so lost
in the night sky
i'm faded
Le Deal du moment : -45%
Four encastrable Hisense BI64213EPB à ...
Voir le deal
299.99 €

Aller en bas
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Ven 11 Déc - 11:47
Le bruit que le système faisait lorsqu’il souhaitait attirer son attention l’irritait fortement. Cela lui faisait penser à un mélange impie entre la sonnette d’un micro-onde en fin de vie et le fruit des entrailles méphitiques d’un producteur dégénéré de muzak. Fort heureusement, il était relativement discret, et n’arrivait pas très souvent. Cela n’empêcha pas Vova de tenter de jurer, de frapper du poing sur son volant et de recracher le bout de bœuf séché qu’il mâchonnait depuis cinq minutes, le tout en tentant de corriger l’écart soudain de son véhicule. La vieille fourgonnette, un modèle japonais vénérable dont il aurait été malpoli de demander l’âge, était en temps normal déjà de nature capricieuse, et il n’avait pas en plus besoin d’aller la brusquer. Fort heureusement, la petite route de campagne était à cette heure totalement vide, et sa débâcle ne provoqua ni accident, ni rire moqueur ou exclamation apeurée chez les potentiels spectateurs. Il réussit tant bien que mal à reprendre le contrôle du véhicule, continuant pendant la longue dizaine de secondes que dura l’opération à étaler son impressionnant talent créatif, un flot ininterrompu d’injures sortant de sa bouche maintenant libre de la présence limitante du bout de viande. Ce dernier trônait, triste et esseulé, sur son pare-brise, collé à ce dernier en une pâte baveuse et vaguement marron.

Quelques minutes plus tard, il était garé sur ce qui servait ici d’air d’autoroute : un vague terrain vague, qui devait sans il y avait de cela un temps avoir été destiné à autre chose que la conservation de vieux tube métalliques rouillés. Un écriteau de métal, trop rouillé et abimé pour qu’on puisse déchiffre les kanjis rouges inscrits sur sa surface finissait de camper l’endroit. Vova tapa du plat du pied dans un des tubes pour finir de ses passer les nerfs, avant de ratisser sa chevelure de ses doigts, puis de se frotter énergiquement le visage. Il fallait rester calme, se rappela-t-il. Calme, et innocent, et pas suspect, en toute circonstance. Aussi peu densément peuplée que soient les régions rurales du Japon, elles avaient toujours en face de sa tundra natale des airs de parc familial un dimanche matin. Pas la peine donc d’inquiéter un éventuel conducteur, ou quoi que ce soit du genre. Il retourna vers son véhicule, sortant de son emballage sur le siège passager un sandwich et une bouteille contenant un liquide suffisamment clair pour qu’il puisse prétendre qu’il s’agissait d’eau, avant de se poser sur le capot de son véhicule. Il était encore un peu tôt pour déjeuner, mais il était arrêté, et tout cela lui avait donné faim. Il lui restait encore trois bonnes heures de route avant de retrouver sa propriété et ses chiens. Invoquant d’une pensée lasse le système, il mordit à pleine dents dans le morceau de pain, les jus timides de la viande et des cornichons mous inondant ses lèvres épaisses.

Le système venait de lui donner une quête, ou du moins était-ce ce qu’il lisait. C’était une chose surprenante. Vova, lors de ses plus jeunes années, quand il avait intégré d’abord le lycée puis l’université de Vladivostok, s’était comme nombre d’autres jeunes essayé aux jeux vidéo. Le principe était plaisant, et stimulant pour l’imagination, mais il n’avait malgré cela jamais vraiment accroché. Il préférait largement aux pixels de Mortal Kombat la sensation très tactile des vrais corps humains. Il devait tout de même avouer qu’imiter les fatalities du jeu avait été une source considérable d’amusement, pendant un temps. Un peu ragaillardi par ce souvenir joyeux et tendre, il examina plus avant ce que lui voulait au juste ce système intrusif. Apparemment, ce dernier allait lui générer des cibles sur lesquelles tirer, tout en lui fournissant une arme temporaire avec laquelle faire ça. Son sourire s’élargit encore plus, prenant des dimensions proprement cataclysmiques lorsque ses dents d’hippopotame, pleines de nourriture, furent dévoilées au grand jour. Tirer, il savait bien faire. Il tirait depuis qu’il était tout petit. Il termina son repas, rangea soigneusement les restes de ce dernier (garder la nature propre était pour lui quelque chose de très important), verrouilla son véhicule, et s’enfonça dans le terrain vague, à l’abri des possibles regards de passants indiscrets.

Une fois correctement isolé, il pressa le bouton accepter du système, et vit se matérialiser directement dans ses une arme à énergie au design aussi curieux que futuriste. Ses lignes courbes et élancées n’avaient rien à voir avec les formes compactes et utilitaires de son pays d’origine, et s’il devait leur reconnaitre une certaine élégance, il aurait préféré un modèle plus respectable. Les inventions du grand général-ingénieur Kalashnikov étaient après tout inégalables. La première cible se manifesta à deux bonnes dizaines de mètres en face de lui, et il la regarda, plissant les yeux. C’était une sphère grisâtre, vaguement lumineuse, qui lévitait à deux bons mètres du sol. Un autre bruit de sonnette retentit dans ses oreilles, et, enragé par cette intrusion auditive, le tireur se mit en mouvement, passant ses nerfs sur l’offensant objet.


Dernière édition par Vsevolod Yegorovich le Ven 11 Déc - 14:44, édité 1 fois
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty Re: La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Ven 11 Déc - 12:12
La première chose qui vint le surprendre fut le manque de recul de l’arme, et son bruit presque inexistant. Tirer avec cette dernière était une expérience très déroutante, presque déstabilisante. Elle ne produisant qu’un bruit de chuintement sec et bref, le temps il imaginait que ses mécanismes internes s’actionnent et préparent le prochain tir. Rien à voir donc avec les bruits francs et virils qu’il avait depuis longtemps appris à apprécier. Il toucha la sphère, un bruit de carillon métallique venant confirmer son coup, et cette dernière disparut presque instantanément dans un léger mouvement lumineux. La prochain ne se fit pas attendre, se manifestant légèrement sur sa droite, et le russe la mit rapidement en joue, sa discipline religieusement entretenue lui permettant de décocher rapidement un nouveau tir. Il continua à avancer, le système lui ayant soigneusement précisé qu’il s’agissait de rester en mouvement. La deuxième boule explosa rapidement, avant que la troisième n’apparaisse, puis une fois cette dernière pulvérisée, la quatrième, et toutes les autres derrière. Leurs apparitions successives semblaient lui dresser un chemin à suivre, serpentant entre les anciens vestiges de la construction avortée, le tracé de ce dernier se changeant rapidement en parcours du combattant quand il eut à escalader les divers obstacles, ou à passer dans les entrailles profondes des vieux tuyaux abandonnés.

Cela était somme toute relativement ludique, et lui rappelait ses anciennes chasses, lorsque devant lui s’offrait comme une amante langoureuse tout le territoire des steppes de la Sainte Mère-Patrie. Etrangement, ces sphères, bien que lisses et de toute évidence construites pour arborer un aspect aussi futuriste que possible, avaient la dimension de têtes d’adultes, et flottaient d’ailleurs plus ou moins à la hauteur de la sienne. Il se demanda si c’était là le fruit du hasard, ou si le système qui guidait ses actions avait en lui des relents taquins, semblables à ceux qui animaient l’âme chaleureuse du brave Vova. N’ayant pas réellement tout le temps nécessaire pour continuer d’explorer cette idée, il mit en joue la prochaine grappe de sphères, tirant trois coups successifs et bien visés. Schpoom Schpoom Schpoom. Le bruit était finalement très satisfaisant, un peu comme celui d’un piston entouré de gelée, ou quelque chose d’approchant. Escaladant une grosse caisse métal d’un bond assuré, il roula pour se retourner et toucher la cible qui venait d’apparaître derrière lui. Le tir, moins précis dû à sa manœuvre fantaisiste, rata. Une expression amusée vint l’espace d’un bref instant troubler son visage impassible, avant qu’il ne réajuste immédiatement sa visée et ne recommence. Cette fois, il visa juste. Il continua son mouvement d’escalade de la haute pile des caisses, regardant le final préparé pour lui. Il avait depuis longtemps cessé de comptabiliser son score, mais une simple pensée suffit à invoquer brièvement le système, qui l’informant qu’il avait explosé quatre-vingt-douze des cent cibles requises.

Enfin arrivé tout en haut de son perchoir, il vit à diverses distances devant lui l’étalage des dernières cibles. Certaines d’entre elles étaient positionnées de telle manière qu’il ne pourrait les toucher qu’en sautant de la caisse sur laquelle il se tenait. C’était une chute de facilement sept mètre, avec à l’arrivée un sol dur de terre battue. Rien de bien compliqué pour un chasseur, même de bas rang, mais il s’agissait tout de même de ne pas se rater. Il sauta, et pendant les quelques secondes que durèrent sa chute, aspergea généreusement les sphères flottantes. Le même tintement de clochette vint l’informer qu’il venait de réussir son premier objectif, et que le second allait maintenant se révéler à lui. Il ne lui avait finalement fallu qu’un petit quart d’heure pour compléter son épreuve, et il ce fut avec un triste pincement au cœur qu’il observa son fusil lui être retiré des mains, ce dernier disparaissant comme les sphères avant lui.

La prochaine révélation ne déclencha pas chez lui le même enthousiasme enfantin. Il regarda la prochaine sphère se matérialiser au sol. D’apparence bien plus impressionnante et large, son assistant magique l’informa qu’elle pesait une centaine de kilogrammes, et qu’il allait devoir la tirer avec les chaînes qui étaient fournies avec autour du terrain, complétant ainsi un tour complet. Vsevolod prit une grande inspiration, tentant de rester aussi calme que possible, invoquant les images les plus apaisantes qu’il avait en mémoire. Le ragout d’élan de maman. Cette partie de chasse qu’il avait eu la chance de partager avec ces touristes espagnols, il y avait de cela six ou sept ans. Ses chiens. Sa distillerie artisanale. Il regarda plaintivement son véhicule, se demandant s’il avait le temps d’aller humidifier un peu son gosier, avant que l’épreuve ne démarre. L’éternel tintement carillonnant répondit avec une extrême vulgarité à sa question, et il se saisit des chaînes, les dents serrées, avant de se mettre en route.
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty Re: La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Ven 11 Déc - 12:47
Vova était un homme sportif. Le rythme de vie particulièrement viril (papa serait fier) imposé par ses deux occupations garantissait déjà de lui-même qu’il se forge un corps résistant et puissant. Les chiens qu’il élevait étaient des créatures sportives et impulsives, de gigantesques bêtes destinées à l’origine à la garde des troupeaux, avant d’être en ces temps modernes reconverties en tant que gardiens de prison et chiens d’attaques. Et les siens incarnaient parfaitement, à force d’eugénisme savamment appliqué, les valeurs défendues par le système pénitencier et l’armée russe. Plus que gros, ils étaient gigantesques. Plus que fidèles, ils étaient loyaux. Plus que protecteurs, ils étaient féroces. C’était très gratifiant, mais cela demandait de sa part un investissement constant dans leur éducation et leur accompagnement, et donc, pour parler crument, de gros bras. Quant à sa deuxième activité de chasseur et maintenant de joueur, il doutait d’avoir besoin d’épiloguer dessus. Ajouté à tout cela, il y avait encore sa propre discipline, directement inspirée des Spetsial'noïe Naznatchéniyé de son pays. Elle différait somme toute assez peu, mettant simplement l’emphase sur des techniques plus adaptées à son propre style de vie et sa constitution colossale.

Mais même pour quelqu’un d’aussi massif que lui, tirer un poids d’une centaine de kilos sans discontinuer pendant un peu plus d’un kilomètre relevait plus de l’exploit herculéen que du simple tour de force. Il se mit pourtant à tirer, grognant sous l’effort. Il n’était plus réellement humain, se dit-il. Aucun chasseur ne l’était réellement, et lui était en train d’entamer son voyage vers une apothéose plus rare encore. Cette idée, motivante à l’extrême, lui permit de se dépasser, et il sentit son corps avancer, et derrière lui la masse pachydermique racler le sol, labourant profondément la terre stérile du terrain vague. La première dizaine de mètres ne fut pas bien difficile, et il avança en serrant et en desserrant les dents, soufflant et inspirant par la bouche, ouverte en une gueule large et vorace. Ce fut après que les choses se corsèrent, lorsque le frottement de sa charge contre le sol se fit pesante et que l’élan initial de son corps se fut dissipé. Il sentit ses veines épaisses ressortir sous la peau de son front, et ses lèvres se replier, prenant la forme de babines canines. Son teint vira progressivement au rouge, d’abord léger, puis de la couleur des briques, et ses bras se tendirent, ses muscles se contractant sous l’effort alors que ses doigts épais enserraient désespérément les maillons des chaînes. Il était furieux. Furieux que le système, lui faisait miroiter une récompense hypothétique dont il ne connaissait même pas la nature exacte, puisse le faire trimer de la sorte. Le procédé n’était pas sans lui rappeler celui qu’il employait avec ses bêtes, et l’idée d’être lui-même réduit à un statut animal ne l’enchantait pas réellement. Il se promit qu’un jour, s’il mettait la main sur le créateur de ce système, il en le réduirait en chair à saucisse. Ce n’était pas là une métaphore, et l’idée de pouvoir un jour exercer sa vengeance, profitant de son corps renforcé par les pouvoirs de la propre création de son tortionnaire le requinqua quelque peu.

Il continua donc à tirer péniblement sa charge, soufflant et grognant et peinant et suant. Sa chemise, quand il arriva enfin au bout de l’épreuve, était totalement détrempé, la toile de lin collant contre son torse. Il laissa tomber derrière lui les chaines épaisses, avant d’à son tour se laisser choir au sol. L’expérience avait été particulièrement désagréable, et s’il devait bien avoue ressentir une certaine fierté après avoir surmonté cette épreuve, ce n’était pas quelque chose qu’il souhaitait remettre rapidement. Ses mains étaient durablement parcourues de sillons profonds, et il ne devait qu’aux épais cals de ses paumes de ne pas les voir réduites à l’état de moignons sanguinolents. Il avait du mal à respirer, et ses poumons en feu semblaient vouloir jaillir hors de son poitrail. Il souffla, crachant en même temps une salive acide qui racla sa gorge, plusieurs fois, avant de rouler sur le dos, cachant ses yeux dans le creux de son coude, laissant sa respiration haletante soulever de manière rythmique son corps.

Il eut ainsi le droit à dix secondes de repos, avant que le système, fidèle à lui-même, ne revienne à l’assaut, son sempiternel bruit de clochette sonnant aux oreilles de Vsevolod comme le tambour infernal annonçant l’invasion prochaine d’une armée ennemie. Il frappa du poing contre le sol, et se releva péniblement. Le boulet s’était, comme l’arme énergétique avant lui, totalement dématérialisé. Une fois revenu en position debout, il contempla d’un œil torve les nouvelles instructions du système. Il voulait maintenant qu’il aille méditer cinq heures durant sous une cascade. Retenant un énième chapelet d’injures, il se demanda où est-ce qu’on pouvait bien trouver une cascade dans les environs.

Le système sonna, et lui indiqua la voie à suivre.
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty Re: La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Ven 11 Déc - 14:17
Alors qu’il quittait le terrain vague, s’enfonçant dans la forêt, guidé par les marquages éthérés du système, il se demanda s’il était le seul à pouvoir les voir. Il avait déjà fait l’expérience avec l’écran d’information, l’invoquant en présence d’autres personnes, sans que jamais ces dernières ne réagissent. Si cela avait des conséquences pratiques tout à fait positive, c’était également la preuve que l’entité derrière son nouvel allié digital était capable d’interfacer directement avec son esprit. Vova n’avait jamais été homme à croire aux petits hommes verts qui enlevaient les braves gens pendant leur sommeil pour se livrer sur eux à d’atroces expériences, mais il devait avouer que tout cela ne lui inspirait au final qu’une confiance très relative. Derrière le chantier désaffecté s’étendait, comme un peu partout sur l’archipel nippon, une vaste zone de forêt de montagne. Ils étaient encore à une altitude relativement basse, et si Vsevolod avait appris par cœur les diverses versions des cartes du japon, mémorisant aussi bien le subtil réseau des routes que des rivières et des montagnes (c’était nécessaire, quand on avait comme lui certains passe-temps peu discutables en bonne compagnie), il n’était pas sûr de la présence dans le coin d’une cascade. Il savait qu’il était relativement proche d’un petit village, et il lui semblait bien qu’il y avait dans les environs une communauté shugendo de taille respectable. Cela voulait généralement dire la présence de cascades.

Il ne lui fallut en effet pas bien longtemps avant de trouver le chemin d’une petite piste de randonnée, peu pratiquée, et d’entendre au loin le fracas caractéristique de chutes d’eau. Il ne doutait de toute façon de la précision du système, qui malgré ses réticences et sa méfiance continue n’avait jusque là jamais été dans l’erreur. Il arriva rapidement sur les lieux, et regarda autour de lui : l’endroit, bien qu’actuellement désert, était de tout évidence fréquenté au moins de manière semi-régulière, sans doute par les religieux précédemment cités. Il pouvait voir çà et là les traces de leur passage, dans les nattes tressées et dans la petite table qui devait servir lors de leur présence à l’une ou l’autre de leurs cérémonies. Il porta ensuite son attention sur l’objet de sa visite. L’eau qui jaillissait à plus d’une dizaine de mètres au-dessus de lui se séparer en plusieurs rideaux grondants au gré des quelques protrusions rocheuses qui résistaient encore à son travail d’érosion. Vsevolod devait avouer ne pas spécialement adhérer aux divers courants de son nouveau pays. S’il pouvait comprendre, et même apprécier, leur connexion avec la nature, au moins partiellement semblable à la sienne, son esprit restait empreint des enseignements de ses géniteurs et de ses propres expériences. Son orthodoxie le coupait définitivement de tout enseignement méditatif, quand bien même son caractère et ses pulsions ne seraient pas avérés suffisants.

Il n’était cependant pas le plus pieux des hommes, et ses chapelles et ses rituels s’éloignaient régulièrement du dogme sage des vieux patriarches aux lourds anneaux. Il pouvait accepter, dans un esprit purement marchand, de se livrer à l’expérience pseudo-mystique réclamée par le système, et même d’y mettre du sien. Il s’approcha de la cascade, et enleva ses vêtements. Maculés de sueur et collants, il fut ravi d’avoir ainsi l’occasion de les retirer et de se laver, même sans savon. Ne gardant sur lui que son caleçon, il trempa un pied dans la large mare qui s’était formée au pied de la cascade. Elle était fraiche, et la sensation lui plut grandement. Il n’aimait pas réellement l’eau chaude, sauf lorsqu’il avait envie de se brûler et de faire rougir sa peau. Il s’immergea totalement dans cette dernière, avant de rejaillir, ramenant d’un geste de la main sa tignasse en arrière. Puis, considérant de l’œil la cascade, il se dirigea vers elle, la considérant d’un œil circonspect. Il ne savait à vrai dire pas comment faire pour méditer, et tout cela lui semblait bien étranger. Il supposait que cela ne devait pas être bien différent des prières de son enfance, des vrais prières prononcées dans le noir, sans mots bien construits.

Il tendit son bras épais pour tester l’eau, et ne fut pas surpris par la force de cette dernière, qui sembla opposer comme une véritable résistance physique à l’intrusion de son membre. Grognant, il s’engouffra tout entier, ignorant la sensation désagréable qui assaillait le haut de sa tête. Il croisa les jambes sur la roche lisse, cette dernière rendue douce et accueillante par des siècles d’usure, et il ferma les yeux. Méditer. C’était là une bien belle idée. Comment faisaient-ils, déjà ? Il avait en gros l’idée : il fallait rester immobile, calme, les yeux fermés. Ce n’était pas la partie la plus compliquée à saisir. Mais la suite lui échappait, lui qui était plus habitué à toujours vivre dans l’action et le mouvement, lui pour qui l’immobilité et la stagnation avait toujours été synonymes de morts.

La nature ne méditait pas. Le lièvre ne méditait pas, pas plus que le loup, l’élan, la buse ou le saumon. Il inspira, l’odeur de l’eau et de la roche mouillée envahissant ses cavités nasales, et il expira.
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty Re: La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Ven 11 Déc - 14:38
Le système ne lui demandait après tout pas de méditer comme aurait pu le faire un moine bouddhiste. Il lui demandait de méditer, simplement, et il supposait que c’était alors à lui de décider des termes de l’expérience. Il réfléchit au concept de nirvana et d’illumination, buts avoués de ces exercices. C’était l’idée d’atteindre le vide, de réaliser non pas de manière intellectuelle mais profondément intime sa connexion avec l’univers au sens spirituel du terme, et donc son absolue présence, et paradoxalement sa totale insignifiance. C’était l’acceptation de soi non pas comme individu, mais individualité collective. Cela ne l’intéressait pas. Retourner à l’océan primordial, observer en prenant des airs émerveillés des trous de lapins et des fougères qui parasitaient des troncs, cela ne l’intéressait. La nature n’était pas belle, ou grande, ou majestueuse. Elle échappait au concept de beauté, pour simplement être. Une idée plus pertinente aurait été de la qualifier d’hostile. Elle n’était pas pour l’homo sapiens, l’homme sage et plein de pensées parasites, l’homme qui se réfugiait dans ses oasis de métal et de béton.

L’eau sur sa peau était fraiche, et il lui semblait que la cascade se faisait moins difficile à supporter.

Lui non plus n’était pas de la nature, se rendit-il compte. Il n’était pas non plus réellement des hommes, il ne l’avait jamais vraiment été, mais cela ne suffisait pas à faire de lui une bête. Il se déplaçait toujours sur des voies de béton, dans une carcasse de métal propulsé par les restes pressurisés puis métamorphosés d’anciens organismes microscopiques pulvérisés par les grands mouvements géothermiques d’une sphère de roche gigantesque et minuscule dérivant dans l’infinité d’un espace absolument froid et vide et pourtant plein d’un mouvement bouillonnant. Il était un amas de chair formé par des siècles de hasard et de sélection et de déficience et si son front et ses yeux n’étaient pas comme ceux de nombres de ses frères et qu’il avait échappé à la déficience génétique qui condamnait le sang incestueux et pourri de sa lignée, sa fêlure était plus pernicieuse, se manifestait en opposition à eux : eux devenaient des humains faibles, aux esprits faibles et aux corps faibles. Lui devenait un non-humain, à l’esprit non-humain, et maintenant au corps non-humain, grâce au système. Etait-ce pour cela que cette entité l’avait choisi parmi tant d’autres ? Pour son histoire, pour son héritage, pour ce qu’il se promettait d’être et de continuer à devenir ? Ce n’était pas là des questions importantes, et elles étaient pourtant essentielles. Sa vie était une lutte, depuis qu’il était né dans le froid ancestral de la Russie la plus sauvage. Il avait tué avant de savoir lire, il avait commis les actes les plus tabous avant de former ses premières connexions romantiques, il était le monstre du folklore et des histoires, celui que l’on voulait conjurer quand on couchait sur des lignes hésitantes les fantasmes collectifs qui résumaient la part noire de l’Homme.

L’eau sur sa peau était tiède. Elle avait la température de son corps. Il ne sentait plus son mouvement.

Il n’était pas mauvais, finalement, à cet exercice. Il suffisait de laisser la pensée guider l’action immobile du cerveau, de voir en soi les multiples connexions neuronales s’agiter et bondir comme autant de poissons remontant les courants pour trouver les eaux propices à la continuation de l’espèce. Lui ne continuait pas l’espèce. Il ne savait même pas si il voulait un jour s’accoupler, et devenir pour la prochaine génération ce pont génétique. Son ADN était irrémédiablement viciée, et si elle ne se manifestait pas chez lui de manière visible, il craignait de voir un jour sa progéniture adopter les traits difformes de ses frères et sœurs les plus touchés. Etait-ce préférable à l’adoption de ses propres caractéristiques ? Il lui faudrait de toute façon pour cela trouver quelqu’un avec qui se compléter. Cela n’était pas la priorité. Dissiper cette idée gênante, se reconcentrer sur l’eau et la pensée et l’union du liquide et du mental et du mystique. Le courant balayait les déchets, ne laissait que les choses pures et essentielles. Il souffla, il inspira. L’odeur de la roche, celle de l’eau. Celle de son corps, maintenant. Que faisait-il ? Il participait à un rituel auquel il ne croyait, mais qui transformait sous son œil intérieur la forme que prenaient ses pensées. Il n’y avait plus là la manière habituelle qu’il favorisait lorsqu’il s’autorisait à redevenir lui-même.

Jaillir – briser/avaler – Fort – Rapide : urgence – Comprendre/ressentir – Vite – Danger – Réponse/sécurité.

Cela n’était plus, et pourtant était encore. C’était comme si cet état d’esprit qu’il avait passé tant de temps à mettre en place, ce travail de transformation qu’il avait entrepris pendant les deux ans qu’avaient duré sa retraite loin du monde, quand les forces officielles de son pays traquaient encore le tueur mystérieux qu’elles devinaient en lui, c’était comme si tout cela s’anéantissait en une explosion fertile, sur laquelle s’apprêtait à rejaillir tant de choses. Il était sur le point d’enfin se comprendre, comprit-il. Lui, Kulikov Vsevolod "Vova" Yegorovich, héritier et transformateur. Il allait faire le pont entre la partie primaire qu’il avait érigé en totem mythologique, et son humanité. Et de cette synthèse surgirait un homme nouveau, et il comprendrait enfin le sens de cette torture qu’était son existence.

Sa peau était sur l’eau et la pierre de son esprit remontait le courant de la montagne et les nuages dans le ciel étaient autant de caractères cyrilliques et de kanjis et de cris de bêtes et il était dans le ciel et il était le ciel et la sensation apaisait et libérait et il allait enfin comprendre et…

Le système tinta, le bruit le surprenant et le tirant de sa méditation transcendantale. Il se mit de nouveau à ressentir l’eau, non pas comme une part de lui, mais comme de l’eau, tout simplement. Sursautant, il perdit le contrôle de ses muscles endoloris, et bascula en avant, tombant dans l’eau, son épaule heurtant au passage la roche et manquant de peau de se disloquer. Il poussa dans le liquide un hurlement de révolte et de rager indigne, avant de remonter à la surface. Sa quête était complète, lui indiquait le système, et il ne lui restait plus qu’à profiter de ses récompenses.
Contenu sponsorisé

La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo] Empty Re: La plus belle sonnerie [Quête hebdomadaire solo]

Revenir en haut
Permission de ce forum:
Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Utilisateurs en ligne :
Connectés au cours des 48h :