Le soleil se couchait peu à peu derrière le mont Aso, bien au-delà de ce qu’étaient capables de percevoir les yeux fatigués de Naël. Le jordanien n’était pas arrivé au Japon depuis bien longtemps, mais, déjà, les affres du manque de ses terres natales se faisait ressentir. Lui qui n’avait jusqu’alors que vécu dans les bras arides des différents déserts du Moyen-Orient devait désormais s’accommoder d’une vie bien différente de celle qu’il avait imaginé. De la même manière, il restait en l’âme du jeune homme les quelques séquelles de son quasi-séjour au royaume des morts, et encore la totale incompréhension de ce qui lui était arrivé. Lui qui avait toujours vécu pour être libre devait désormais suivre les conseils de l’entité qui lui avait certes sauvé la vie, mais qui semblait désormais se trouver dans l’ombre de chacun de ses pas. Curieuse sensation que de devoir obéir à une force supérieure d’apparence si douce mais en réalité si cruelle lorsque son subalterne ne se pliait pas à ses désirs.

Pourtant, Naël était loin, bien loin de broyer des idées noires ou de sombrer dans la nostalgie. Le caractère du jordanien était bien trop optimiste et conquérant pour se laisser happer par ces états pour si peu. Le « système » qui régissait désormais sa vie paraissait certes impitoyable, mais la voie qu’il lui traçait avait peu à peu permis au jeune homme de développer son corps et certains de ses attributs pour gagner en tonicité. En réalité, malgré ce qui lui était récemment arrivé, le jeune homme se sentait mieux que jamais. Il n’avait certes pas vraiment de visa pour vivre au Japon et devait se contenter d’une chambre – pour l’heure – solitaire et un peu miteuse, mais ses rêves de grandeur pouvaient attendre, remplacés pour l’instant par sa curiosité naturelle. Personne ne semblait vraiment avoir conscience du phénomène qui l’avait profondément transformé, ce dernier ne trouvant sa place dans aucunes sources d’information concernant les donjons, aussi Naël évitait simplement de trop en parler. Il avait déjà bien assez à faire pour comprendre ce nouveau monde qui l’entourait. Et puis, désormais, avec cette « visualisation » concernant ses attributs et ses pouvoirs, le Jordanien avait l’impression d’avoir trouvé ce qu’il avait toujours cherché. Du moins, partiellement. Cette seconde vie n’était à ses yeux qu’une porte ouverte sur un chemin périlleux, instable et inconnu. Mais Naël était persuadé qu’au bout de cette voie se trouvaient les réponses qu’il avait toujours cherchées, et l’assurance de façonner le monde auquel il aspirait.

Mais pour l’heure, il devait s’assurer de son état. En entrant dans cette guilde peu regardante, il avait pu prendre conscience de l’immense chemin qui lui restait à parcourir. Son rang de chasseur semblait être équivalent à un rang E, ce qui n’était guère glorieux. Autrement dit, même dans les donjons de plus bas niveau, il risquait fort d’y laisser sa peau. C’était sans doute la raison pour laquelle il n’avait pas encore été appelé au sein de l’un d’entre eux pour le moment. Loin d’être vexé, Naël y voyait plutôt une occasion de se familiariser un peu plus avec le système, et de voir à quel point il pouvait progresser en peu de temps. Mais pour se faire, il devait impérativement passer par la case hôpital. Non pas qu’il se sentait souffrants ou mal en point, mais surtout parce que le médecin de bord, dans le navire qui l’avait amené au Japon, lui avait conseillé de le faire. Aussi, une fois par semaine, il profitait d’un service modeste que les rares avantages de la guilde lui confiaient.

Le jordanien était donc arrivé à l’hôpital en début de soirée. Naël n’avait rien contre la foule mais il savait également que ces rendez-vous n’étaient que formalités, et il ne souhaitait pas perdre trop de temps en se retrouvant dernier d’une longue liste d’attente. Comme d’habitude à cette heure, les lieux redevenaient tranquilles. Quelques rares chasseurs faisaient encore la queue mais, selon les estimations du jeune homme, il n’allait pas avoir à patienter plus qu’une trentaine de minutes. Il s’installa donc sur l’une des chaises, saluant d’un bref hochement de tête les personnes présentes avant de laisser son crâne partir en arrière, prenant ainsi appui sur le mur. Installé aussi confortablement que lui permettait la modeste salle d’attente, Naël ferma les yeux, laissant ses pensées vagabondes fuir vers ses souvenirs d’enfance.

Le jordanien aurait presque put s’endormir. Ainsi positionné, malgré la rigidité de l’assise de moyenne facture qui lui permettait de se reposer, il était suffisamment confortablement installé pour laisser aller son esprit vers les terres plus dures mais paisibles de son pays natal. Naël ne regrettait en rien les jours qu’il avait passés à essayer de comprendre cette nouvelle chance dans ce cargo, et il ne regrettait pas non plus d’être arrivé jusqu’ici. Les terres nipponnes regorgeaient de secrets et cette nouvelle voie maintenait sa curiosité éveillée. Il ne lui restait plus qu’à trouver les différentes clefs pour mieux la comprendre et alors…

Un bruit sourd, un bruit de lutte se fit soudain entendre, le tirant de sa rêverie. Le jordanien se redressa, constatant qu’il était désormais seul dans la salle d’attente. Fronçant les sourcils, Naël se leva de sa chaise et commença à arpenter les couloirs en direction du bruit. D’ordinaire, ce petit hôpital était généralement assez calme, alors qu’est-ce qui pouvait bien justifier un tel raffut ? Alors qu’il prenait un nouveau virage, cherchant toujours l’origine du bruit, il fut soudain à moitié percuté par deux infirmières angoissées. L’une d’elle, visiblement à la recherche de renforts, lui lança alors.

« Venez ! Vite ! Il faut le maitriser ! »

Sans laisser le temps au jordanien de réagir, la jeune femme le tira par le bras pour l’amener jusqu’à une salle de soins intensifs là où un curieux spectacle l’attendait. Un homme en blouse était affalé sur le sol tandis qu’un autre gaillard semblant bien plus costaud semblait se débattre avec un ennemi invisible. Un peu plus loin dans la pièce, une autre infirmière, terrorisée, se plaquait contre le mur comme pour accentuer vainement la distance qui la séparait de l’individu en furie. Autrement dit, une scène dont Naël ne connaissait ni les tenants ni les aboutissants. Néanmoins, l’esprit lucide du jeune homme lui permettait de ne pas trop douter quant à la marche à suivre. Il pouvait en remercier le système, il s’était considérablement renforcé depuis sa seconde vie. Mais arriverait-il pour autant à maitriser un homme aussi imposant ? Peut-être, si toutefois ce dernier n’était pas un chasseur. Dans tous les cas, il était sans aucun doute là une excellente occasion d’essayer.

Naël se faufila alors dans le dos de l’homme désemparé, se collant brutalement à lui et passant un bras au niveau de ceux de l’enragé pour les plaquer contre lui, et utilisant l’autre pour le crocheter au niveau du coup, laissant le menton de l’inconnu se caller dans son coude. Le jordanien serrait suffisamment pour tenter d’immobiliser le gaillard, mais sans non plus tenter de l’asphyxier. L’homme avait beau se débattre comme un beau diable, Naël teint bon tant bien que mal, en profitant même pour souffler quelques mots dans l’oreille de l’inconnu.

« Du calme, du calme » Fit-il d’une voix qu’il voulait apaisante. « Personne ici n’est là pour vous blesser. »

Dans un même geste, il tourna légèrement la tête vers l’infirmière tout en maintenant l’homme comme il pouvait.

« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? » Demanda Naël.

« O-On ne sait pas trop. On l’a retrouvé comme ça, il n’a aucune séquelle physique mais… Il était dans un profond coma. » Répondit-elle.

Naël fronça les yeux. Pouvait-il s’agit d’un cas similaire au sien ? Dans tous les cas, cela valait le coup de tenter le bluff. Il reporta alors son attention sur l’homme qu’il maintenait.

« Je sais ce que vous traversez. » Lui glissa-t-il, tentant une approche qui pouvait tout aussi bien être un bluff que la vérité. « Calmez-vous et nous en discuterons, d’accord ? »

Naël maintenait le caucasien comme il le pouvait. Fort heureusement, son action eut l’effet escompté. Le jordanien savait donc qu’il ne s’était pas trompé. Il n’était visiblement pas le seul à profiter des actions du système. Une nouvelle qui pouvait l’aider à mieux comprendre le phénomène même si, pour l’heure, il n’était pas question de soumettre son égal à un quelconque interrogatoire. Peu coutumier de ce genre de prises, le jeune homme avait sans doute un peu trop serré autour de la gorge de l’homme enragé, et ce dernier, quitté soudain par l’adrénaline qui l’avait habité l’espace de quelques instants, commençait à lentement tomber dans les limbes du sommeil, s’immobilisant dans les bras du Jordanien. Le calme revint alors dans la chambre d’hôpital.

« Et merde, c’était pas prévu ça. » Marmonna le jeune homme aux cheveux colorés.

La tempête passée, une infirmière aidait déjà le médecin à se relever et l’autre accourait aux chevets de l’homme inconscient. Légèrement inquiet sur les conséquences de son action, Naël ne tarda pas à s’enquérir de la santé de l’homme qu’il venait littéralement de faire basculer dans les limbes de l’inconscience.

« Il va bien ? » S’enquit-il.

Après quelques vérifications, l’infirmière lui répondit.

« Oui, il s’est endormi. Vous voulez bien m’aider à le remettre sur son lit ? » Demanda-t-elle.

Soulagé, Naël opina du chef. Après tout, cette situation était en partie sa faute, donc s’il pouvait se rendre utile… Après quelques manipulations, le patient avait regagné sa couche, et les diverses perfusions qu’il avait arrachées étaient de nouveau opérationnelles. Pour le jordanien, c’était l’heure du dilemme. Il pouvait s’éclipser – car, après tout, il ne connaissait pas vraiment l’homme inconscient – mais c’était au risque de voir la situation s’envenimer dès lors que ce dernier sortirait de sa douce rêverie. De toute manière, si Naël n’avait pas un défaut, c’était bien la malhonnêteté. Lui-même avait été perdu en se réveillant et, s’il n’avait pas réagi d’une manière aussi violente, il aurait sans doute également bien voulu avoir quelqu’un capable de lui expliquer au moins à minima ce qu’il avait traversé. Après quelques négociations, il parvint à convaincre le personnel médical de le laisser rester au chevet de leur patient dans l’attente de son réveil.

S’installant confortablement dans un siège en face du lit de l’inconnu, Naël ne put s’empêcher de repenser à l’épreuve que lui-même avait traversé. En était-il de même pour cet homme ? Avait-il lui aussi été seul dans cet enfer ? Le portail était-il lui aussi d’une si faible importance qu’il devait trôner là où il était depuis des années sans que personne ne s’en soit jamais inquiété ? Le jordanien ferma les yeux et croisa les bras, se perdant peu à peu dans ses réflexions. Il n’en ressorti qu’une fois qu’il ressentit du mouvement en face de lui. Laissant quelques secondes à l’inconnu pour émerger, il lui adressa alors la parole avec son sourire habituel.

« Alors, bien dormi ? »

Naël n’avait pas vraiment saisi la phrase du caucasien, mais estimait désormais bien mieux sa provenance. Si l’anglais du jordanien n’était malheureusement qu’assez pauvre, il le comprenait toutefois suffisamment pour déterminer que son interlocuteur venait de l’Ouest du monde, plutôt Europe ou Amérique, ce qui collait plutôt bien avec ses traits. Dans tous les cas, le jeune homme n’avait pas vraiment besoin de comprendre le sens de la phrase pour en détecter le ton. Un ton agressif, toujours un peu paniqué, mais, au moins, cette fois, l’inconnu restait relativement calme et ne s’emportait pas. Naël ne répondit pas immédiatement, laissant l’individu se remettre de ses émotions. Lorsque ce dernier fut assis, le jeune homme prit la parole en japonais.

« Je ne saisis pas tout, mais j’imagine aisément ce qui vous passe actuellement par la tête. » Commença-t-il, croisant les bras tout en gardant un ton calme et détendu.

A la façon qu’avait eu l’homme de regarder au-dessus de lui dans le vide, Naël avait immédiatement compris ce que ce dernier observait. Les bulles « systèmes » étaient désormais familières pour le jordanien, mais lui aussi avait eu du mal à se faire à cette entité. Prenant son temps, le jeune homme aux cheveux colorés reprit ses explications.

« D’abord, sachez premièrement que vous êtes hors de danger. Votre bas est bien votre bras, votre main est bien votre main. Ensuite, je préfère le préciser tout de suite, je ne suis en aucun cas lié au cadre que vous devez voir flotter devant vos yeux. Du moins… pas vraiment. » Commença le jordanien.

Expliquer le phénomène qu’ils rencontraient tous les deux était complexe, et ce sans doute parce que Naël n’en savait pas beaucoup à son sujet. Comment alors pouvoir rassurer quelqu’un qui vivait la même chose quand même lui ne savait pas si cette entité pouvait leur être positive ou néfaste ? Ce n’était pas vraiment chose aisé, pourtant, le jordanien avait promit à cet inconnu de lui expliquer ce qui lui était arrivé. Mais le savait-il seulement ?

« Je m’appelle Naël, et je viens de Jordanie. Je ne sais pas grand-chose au sujet de ce qui vous arrive, mais je sais simplement qu’il nous arrive actuellement exactement la même chose. Moi aussi je me suis réveillé dans une forme olympique il y a près d’un mois, après avoir perdu la vie. Depuis, je vois apparaitre ces « bulles » d’informations de ce système. Et depuis, je suis devenu à ses yeux ce qu’il appelle un joueur. C’est bien ce qui vous arrive, non ? » Demanda le jeune homme, plongeant son regard ambré dans celui de son interlocuteur.

Une approche certes directe, presque agressive, mais Naël souhaitait sauter l’étape de la douce révélation. Lui aussi avait besoin de savoir ce que ressentait cet homme et surtout ce qui l’avait amené jusqu’ici..

Naël fronça les sourcils. Il comprenait que l’homme puisse se sentir complètement perdu, mais ce dernier ne semblait pas vraiment écouter le fond de la pensée du jordanien. Ce dernier poussa un léger soupir, les bras toujours croisés, et ferma un instant les yeux. Il ne servait pour l’heure à rien de continuer à lui expliquer tant qu’il ne serait pas un peu plus conscient des réalités. Naël avait eut le temps d’apprendre à vivre avec, mais il avait appris seul. Devait-il donc laisser son ainé faire de même ? Était-ce réellement la meilleure des solutions ? Peut-être après tout. Peut-être qu’il devait se faire une raison et accepter qu’il ne pourrait pas aider cet inconnu.

Le jordanien se leva donc, et s’apprêta à quitter la pièce. Mais une curieuse sensation l’envahit alors, et l’une des bulles informatives qu’il connaissait si bien se mit à flotter devant lui. L’entité qui régissait sa vie choisissait décidément bien son moment. Le jeune homme marqua donc un temps d’arrêt, se mettant rapidement à parcourir les informations dument envoyées par son « bienfaiteur » inconnu. Une quête, encore. Il ne devait pas tarder. Le jordanien ne savait que trop bien comment finissait cette histoire s’il ne se pliait pas aux demandes du système. Il devait prendre congé…

… A moins que ? Lorsqu’il entendit l’homme, Naël se retourna dans sa direction, en proie à une nouvelle interrogation. S’il était effectivement un joueur – comme tout le laissait supposer – se pouvait-il qu’il ait lui aussi reçut le même message, avec les mêmes coordonnées ? Une réponse affirmative à cette question laisserait supposer que les fameux « joueurs » n’étaient pas si isolés que ça, et répondaient à une entité commune. Ou complexe, du moins. Soucieux de faire taire ces interrogations, Naël reprit la parole.

« Non, je ne peux visiblement pas voir vos interfaces système. » Fit Naël, pensif, autant pour lui que pour son interlocuteur. « En revanche, si vous avez bien un compte à rebours et les coordonnées 32°48'52.1"N 131°04'48.6"E affichées, croyez-moi, nous ne devrions pas tarder. »

Naël s’étira, attendant visiblement que son interlocuteur daigne se lever.

« Enfin, si vous cherchez des réponses et à éviter une longue galère, croyez-moi, c’est ce que je ferais à votre place. Nous devrions nous dépêcher d’ailleurs, je doute que les infirmières et les médecins vous laissent sortir si facilement. »


Tant bien que mal, les deux hommes étaient parvenus jusqu’au pied du Mont Aso, presque au milieu de nulle part, aux coordonnées indiquées par le système. Ils avaient dû éviter médecins et infirmières pour pouvoir se glisser hors de Tokyo, et, ensuite, ils avaient simplement pris un car à touriste jusqu’à son terminus. Pour finir, ils avaient marché une bonne heure en suivant les informations d’un GPS satellite « emprunté » à un randonneur. Puis, enfin, ils étaient arrivés là où le système voulait qu’ils soient. Une nouvelle bulle informative apparut alors.

« Etape 2 : Vous devez vous rendre aux coordonnées suivantes dans le temps imparti : 32°89'53.1"N 131°07'45.6"E. Temps restant : 29 min 55s. »

Naël se tourna alors vers son compagnon d’infortune.

« Bon, et bien il va falloir courir. » Fit-il, simplement, commençant ses premiers pas de course avant de se retourner. « Vous venez ? »

Naël ne se mentait pas à lui-même. Même accompagné, il savait que l’ascension que leur promettait la quête proposée par le système risquait fort de mettre à mal leur physique. Zachary semblait plutôt solide, et le jordanien savait pertinemment que l’homme n’était pas vraiment convalescent. Mais le jeune homme savait aussi à quel point, et pour n’importe qui, ces quêtes étaient éprouvantes. Il était donc inutile de perdre leur temps en souffle et en palabres. Gardant le GPS dans une main, Naël s’élança en avant, commençant sur un rythme tranquille pour évaluer les exigences du système. S’il se retrouvait presque à court de temps, il pourrait alors toujours accélérer. Mais il ne fallait pas non plus tenter de couvrir la distance trop rapidement : Le trajet promettait d’être long, et le finir en avance ne rapportait absolument rien.

Conscient que Zach le suivait quasiment à sa hauteur, le jordanien se concentra sur son effort. Il avait prit l’habitude de sortir courir souvent, mais la course de montagne était un art auquel il s’essayait pour la première fois. Les premières « étapes » furent relativement faciles, et ce même si le soleil cognait plutôt fort sur les flancs du mont Aso, mais Naël savait que ce n’était qu’un début. Au bout d’une bonne heure, son souffle était déjà plus court, et ses articulations et ses muscles devenaient plus douloureuses et douloureux. Et pourtant, même s’il ne connaissait pas vraiment la distance totale de leur course effrénée, le jordanien savait qu’il n’était pas au bout de ses peines. Inconsciemment, le rythme des deux coureurs se mit à ralentir alors qu’ils continuaient d’avancer. Il fallait tenir bon mais, plus l’épreuve se prolongeait, plus le mental devenait important. Les muscles du jeune homme étaient au supplice, tout comme l’était son souffle, et son rythme cardiaque atteignait un taux dangereusement élevé. Pourtant, toujours en silence, les deux protagonistes continuaient, gardant chaque parcelle d’énergie pour pousser leur corps un peu plus haut, un peu plus loin. Bien vite, leur résistance ne tint plus qu’à la psychologie. Il était l’heure ou l’âme prenait le dessus sur le corps, l’heure de dépasser ses propres limites pour parvenir à remplir une quête absurde au « profit » d’une entité inconnue qui n’hésiterait pas à la punir dans le cas contraire.

Lorsqu’ils n’en purent plus, une courte halte au détour d’un ruisseau se fit obligatoire. Bien que prévoyant, Naël n’avait pas vraiment emporté sur lui une ration suffisante d’eau pour un jour aussi chaud. Le corps désormais arrêté, le jordanien ne put s’empêcher de vomir dans un buisson avant de se désaltérer tant l’effort était intense. Mais la « pause » ne pouvait durer trop longtemps, aussi, rapidement, le duo se remit en route vers la prochaine étape. Les minutes devenaient peu à peu des heures, et chaque pas était désormais plus difficile que le précédent. Les derniers kilomètres s’accomplirent sur un rythme de marche rapide plus que de course, mais, heureusement pour eux, les minutes d’avance accumulées lors de leurs précédentes étapes leur permirent d’arriver à la fin du trail juste avant la fin du compte à rebours. Epuisé, Naël se laissa lourdement tomber sur le sol pour s’allonger sur le dos et récupérer son souffle. Ce n’était certes pas la bonne méthode pour récupérer d’un effort aussi intense mais, pour le moment, ses jambes ne pouvaient pas le porter plus loin. Il laissa s’écouler quelques minutes, le temps pour les battements de son cœur de se calmer, puis il se retourna vers Zachary.

« Vous… Vous voyez ? Un… Jeu… d’enfant. » Fit-il, épuisé par la course, mais un grand sourire aux lèvres.