Histoire

La première chose que virent les yeux de Naël, après ceux de sa mère, furent les labyrinthiques décors désolés du désert de Wadi Ram. Des terres arides composées d’immenses étendues de sable, d’arches naturelles et de falaises abruptes seulement arpentées par les grandes tribus bédouines, maitresses de ces lieux si particuliers. Et c’est au cœur de l’une d’entre elles que Naël fut élevé. Une vie difficile mais juste, brillante de simplicité. S’occuper du bétail, trouver de nouvelles oasis pour continuer d’avancer et vivre au jour e jour sans se soucier de notions de misère. Une vie à l’écart du monde moderne même si, ponctuellement, sa barbarie les rattrapait le temps de vendre et acheter des vivres et de l’eau avant de partir pour un nouveau voyage.

Les voyages. Voilà ce qui sans doute créa la curiosité inextinguible du jeune homme. Habitué dès son plus jeune âge à rencontrer des voyageurs aux personnalités et aux histoires uniques, le jeune jordanien comprit bien vite l’ampleur et la complexité du monde dans lequel il se trouvait. Même le désert qu’il pensait pourtant lui être familier redevenait un illustre inconnu lorsqu’il prêtait l’oreille aux différents récits ponctuant les soirées festives de rencontre entre deux tribus. Puisque la richesse matérielle n’était pas dans sa culture, il considéra bien vite que le vrai trésor d’une existence était la connaissance. Et, rapidement, il comprit. Il comprit que le monde dans lequel il évoluait n’était qu’une parcelle de ce qui lui restait à découvrir. Les bédoins empruntaient toujours le même chemin, une voie sûre qu’ils souhaitaient dénuée d’embuches. Une voie pour la prospérité de leur tribu, mais un chemin sans issue aux yeux de Naël.

Adolescent, le jeune jordanien était dévoré d’une envie brûlante. Celle de tout savoir, de tout connaitre, et de tout posséder. Le monde était à ses yeux une terre d’apprentissage, il ne demandait qu’à être modelé selon le bon vouloir de celui qui apprendrait à le comprendre. Dans cette optique, donc, Naël quitta sa famille et son clan pour poursuivre sa route, seul. Les donjons étaient apparus quelques années auparavant et, si sa tribu était restée autant que possible à l’écart de cette nouvelle menace – heureusement peu présente en Jordanie au cours des premières années -, lui ne voulait pas faire la même erreur. Mais, avant de s’attaquer au monde, il lui restait à découvrir tous les mystères qui avaient bercés sa tendre enfance. Le désert de Wadi Ram était désormais son nouveau terrain de jeu, et il comptait bien en découvrir tous les secrets.

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Naël cracha une gerbe de sang. Les yeux écarquillés, il contemplait désormais la plaie béante qui trônait dans sa poitrine. Plus d’une dizaine d’année de recherches, de voyages, de difficultés pour en arriver à une simple évidence : il ne savait rien. Avait-il pêché par excès d’orgueil ? Jouait-il de malchance ? Non. Après tout, c’était lui qui avait décidé d’entrer seul dans ce lieu perdu. Il avait, l’espace d’un instant, nourrit l’espoir que cette porte de donjon semblant abandonnée au milieu de ruines d’un ancien sultanat omanais lui apporterait les réponses qu’il était venu chercher. Bien sûr, il avait appris à se méfier de ce genre d’apparitions. Mais celle-ci lui semblait si différente. Petit, ne dégageant presque aucune puissance à ses yeux, et hypnotisant, ce portail l’invitait à la naïveté. Il paraissait si loin de toute civilisation qu’il devait être là depuis des semaines. Des années peut-être encore. Sa signature avait dû lui permettre de s’installer tout en évitant d’être détecté, pourtant, aucun monstre ne semblait monter la garde ou encore s’en être extirpé. Tout ce que dégageait ce lieu était un immense sentiment de solitude.

Après quelques vérifications, Naël s’y était donc engouffré, et, derrière lui, le portail s’était scellé. Il y avait alors découvert un lieu immense, totalement clôt, semblant presque bâti de la main de l’homme. Mais cette impression n’était que duperie. Le lieu reflétait simplement ce que souhaitaient voir les yeux du jeune Jordanien, et, bien vite, il tomba dans le piège.

Désormais, il trônait là, le torse empalé par une sorte de soldat aux apparences volatile duquel il ne sentait émaner aucune forme d’humanité. L’illusion autour de lui s’était dissipée, ne laissant qu’apparaitre les murs froids et rocheux du donjon. Derrière le soldat se trouvait bon nombre de ses pairs, formant une véritable armée et avançant lentement mais surement vers le jeune homme. Ses traits tirés par la douleur laissèrent alors apparaitre un sourire fataliste. Il était condamné, et il le savait. Pire encore, malgré plus de dix ans à parcourir les déserts du Moyen-Orient à la recherche de savoir et de réponses, il lui semblait n’avoir rien apprit. Il allait mourir bêtement, isolé de tous, sans personne pour pleurer sa disparition. Un soulagement mais aussi un constat amer concernant son existence. Arraché à ses pensées, Naël hurla de douleur alors qu’une seconde lance le transperçait.

Son regard s’assombrissait de seconde en seconde. Depuis combien de temps était-il assis ainsi, à attendre de voir sa vie le quitter définitivement ? Pourtant, quelque chose semblait le retenir, et la lueur combattive présente dans ses yeux ambrés ne disparaissait pas. C’est alors qu’il la vit. Une forme humanoïde aux atours de braise, fantasmagorique, aux allures de félin gigantesque qui semblait pas à pas traverser l’armée de soldats sans même gêner ou repousser le moindre de ces derniers. Une apparition insensée qui, rapidement, occupa tout le faible champ de vision du jordanien. Il l’avait alors vue disparaitre, et ses cendres formèrent rapidement une écriture dans les ténèbres qui l’entouraient. Profiter d’une deuxième chance ? Devenir un joueur ? Qui n’aurait pas accepté dans de telles circonstances ?

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Naël ouvrit à nouveau les yeux dans une pièce sombre et métallique. L’esprit un peu brumeux, il constata rapidement que la totalité de ses blessures avaient disparues. Peu après son réveil, un visage asiatique vint se présenter à lui. Il fallut s’en remettre à un interprète pour que le jordanien comprenne où il se trouvait. Un navire-cargo japonais l’avait recueilli alors que son corps dérivait dans la mer d’Arabie, et ce depuis plusieurs jours.

Pendant les deux mois qui suivirent, Naël eut le temps de faire son choix. Le bateau se dirigeait vers le Japon et, si le système lui avait offert une seconde chance, alors ce serait là-bas qu’il recommencerait à zéro. Profitant du temps libre qu’il possédait désormais, le jordanien apprit à parler et écrire le Japonais. Il n’ignorait pas non plus les messages similaires à celui qu’il avait vu juste avant de sombrer, et remplissait à la lettre les exigences de ce fameux système. Ainsi, le temps jusqu’à leur arrivée passa sans que Naël ne s’en rende réellement compte. Il avait désormais conscience de son statut, de sa faiblesse, mais surtout il se retrouvait dans son élément : Au milieu d’un monde où il lui restait tout à découvrir.