides de public comme s’ils n’étaient pas être ouverts (oups?), des gens, des magasins… Mais la plupart ont un point commun: elles sont prises de haut. A la base, je suis plutôt une paysagiste, spécialisée dans les photos prises en plongée. J’adore cet angle de vue et du coup j’adore être en hauteur.
Ou j’adore être en hauteur et du coup j’adore cet angle de vue.
Je sais pas trop en fait.

J’en profite aussi pour lui montrer mon lycée… enfin mon ancien lycée plutôt. La photo d’une cour remplie de monde, visiblement prise depuis le toit d’un bâtiment -c’est surprenant?-.
Quoi qu’il en soit, cet interlude me donne enfin l’occasion de rire et penser à autre chose que les problèmes du quotidien. J’en ai pas souvent l’occasion et ça fait un bien fou !