Aux yeux du jordanien, la vie nipponne semblait n’être qu’un étatique chaos organisé, où tout se déroulait à une vitesse trop grande pour être maitrisée. Naël avait l’habitude de la solitude, des immenses étendues désertiques à perte de vie et du calme qui l’entourait lors de ses voyages. Aussi, le contraste entre son existence d’antan et sa vie actuelle était particulièrement prononcé. Un contraste auquel il aurait été difficile de s’acclimater si le jordanien n’avait pas été de nature si curieuse. Un attribut, une qualité comme un défaut particulièrement prononcé chez le jeune homme qui l’empêchait de s’attrister d’avoir perdu le contact avec ses terres natales. Il lui restait trop à comprendre, à apprendre ou à découvrir pour qu’il se sente spécialement dépaysé.

Et pour l’heure, le jordanien avait amplement le temps d’épancher sa curiosité à loisir. Trop faible pour réellement être amené à tenter un donjon aux yeux de sa guilde, il ne pouvait pour l’heure qu’errer autour d’Hitoyoki, à l’ombre des remparts centenaires qui faisaient la réputation de la ville fortifiée. Siège de la guilde des chevaliers, il voyait régulièrement des visages connus – du moins aux yeux de la foule – aller et venir au grand château qui servait de base et d’épicentre pour les activités du groupe. Ainsi, il pouvait constater avec curiosité à quel point son profil atypique semblait dénoter. Les chasseurs étaient pour la plupart de simples travailleurs, des mercenaires ne cherchant que la tranquillité de l’âme et du corps. Malgré le niveau de certains, une bonne paye semblait amplement les satisfaire. Ne voyait-il pas tous les secrets contenus dans l’existence ou simplement l’apparition de ces donjons partout dans le monde comme autant de portails menant vers des univers encore inexplorés ? Le jeune homme le savait, il ne pouvait pour l’heure prétendre à entreprendre lui-même ces découvertes mais un jour, peut-être, avec l’aide de ce… Oui, un jour, tout ça serait à sa portée. Il en était convaincu.

Mais pour l’heure, appartenir à cette entité suprême ne se faisait pas sans efforts. Après dix kilomètres de course et une pléthore d’abdominaux, Naël était en sueur. Il avait longé les remparts à vive allure, mais, maintenant qu’il avait réussi, le repos était de mise. Pas de gain en niveau cependant, ce dernier restant pour l’heure fixé sur le chiffre « un ». Ce n’était que partie remise et, loin de désespérer, le jordanien fut soudainement happé de ses pensées par une mélodie montante. Curieux, le jeune homme se mit en quête d’en retrouver la source. Après tout, il avait bien mérité un peu de repos, et en profiter en musique ne serait que plus agréable.

Heureusement, le jeune homme en nage n’eut pas à chercher bien longtemps. La musique venait d’une place entourée de quelques petits cafés normalement appréciée par les touristes, surtout en cette saison. Le lieu n’était pas vraiment ce qu’on pouvait qualifier de tranquille, mais il n’était pas non plus bondé ce qui permit au jeune homme, comme à son habitude, de s’assoir tranquillement à même le sol, en tailleur, devant la jeune femme et sa guitare. Il ferma alors un instant les yeux, profitant de ses mélopées, avant qu’un curieux ne finisse par déranger son semblant de méditation.

La truffe humide, un chien au pelage bicolore, assez fourni, se tenait devant lui, le dévisageant avec curiosité. Naël ouvrit un œil, adressant un sourire au canin. Habitué à élever des bêtes depuis sa plus tendre enfance, le jeune homme avait le contact facile avec les animaux. Voyant que son nouvel ami ne se désintéressait pas de lui, le jeune homme ouvrit ses yeux ambrés et plongea son regard dans celui de l’animal, lui présentant ensuite sa main. Celle-ci s’ouvrit, mais ne chercha pas directement le contact avec l’animal, attendant que ce dernier vienne le chercher le premier. Un protocole sacré pour ne pas effrayer son ami velu qui lui fit totalement oublier l’existence des autres tout autour d’eux. Ainsi, Naël ne remarqua que trop tard que la jeune femme s’était arrêtée de chanter. Lorsqu’il s’en rendit finalement compte, il releva la tête vers elle avant de lui adresser l’un de ses éternels clins d’œil.

« Désolé ! C’est ton compagnon ? » Lui lança-t-il simplement.

En sentant la chienne s’affaisser sur ses jambes, le jordanien ne put réprimer un sourire. Il avait toujours apprécié les animaux, souvent bien plus simples à comprendre que les êtres humains et surtout bien moins dotés de mauvaises intentions. La jeune femme, elle, semblait plutôt timide malgré sa capacité à se produire en public. A croire qu’elle faisait partie de ceux pour qui la musique était un refuge, capable alors de transcender leur phobie pour la beauté de leur art. Pourtant, de part son look un peu « rebelle », la jeune femme semblait plutôt du genre à prendre les devants. Sa réaction ne resta toutefois pas bien longtemps une surprise pour le jeune homme qui, profitant toujours du contact de l’animal, croisa les bras, restant toujours en tailleur, avant de répondre à son interlocutrice.

« La musique était agréable, et tu peux me tutoyer. » Commença-t-il, toujours souriant. « Je m’appelle Naël, au fait. Quant au fait de m’assoir… »

Le jeune homme s’interrompit un instant, cherchant ses mots en japonais tout en réfléchissant à l’interrogation de la jeune femme. Il était vrai qu’il était le seul à se retrouver ainsi installé, mais était-ce réellement si exceptionnel ? Certes, le Japon possédait de nombreux bancs et cafés mais, de là où il venait, poser son séant à même le sol était loin, très loin d’être rare. Était-ce donc mal vu ? Il fallait dire que la culture nipponne comprenait de nombreux codes que le jeune homme n’était pas encore en mesure de retenir tant ceux-ci pouvaient être complexes. Mais de toute façon, maintenant qu’un élément non-prévu se prélassait contre lui, il n’était pas vraiment possible de faire marche arrière. Il reprit donc, gardant sourire et assurance.

« … Et bien… J’ai peut-être enfreint un code civique ici, mais, là d’où je viens, c’est plutôt normal de se poser pour écouter ou discuter. » Répondit-il, assez amusé. « Quoiqu’il en soit, tu es très douée ! Je suis désolé, je ne suis pas vraiment du coin, donc si tu es une personne connue, ne soit pas vexée. »

En réalité, Naël était suffisamment observateur pour estimer que la jeune femme ne devait pas non plus faire partie du monde connu du show-business. Il n’était pas là question de talent ni même d’attitude de la part de son interlocutrice, mais plutôt de celles de ses spectateurs. S’ils avaient été attentifs et avaient respecté le petit show de la jeune femme, personne n’était réellement venu lui demander d’autographes ou autres facéties de ce genre propres à la célébrité. Elle n’avait pas attiré les regards par le biais d’une curiosité induite par son nom mais plutôt par son talent, ce qui était, aux yeux du jordanien, nettement plus louable. Desserrant les bras, il passa tranquillement sa paume dans le poil blanc de la chienne installée contre lui. Il n’avait encore jamais vu un chien de ce genre, mais son allure lupine lui paraissait étrangement familière. Mais cette curiosité serait sans doute à satisfaire plus tard. Pour l’heure, le jordanien était assez curieux de savoir à qui il avait à faire.

« Et tu viens souvent ici ? Je veux dire… jouer de la musique. C’est ton métier ? »


« Désolé ! C’est ton compagnon ? » Lui lança-t-il simplement.

Naël écoutait attentivement la jeune femme, flattant l’encolure de la boule de poil toujours installée contre lui. Ainsi donc, il put déceler dans son discours plusieurs choses qui l’intéressaient sincèrement. Déjà, en plus de sembler être une musicienne accomplie, ladite Hart était également une chasseuse. En soit, cette information n’avait rien d’exceptionnel. Une grande partie de la population parvenait à arrondir ses fins de mois ou simplement à vivre grâce aux donjons. Mais cela n’empêchait pas le jordanien d’être curieux. Était-elle expérimentée ? Aimait-elle ce métier, ou n’était-ce qu’un gagne-pain comme un autre ? Quelles étaient ses spécialités ? Autant de question que le jeune homme préféra pour l’heure laisser sans réponses, se concentrant sur le reste des déclarations de la jeune femme.

De la même manière, la dénommée Hart ne semblait pas vraiment originaire du Japon. Plus caucasienne que la plupart du peuple nippon, elle parvenait comme Naël à s’exprimer en Japonais mais ce dernier n’était clairement pas sa langue natale. Décidément, les étrangers présents sur l’ile s étaient plus que nombreux. A vrai dire, pour l’heure, le jordanien n’avait pu faire connaissance qu’avec des représentants d’autres pays. Cette réalité était loin de le déranger et, en un sens, elle était plutôt logique. Les Japonais étaient généralement un peuple parfois un peu méfiant avec les étrangers. Il était donc préférable que ces derniers se serrent les coudes, même s’il cela ne facilitait pas leur intégration. Soucieux d’en apprendre plus sur la jeune femme, Naël lui répondit.

« Les gens devraient te prendre au sérieux. Et puis, on m’a toujours dit que le monde du show-business était complexe. II faut du temps pour y faire son trou. » Lança le jeune homme, toujours souriant, ponctuant ses propos d’un léger clin d’œil. « Plus sérieusement, tu es chasseuse ? Enfin, ça ne devrait pas trop me surprendre mais, au moins, ça nous fait un point commun… En quelque sorte. » Finit-il avec un brin de malice dans les yeux.

A vrai dire, Naël ne pouvait pas vraiment se vanter sur le sujet, et il avait lui-même du mal à croire qu’il était officiellement un chasseur. Un chasseur particulièrement faible, certes, mais un chasseur quand même. Souhaitant tourner le sujet sur autre chose, du moins temporairement, il embraya sur la dernière question que lui avait posé la jeune femme.

« Oh, et, je viens de Jordanie. Pas la porte à côté hein ? » Lança-t-il, amusé. « Et oui, j’ai appris le japonais sur un bateau en venant ici. Ce n’est pas forcément l’idéal, mais pour ce qui est des jurons et des insultes, crois-moi, je suis rodé ! »

Il s’agissait d’une plaisanterie, mais sa composante était fondamentalement vraie. Apprendre à parler au milieu des marins ne faisait qu’enrichir un argot assez prononcé. Heureusement que, depuis qu’il était arrivé, il avait pu rencontrer d’autres personnes et développer un peu son langage. Alors qu’il s’apprêtait à reprendre la parole, sa cuisse fut soudain soulagée d’un poids alors que la chienne de la chanteuse se relevait pour retourner auprès de sa maitresse. Naël en profita donc pour faire de même. Il ne comptait pas partir, mais discuter assis avec un interlocuteur qui, lui, était debout lui paraissait comme non-naturel. Il reprit alors la parole.

« Et toi alors ? Je me doute que toi non plus, tu n’es pas du coin. Du dis habiter à Sapporo, mais Hart ne sonne pas très japonais comme nom. » La taquina-t-il légèrement.