Canette à fleur

Pour la première fois depuis des jours, la fenêtre de mon appart était ouverte. A croire que j’étais retournée des années en arrière, à vivre dans une résidence étudiante à la salubrité bien douteuse, le genre où les cafards étaient les propriétaires et que, qu’importe le nombre de bouteilles qui pouvaient être vidées, ces saloperies trouveraient toujours un moyen de s’en sortir. A croire qu’ils avaient survécus à deux bombes atomiques, et qu’ils continueraient encore.

Buvant le fond de canette qui restait de la veille, je regardais accoudée ce qu’il se passait dehors. Je devenais la vieille mégère qui jugeait les banlieusards du haut de son balcon rouillé qui, sans jamais dire un mot, ne se privait pas d’avoir un avis sur tout. Bref, tout l’inverse de la j’m’en foutiste convaincue et convertie que j’étais.

Respirer un peu l’air de dehors, me donner une impression de liberté… Ce n’était pas désagréable, mais pour autant, j’avais l’impression que ce n’était un plaisir sain. Comme si j’étais la confinée, l’exclue la rejetée, celle que l’on préférait mettre au placard et paumer la clef. Humpf, c’était un peu ça, mais maintenant, moi-même refusait de sortir. Avec ce qu’il se passait, ce que je voyais et toutes ces merdes qui ne cessaient de m’arriver, j’avais la trouille de faire le pas de travers. Une simple maladresse un peu trop voyante, et bam, allez direct vers l’asile. Le genre d’endroit encore moins sympathique où j’allais être reclu avec des types qui étaient vraiment dérangés eux !

Mais en fait… Peut-être que je l'étais.

Soufflant d’une manière agacée dans ma canette, ce doute persistait en moi. Pourquoi est-ce que, d’un coup, je commençais à voir ces fenêtres. Cette fiche qui me tourmentait, qui restait là, presque trop fièrement, à me narguer sur mes compétences et à me faire douter de si j’étais en train d’avoir l’hallu du siècle qui refusait de retomber. J’en devenais paranoïaque, et en plus de me miner la motivation, j’en arrivais à un point où ce truc allait me plaquer au lit toute la journée.

J’en étais à quoi… Deux siestes aujourd’hui ? Ça changeait de mes trois heures de sommeil d’une autre époque… Et pourtant, en en foutant pas une de la journée, j’étais tout aussi claquée… Et je parlais même pas de l’assiette qui trainait dans le micro-onde, encore pleine. L’appétit devait m’avoir quitté en même temps que la raison en fait.

Foutu gaz…

Foutu donjon…

Foutue vie en fait.

Ouais, y’avait pas besoin de statuer longtemps dessus. Ah… A croire que les choses allaient encore empirer, même si j’avais aucune idée de comment. P’tête que l’appart allait prendre feu et que l’assurance allait pas fonctionner. Ou le daron qu’allait se repointer. Limite, à choisir, je prend l’allumette direct.

Bon, faut que je me change les idées. Y’a la poubelle en bas, ouverte. Est-ce que j’y arrive toujours ? A lancer ma canette pour qu’elle tombe dedans ? Normalement, y’a pas trop de problème. Suffit d’un peu d’adresse et…

*Bonk bonk bonk*

Et merde...

Putain, j’arrive même plus à ça… Juste à lancer une canette dans une poubelle en contrebas ! Serieux, j’deviens quoi ? C’est pas possible, et avec ce bordel, j’suis sûr que l’ensemble des vieux du quartier vont se pointer si je vais pas la mettre proprement dedans. J’sens déjà leurs airs ridés se pointer dans ma direction…

Tss… Pas le choix. Va falloir que j’y aille. Juste le temps de mettre un pantalon et de sauter dans les chaussures… Sans chaussette hein, ça prendrait trop d’efforts. Et le manteau, histoire qu’on en parle plus. Bref, quelques étages plus bas, qui me semblaient être plus long qu’à l’accoutumé, je me retrouvais à chercher une canette qu’avait dû glisser sous une bagnole pas loin.

Le genre de truc que j’adore, vraiment. Manquerait plus qui ne pleuve pour que ce soit parfait…

Son modèle. Son inspiration. Sa senpai adorée. Celle qui l'avait vue grandir, devenir sage, diplômée, avant de faire de grandes études et de travailler dans de hautes sphères scientifiques... remuait son petit boule sous une voiture pour récupérer on ne sait quoi.
A se demander pourquoi Kasumi était venue la voir à la base. Une raison qui pourtant tombait sous le sens et était quelque peu dure à oublier pour la jeune femme. "Un peu" étant bien entendu un euphémisme et si elle avait pu se passer de salutations formelles, de prise de nouvelle et de demande sur ce qu'Hoshino faisait, elle aurait simplement foncé sur l'occasion de déballer son sac.

Tentant difficilement d'ignorer son interface et donc ce rappel constant de ce qu'elle avait subi, elle cherchait la motivation d'aller lui parler, se disant que probablement, le tout serait sujet à railleries. Hoshino l'avait connue à une époque qui lui octroyait moult dossiers la concernant. Enfant turbulente oubliant systématiquement lorsqu'on lui disait de laisser tranquille. Mais quelque part, la vision d'une grande scientifique, certes chômeuse, fouillant sous les voitures était un bon dossier en soi.

Kasumi laissa cette situation durer, se demandant qu'est-ce qui avait pu amener Hoshino à scruter ainsi les pneus usés des bagnoles du quartier. Pendant ce temps, la jeune femme observait, toujours quelque peu confuse, ces... statistiques qui lui étaient indiquées. sept en perception ? Cinq en intelligence ? Trois en constitution ? Ca n'avait aucun sens. Mais avec trois points de constitution, il n'était pas étonnant qu'elle se soit faite trouer si facilement. Si tant était qu'elle s'était réellement faite trouer. Mais rien que de repenser aux sensations, impossible que cela n'ait pas été réel. Trop réel, trop réel-

-H-HOSHINO-SENPAI !

Y repenser avait peut-être été de trop mais au moins cela l'avait forcée à entamer le contact. Elle se gratta l'arrière de la tête en poussant un soupir.

-Bonjour... excuse-moi, j'ai eu de sales journées récemment...

Kasumi se baissa, tout de même intriguée, observant sous les véhicules et dénichant une... canette. C'est en la tendant d'un air confus à Hoshino que la jeune femme se rendit compte que sa mentor n'était pas non plus dans le meilleur état, visiblement fatiguée, mal habillée, lavée. Si Kasumi s'était laissée aller... elle serait sans doute dans le même état. Heureusement que Junko l'avait poussée à aller travailler.

-Et on dirait que toi aussi.

De la main qu'elle avait de libre, elle tenait, comme à son habitude, un bouquet. Ce, à l'envers pour éviter que l'eau ne s'échappe par le bas. Elle le tendit à Hoshino, dévoilant quelques pétales violets tombant vers le bas. Kasumi tentait de varier les fleurs qu'elle lui offrait histoire de ne pas la lasser, sans pour autant leur donner une signification trop olé olé.
L'affection qu'elle portait à son aînée était très forte de par cette amitié de longue date mais jamais n'avait-elle voulu que l'on se méprenne sur des intentions plus... romantiques. Junko l'avait déjà soupçonné.

-Tiens, ce sont des glycines. Il y a un petit vase avec. N'oublie pas de bien arroser.

La jeune femme poussa un nouveau soupir.

-J'ai... vécu quelque chose d'assez horrible, j'ai besoin d'en parler à quelqu'un... Ca te dérangerait qu'on aille dans ton appart' ?

Elle espérait également qu'Hoshino puisse vider son sac.

Bon… Maintenant que j’en étais rendue à chercher une canette sous une lignée de bagnoles, je pouvais, assurément, réfléchir à toutes les conneries que j’avais pu faire pour en arriver là. Ouais, sans trop de conviction, je pouvais dire que c’était une mauvaise idée. Première fois que j’échouais cependant, mais la leçon allait bien être apprise, et les canettes, empilées sur mon bureau, allaient former une sorte de collection improvisée. J’étais un peu près certaine qu’il devait y avoir quelqu’un qui s’amusait à les collecter ou j’sais pas quoi… J’pourrais peut-être en avoir pour quelques milliers de Yens si j’avais ce qu’il faut, et encore. Ou bien avec l’aluminium je revendais au poids… Mais beaucoup d’efforts pour un résultat… Au mieux médiocre.

Ouais, un business plan basé sur ma consommation de canette était peut-être pas le plus viable, mais pas comme si j’avais mieux à réfléchir actuellement. J’avais l’air ridicule, complètement paumée et dans une situation pas très cool… Donc en gros, le genre de truc que j’me passerai bien. Et il manquerait plus que quelqu’un se pointe. Si c’était quelqu’un que j’connaissais en plus, le peu de réput qui me restait partirait en ptits copeaux de fumée. Ou un truc du genre.

Enfin, jusqu’à ce que j’entende mon nom. Mais bon, sous une voiture, j’avais de quoi me demander si j’étais pas en train d’avoir une bonne hallu à l’huile de moteur. Ça changerait pas de d’habitude certes, mais… Hey, je connaissais ces bottes. Enfin, je connaissais quelqu’un qui en portait. Ça, la voix et le « senpai »… Y’avait pas mal d’indices pour que mes quelques neuronnes encore valables puisse me dire qu’il s’agissait de quelqu’un que j’connaissais.

‘’Hey Shimi-‘’

*Bonk*

Le bruit de ma tête contre la bagnole. Quelle idée de me redresser en étant encore à moitié dessous. Punaise, j’en loupais vraiment pas une, qu’importe le moment en fait. Une douloureuse leçon allait être apprise aujourd’hui, et je fermais les yeux en serrant mes dents face à un coup complètement évitable…

‘’Pu… Tain…’’

Mais bon, hormis le fait que j’allais avoir une nouvelle bosse, chose pas forcément rare, au moins la canette était débusquée grâce au soutien de Kasumi, ce qui faisait que j’avais au moins une bonne nuée de raison de rentrer, d’autant qu’elle annonçait qu’elle avait pas vraiment passé de bons jours récemment… A croire qu’elle m’imitait sur ce point !

‘’Ouais, pas top non plus de mon côté. Mais j’m’y habitue, enfin j’espère. Enfin, juste une canette qu’a pas voulu aller dans la poubelle et que j’suis sortie pour ramasser.’’ Je soupirais face à un récit un peu décevant tout de même, constat de mon échec, pour dire, un peu vaincue : ‘’Faudrait ptête que j’investisse sur un engin débusqueur de canette… Ou que j’arrête de tenter de les balancer de la fenêtre. Au choix.’’

Et avec mon état, le choix le plus probable était le troisième, à savoir ni l’un ni l’autre. Même avec cette mauvaise expérience, j’allais surement m’y remettre, faute d’une corbeille déjà trop remplie et qui ne se vidait pas. Peut-être qu’un désintégrateur d’ordure pourrait être également intéressant en fait… Un incinérateur portatif ou quelque chose du genre.

Faisant craquer un peu ma nuque, je vis au passage que ma cadette portait quelques fleurs dans son dos, avant de me les offrir. Des glycines ? C’était sympa, même si vu comment ça tombait, ça paraissait un peu… Triste ? Des plantes qui tiraient la gueule. Au moins c’était raccord avec moi, mais de là à dire que j’avais une tête de fleur… Ouais nan, juste une mauvaise interprétation. L’important c’était le geste, et c’était toujours sympa de sa part de vouloir mettre un peu de déco dans mon appart.

‘’Hey, merci, et j’vais essayer.’’

Suivit juste après du fait de me gratter l’arrière de la tête un peu gênée :

‘’Ouais et… Les dernières ont pas vraiment survécues en fait. Pourtant j’les arrosais hein ! Mais je dois pas avoir trop la main verte. J’crois que je serais capable de faire faner une plante en plastique en fait.’’

Le pire, c’était que j’essayais. Après… peut-être que les fonds de canette était pas vraiment le truc le plus sain pour une plante, mais… J’savais pas trop l’effet du sucre sur un végétal. Peut-être que ça le boostait un peu plus ? Auquel cas, j’étais vraiment une sous douée complète. Cependant, la triste mine qu’elle affichait me laissait un peu penser que ça allait pas fort. Ça, et le fait qu’elle annonçait avoir vécu un truc plutôt « horrible », le genre de truc qui faisait froid dans le dos et qui avait de quoi inquiéter.

‘’Euh… Ouais, si tu veux. Enfin, j’suppose que si t’as fait le chemin jusqu’ici, c’est pas pour que j’te mette un vent à l’entrée ! Donc ouais, monte.’’

Juste quelques étages à gravir, un escalier qui me semblait être plus raide chaque fois que je le prenais, même si, ces derniers temps, c’était moins fréquent. J’connaissais même plus le nombre de marche.

‘’Fais comme chez-toi.’’ Fis-je après avoir tournée la clef dans la porte et laisser la pleine vue sur le champ de bataille qu’était ma piaule. Canettes vides entassées, vêtements abandonnés ci et là… Et ne parlons même pas de mon bureau.

‘’Ouais, je sais… J’dois faire des efforts dessus. Mais bon… Tu veux un truc à boire ?’’

Kasumi avait pris un petit temps à comprendre que le bruit qu'elle venait d'entendre avait été la cause de la durée qu'avait utilisé Hoshino pour se relever et que le dit bruit résulterait peut-être en une sale bosse. Quelle idée de fouiller sous des voitures en se mettant dessous aussi. S'accroupir suffisait, non ? Quoique maintenir l'équilibre dans cette position pouvait être difficile pour certains.

-Euh... ça va aller senpai ?

La petite insulte suivante indiquait clairement que non. De quoi avoir un peu honte que la scientifique soit la seule personne que la jeune femme appelait toujours ainsi. C'était un vieux réflexe plus qu'autre chose mais vu qu'il ne semblait déranger ni l'une, ni l'autre, cela avait simplement continué.
La raison de cette recherche laborieuse était donc qu'Hoshino avait lancé une canette par la fenêtre... visant une poubelle et elle avait visiblement échoué à atteindre sa cible, d'où la tenue négligée. D'autant que les solutions proposées pour arranger ce type de situations étaient assez saugrenues pour Kasumi.

-Viser la poubelle de ton appartement peut également être une solution.

Kasumi se retrouvait donc enfin face à Hoshino, dans une position quelque peu ironique. En quel sens ? Eh bien quand les deux filles s'étaient rencontrées, la plus jeune arrivait à la poitrine de la plus vieille. Des années plus tard, la plus âgée faisait désormais une tête et demi de moins. Cela n'empêchait bien évidemment pas le plus grand respect de la part de la Shimizu, restait que c'était amusant à constater.

Si l'on devait être franc, Kasumi savait parfaitement que son amie n'y connaissait strictement rien en plantes et ne prenait pas spécialement soin de ces dernières. Elle l'avait un jour surprise en train d'arroser des pétunias avec du thé glacé. Mais bon, elle conservait l'espoir qu'elle finisse par s'en sortir.

-Ca finira bien par rentrer ! Une fois par jour, à garder sur le rebord de la fenêtre au maximum vu qu'on est en Automne et à arroser au moins une fois par jour. Ce sont les dernières glycines de l'année, profites-en bien.

Bon, ces fleurs seraient sûrement passées de violet à marron d'ici la prochaine fois mais avec un peu de chance... qui sait. C'est un léger sourire sur le visage que Kasumi hocha la tête à l'invitation d'Hoshino, montant avec elle jusqu'à cet appartement qu'elle connaissait relativement bien depuis le temps. Et pourtant, elle ne s'attendait pas à un tel... bordel. A croire qu'on avait pas fait le ménage depuis bien longtemps. Et rien qu'à cela, la jeune femme avait pu confirmer les dires précédents de son aînée : Ca n'allait pas fort pour elle non plus.

-Je... veux bien un de tes ice teas. Et ne t'en fais pas. Je pense que si Junko ne faisait pas le ménage à la maison, ce ne serait pas bien mieux chez moi.

Lança-t'elle, cherchant un endroit sans linge sale, reste de nourriture, tâche puante non-identifiée où s'asseoir. Elle finit donc par trouver, non sans difficulté.

-Je t'avoue que j'ai encore... du mal à faire sens de ce qui s'est passé, je n'en dors pas la nuit. Tu vas sûrement me prendre pour une malade... Avant d'appeler les hommes en blanc, tu veux me parler de ce qui va pas de ton côté ?

Bon, une bosse de plus au compteur. Pas comme si ça allait me mettre ko. De toute façon, je l’étais déjà en fait, ma motivation étant restée dans mon placard ou dans mes chaussettes aujourd’hui, et s’il n’y avait pas cet incident malencontreux, je serais encore dans ma chambre à rien faire. Remarque, ça allait pas changer grand-chose, vu que ce serait ce qui m’attendait, juste en excluant la présence de Kasumi, qui était en fait la diversion un peu auto-invitée du jour. Non pas que j’lui reprochais hein ! De toute façon, en ce moment, je faisais rien. Genre littéralement rien. Et ce, tout le temps.

‘’Ouais ouais ça ira. J’me suis pas cognée si fort.’’

Je me frottais tout de même l’arrière de la tête, un peu surprise et abimée par ça. Quelle idée à la con aussi. J’en payais les frais. Pour une fois que je faisais les choses différemment… Ça m’apprendra à avoir des initiatives tiens. Le genre de truc qui se faisait immédiatement sentir, la bonne piqûre de rappel comme quoi j’étais une paire de bras cassés… Fin bon, c’était une autre histoire que le triste constat de ma précision.

De toute façon, j’avais jamais aimé le basket.

‘’Ça pourrait… Si elle était pas déjà pleine. Remarque, ça m’a pas empêché d’empiler des trucs dessus.’’

Restait que bon, fallait qu’on monte dans ma piaule, et qu’au passage je reçoive quelques conseils de jardineries. Non pas que j’allais les oublier, j’allais essayer, au moins un peu, mais… J’avouais pas être trop trop confiante en fait sur mes chances de faire survivre ce plan. C’était un peu une condamnation à mort que faisait ma cadette là en m’offrant ce cadeau, et j’étais la sinistre bourreau dans cette histoire. C’était… Un peu glauque en fait. Genre carrément. Mais bon, peut-être que sur un coup de bol, celles-ci allaient être suffisamment débrouillardes pour réussir à me survivre.

‘’Un ice-tea donc ? Vendu.’’ Fis-je, avançant vers le frigo et en l’ouvrant du pied, cherchant ensuite de quoi boire un peu. ‘’Et j’sais pas trop. T’es surement moins bordélique que moi.’’

Je savais bien que c’était pas vriament top l’état de ma chambre. J’veux dire, y’a quelques années, l’endroit aurait été bien mieux. Pas flambant neuf et sentant la javel non plus, tout de même, mais y’aurait pas eu un seul déchet par terre et la seule vaisselle qu’il y aurait eu à faire aurait été celle du dernier repas. Je savais bien que j’me laissais aller. Je savais que c’était pas normal mais… J’arrivais pas à faire le nécessaire.

‘’Faudrait ptête que je songe à louer ta sœur du coup… Enfin, pas sûre que ce soit le meilleur plan en fait…’’ Fis-je en m’affalant sur le lit alors qu’elle m’exposait ses problèmes. Un truc au point où elle n’arrivait même plus à en dormir ? Pas banal, et clairement pas un truc qu’elle allait oublier, malgré sa tête parfois pleine de trou.

‘’T’inquiètes. Si j’appelle les hommes en blanc, c’est moi qu’ils chopperont en premier.’’ Commençai-je, un sourire aux lèvres alors que je décapsulais sans ménagement et dans un petit « pshit » mon cylindre d’aluminium, tout en réfléchissant quelques secondes à ce que j’allais pouvoir lui exposer. Tout ? Pas sûr…

‘’Bah… De mon côté, l’habituelle quoi. J’arrive pas à retrouver un job et chaque fois que j’ai un mail, c’est un refus bien sec. Parfois accompagné d’insultes, genre « Votre profil ne correspond pas à nos attentes ». Ouais bon, ça l’est dans leur langage, celui des RHs.’’

Une gorgée bien longue. Trop en fait.

‘’Pas la motivation de faire grand-chose en fait. Et j’crois que ça s’empire… Suffit de voir c’que ça donne lorsque je tente un truc. Genre t’as bien vu la canette. Triste comme résultat hein ?’’

Je soufflais un peu mollement, posant mes deux bras derrière moi, sur le matelas, en levant la tête vers le plafond, là où siégeaient quelques petites bestiolles surement. Des araignées peut-être, prise dans leurs toiles.

‘’Et puis…’’

Je finissais pas ma phrase, restant un peu silencieuse soudainement. Est-ce que je pouvais vraiment lui dire un truc comme ça ? Lui expliquer ce que je vivais ces derniers jours ? Elle me prendrait comme une folle, mais bon… C’était surement déjà le cas en fait. Et… C’était peut-être la meilleure personne à qui je pouvais en parler. Avec un peu de bol, elle oublierait cette histoire et on fera comme si j’avais jamais ouvert ma gueule.

‘’J’ai tenté un donjon y’a quelques jours. J’savais plus où j’allais dans ma vie, et j’me suis dit, un soir « Pourquoi pas ». Et tu parles d’un plan… Genre peut-être le pire que j’pouvais imaginer. Et c’est pas pour t’imiter hein, mais j’me souviens plus trop de grand-chose. J’suis entrée, j’suis tombée dans une salle bien pourrie, et j’me suis réveillée je sais pas combien de temps après dans une ruelle. Tu parles d’une classe incroyable. Et depuis, j’me sens encore plus zarb qu’avant. Tu parles d’une vie !’’

Gobant la canette cul sec, ou plutôt son contenu, je balançais nonchalamment ma boisson à travers la pièce, non sans une très légère colère, mais aussi envers moi-même. Pas même venait-elle de s’installer que déjà je lui vidais mon sac. Fallait croire que mon absence de contact humain ces derniers temps m’avait clairement rendu… Comme ça.

A dire vrai, Kasumi ne savait elle-même pas si oui ou non, elle était bordélique. S'occuper seule de sa soeur l'avait forcée à faire le ménage et quand cette dernière fût en âge, c'est elle qui s'en occupait de son propre chef, éloignant même la fleuriste pour "ne pas la fatiguer". Ce n'était pas comme si elle avait matière à l'être mais bon.

-A voir si je me mets à vivre sans Junko un jour mais je préfère lui éviter une dépression nerveuse à huit ans.

L'idée de louer ladite soeur aurait d'ailleurs pu être une idée, si Junko n'était pas Junko. A savoir une petite peste qui envoyait bouler absolument tout le monde, y compris Hoshino. Surtout Hoshino en fait. Et la doctoresse le savait bien, elle en avait subi des chaises engluées, des punaises sur le lit et autres vannes très originales que ferait une enfant de huit ans.
Très mauvaise idée donc, mieux valait laisser la petite à sa programmation.

-Le bon plan, ce serait que tu te déguise en moi, comme ça elle le ferait avec joie mais j'ai des doutes sur l'efficacité de la chose.

Kasumi entama son ice tea, écoutant les problèmes d'Hoshino. Problèmes introduits de façon bien plus grave que les habitudes de vie qu'elle décrivait. la fleuriste voyait mal son aînée être emmenée en asile et mettre son appartement dans cet état pour de simples raisons de quotidien.
Elle continua de l'écouter, s'installant sur le côté du matelas et posant sa tête dessus, dans ses bras croisés. Elle aussi avait décidé de se lancer dans un donjon ? Plus elle en parlait, plus... des similarités se dessinaient, à tel point que Kasumi finit par relever doucement la tête d'un air un peu intrigué.

-Etrange... Il m'est arrivé quelque chose de... disons similaire.

Elle poussa un soupir, c'était à son tour d'expliquer la chose plus en détails.

-L'autre jour, je retrouve mon équipe, on va dans un donjon. Bas niveau comme d'habitude. Ils voient une salle blindée de trésors, me demandent d'y aller. La porte s'est fermée, j'ai respiré du gaz toxique et je me suis faite... tuer, je crois... Je me demande si je n'ai pas juste... subi une illusion mais c'était juste trop réel... La plupart de ses phrases était comme bloquées par une boule dans sa gorge. -Je me suis réveillée dans un hôpital... comme si rien ne s'était passé et... les sensations, la douleur... ça revient tout le temps. Ca tourne, ça me lance...

Kasumi dût reprendre quelque peu sa respiration alors qu'elle retenait quelques larmes de couler. Elle n'avait pas abordé son interface, ça lui semblait trop... irréel, alors qu'elle l'avait sous les yeux sur l'instant.

J’offrais tout de même un bien piètre spectacle à ma cadette. Punaise, dire que je l’avais connu au lycée comme la gamine qui voulait pas me lâcher la grappe, et maintenant elle gérait. Elle avait son boulot, ses responsabilités, un salaire et co… Punaise, ça renvoyait des années en arrière ça, et un assez gros doute sur le pourquoi je m’étais lancée dans de grosses études pour finir comme ça… Mais bon, c’était pas la première fois que je me réquisitionnais sur mes choix passés sans être en mesure d’apporter la moindre solution. Fin, si je pouvais inventer la machine à voyager dans l’temps, mais j’en étais pas encore à ce niveau là j’crois. Dans tous les cas, elle a sa sœur à sa charge, et c’est déjà beaucoup, même si la gamine est bien autonome

‘’Punaise, déjà huit ans… Et j’pense que ouais. C’est laaaaarge préférable comme ça.’’

Non pas que j’allais lui piquer sa sœur ou me proposer comme garderie. Les relations que j’avais avec elle étaient… Ouais, pas au top, et probablement qu’elle ou moi finirait par passer par la fenêtre pour une raison ou pour une autre. La cohabitation était… Pas vraiment notre fort. Loin de là.

‘’Ouais nan… Ça m’parait comme étant le plan cul sur tous les aspects. Genre grave.’’

Bref, c’était pas une bonne idée et il fallait passer à autre chose, et ça allait être les mésaventures qu’on pouvait rencontrer. De loin le sujet le plus engageant qu’on avait. Sarcasme, évidemment, mais bon, elle avait besoin de me causer, donc j’étais prête à l’écouter canette à la main, même si, finalement, ce fut à moi de raconter ma merde. Sauf qu’il y a quelques similitudes sur ce qu’elle lança après. Et genre… Pas qu’un peu. Le genre de truc à me faire avaler de travers et tousser comme une grosse boulet en plein milieude ce qu’elle racontait. Du gaz putain ? L’impression d’y être restée ?! Et des visions à la con genre illusion ?

‘’T’as vraiment vécue ça ?!’’

J’étais bien plus grave et plus sérieuse qu’à l’accoutumée. Genre j’étais tout de même assez cool et molle habituellement, mais là… C’était plus l’intensité. Genre le regard de feu qui te foudroie et t’interroge en même temps qu’à l’intérieur, c’était un peu la panique.

‘’J’veux dire… Tout ça ? Genre tout de tout ?’’

essayant d’avaler finallement ce qui m’était resté en travers de la gorge, je me frappais un peu le haut du torse, histoire de faire passer ça, avant de tenter de reprendre un peu mon souffle. Mauvais bail ouais, mais… Tout de même !

‘’Bon déjà chaud ton histoire, mais… Punaise, c’est genre le même genre de truc que j’ai vécue et que j’ai pas eu trop envie de raconter en fait. Quand j’dis que j’suis tombée dans une salle bien pourrie, en fait… Ça s’est refermée sur moi, et j’me suis fait gazée au point où j’me disais que j’allais y rester ! Puis y’a eu ce message et… Ouais après, la ruelle et le réveil difficile comme un lendemain de cuite je crois. Mais… Depuis, je vois des trucs. Des trucs qu’on devrait pas voir normalement, et…’’

Punaise, j’me faisais emporter dans mon élan. J’commençais à trop en raconter, et déjà, elle devait me considérée comme cinglée. Plus que je l’étais déjà.

‘’Ouais en fait… Euh… J’imagine que tu peux pas juste oublier ce que j’viens de dire. Genre la dernière phrase.’’

Le stress montait genre à fond, si bien que je me prenais la tête dans mes deux mains. Punaise, elle avait vécue la même chose, mais comment je pouvais être sûre que c’était pas que moi qui nageait en plein délire ?! Comment j’pouvais trouver un moyen d’en être certaine ? J’avais bien cette interface et…

‘’Attends deux secondes. J’tente un truc.’’

Juste le temps de regarder ces merdes là que j’essaye d’oublier habituellement. J’avais jamais tenté ce truc là, et j’étais même pas sûre que ça fonctionnait mais… Si y’avait moyen d’intéragir, alors… Ce serait la seule manière.

*Invitation de groupe envoyée*

Punaise, je savais pas quoi faire. Je devais réagir comment si je la voyais rejoindre mon groupe ? Et si elle le rejoignait pas ? Le stress montait genre beaucoup trop d’un coup, tout comme mes espoirs, et toute cette merde pourrait se finir comme une claque dans la gueule… Et je savais même pas quelle option je préférais en vrai.

''Et là, est-ce que t'as... Un truc ?''

Eh oui, huit ans, c'était précisément le nombre d'années qui séparaient le présent de la rencontre entre Kasumi et Hoshino. Junko en était le meilleur décompte vu qu'elle était née précisément cette année-là. Ainsi peut-être le terme "plan cul" n'était pas le meilleur. Mais la fleuriste savait bien que ce n'était pas l'intention, elle préféra ne pas rebondir.
Cependant, ce qu'elle avait craint semblait se réaliser car la réaction d'Hoshino avait comme un air d'incrédulité. Kasumi leva la tête, attendant de la voir agripper son téléphone pour appeler l'asile. Mais en fait, son aînée avait l'air plutôt choquée...

-Euh oui... ? En tout cas je crois...

Hoshino recommença à expliquer ce qui lui était arrivé... le plus clair concordait avec le récit de la fleuriste si ce n'était l'absence de mimique pour briser cou et colonne vertébrale. C'est surtout sur le côté "Voir des choses qu'on ne voit pas normalement" que Kasumi tiqua, relevant brusquement la tête.

-A-Attends quoi ?!

Oublier ? En effet, ça allait être dur. Car Kasumi vivait une succession d'émotions plus contradictoires les unes que les autres. Entre être rassurée de ne pas être seule, avoir de la peine pour Hoshino, désespérer que tout cela ait été vrai. Elle fût sortie de cette transe par une sorte de notification sur son interface. Ce n'était absolument pas le moment. Cependant, elle réalisa bien vite ce que c'était en alternant du regard entre le menu et Hoshino. Son doigt tremblant, elle... accepta l'invitation au groupe.

Fébrile, tremblante, elle mit plusieurs secondes avant de réaliser ce qu'elle venait de faire et ce que tout cela impliquait. Elle posa sa bouteille au sol avant de s'asseoir à côté d'Hoshino et de la prendre dans ses bras, le tout en commençant à sangloter.

-D-Désolée j'ai juste besoin d-de- J-Je suis t-tellement d-désolée, j-je-

C'était la première personne ave qui elle pouvait partager ces souvenirs douloureux, elle avait besoin de ce moment et malgré la différence de taille, il semblait que Kasumi était revenue à la petite collégienne collante qui avait besoin de réconfort auprès de sa senpai.

-C-C'est p-pas juste... C-Comment ça a-a pu nous arr-arriver...

Je savais pas trop ce que je faisais. Est-ce que j’étais en train de dévoiler ce qui pouvait bientôt être ma plus grande faiblesse à quelqu’un, ou au contraire j’me trouvais une confidente. Avec Kasumi dans les pattes, ça pouvait plus être la deuxième option, mais… Cette demande que j’avais envoyée, elle avait genre bien plus de sens qu’autre chose. C’était… Bah grosso modo, c’était genre savoir si j’étais complètement timbrée ou bien extra-lucide. Si j’voyais des trucs en plus ou que ma tête me lachait. En gros, l’asile ou pas, et j’avais clairement ma préférence dans c’te merde…

Et punaise, c’était un suspens. Genre pire qu’un film ou une série. Fin, c’était surement celle où j’étais l’héroïne, si c’était un truc du genre. Déjà que ces termes de joueurs de stats me faisaient croire que j’étais un personnage, si ça commençait à partir comme ça… Enfin, elle levait son doigt, vers un truc et… L’instant d’après, je vis la notification dans un coin de mon regard. Elle… Elle avait acceptée. Elle était là, dans mon groupe, à… A être là.

Elle avait acceptée…  Ça voulait dire qu’elle… Comme moi…

‘’Oh punaise…’’ Fis-je, le souffle coupée et l’air choquée. J’avais… J’avais quelqu’un qui partageait cette merde, quelqu’un qui avait traversée le même genre de truc que moi, et qui galérait tout autant à occulter ces messages et autres merdes qui étaient apparues. Bon sang, c’était… C’était vraiment chaud. Genre un max… D’un côté, putain ça me rassurait, et de l’autre… Bah forcément, j’étais inquiète pour elle, pour le comment elle avait traversée tout ça…

Et ouais, le calin fut clairement pas de trop.

‘’Woh t’en fais pas. J’crois que… Que ouais, on a besoin d’quelques instants pour digérer ça.’’

Je passais mon bras derrière elle, encore sous le choc d’apprendre ceci. Elle, vraiment ? La fleuriste qu’oubliait tout ? En même temps, pourquoi pas ? J’avais pas grand-chose de spécial surement, donc… C’était peut-être complètement au pif.

‘’T’en fais pas ma grande…’’

C’était… Dans le fond un soulagement. De savoir que j’étais pas complètement timbrée, qu’il y en avait d’autres qui partageaient ça. Et puis, le fait que c’était elle… C’était motivant, dans un certain sens. Ça voulait dire qu’on allait devoir affronter ces galères là ensemble, et donc… Que lâcher prise était encore moins permis.

‘’Je sais pas comment, ni pourquoi, mais… Si on est deux, ça veut dire qu’il y en a d’autres qu’on dû connaître ça. Et peut-être pas qu’à Hokkaïdo… Y’a surement une raison derrière, un truc qui fait qu’on est comme ça. Et va falloir qu’on recoupe ces éléments là.’’

J’essayais de me montrer un peu rassurante, mais j’y réfléchissais genre pas mal à cette connerie d’histoire.

‘’J’ai fouiné sur le net au début, avec un VPN, et… J’ai pas vu d’autres gens qui parlaient de ça. Et pourtant, j’ai fouinée hein ! Peut-être que les autres font profils bas, de peur d’être considérés comme des cinglés. J’t’avoue que j’ai fait la même, mais genre… Trop en fait. Vachement trop…’’

Un souffle, prolongé, alors que je passais mon deuxième bras autour d’elle.

‘’Mais ça fait du bien de pouvoir en parler… Et je pense que tu sais très bien toi-même…’’

Kasumi laissa quelques instants partager le début de ses pleurs et le moment où elle répondrait à Hoshino. Sur le moment, la seule chose dont elle avait besoin, c'était sentir qu'elle n'était pas seule. Cette sensation qu'elle n'avait pas eu depuis plusieurs jours. Mine de rien, les actions de son aînée la réconfortaient grandement. Les bras qui répondaient à l'étreinte, les simples mots "T'en fais pas", même s'ils étaient assez régulier chez la doctoresse, prenaient une autre teinte.

Laisser sortir ses pleurs en direction d'autre chose qu'un plafond avec la certitude qu'on ne diminuerait pas ce que l'on allait dire. Ne pas avoir la peur de recevoir ces éternelles phrases "Tu veux juste faire ton intéressante, il y a pire dans la vie". Sans forcément les avoir entendues de qui que ce soit, la fleuriste les avait senties dans le regard d'un certain nombre de personnes. Lorsque ses parents avaient quitté le pays pour la première fois, lorsque ses problèmes de mémoire se faisaient envahissants. Peut-être que ces gens ne le pensaient même pas au final mais Kasumi ne pouvait s'empêcher de le lire sur les visages, sur les réactions, même compatissantes.

Jusque là, elle ne s'était jamais retrouvée dans un état pareil. Elle avait déjà été triste, s'était déjà sentie abandonnée, seule, poussée à bout mais toujours se disait-elle "il y a pire que moi.". Ici, ce n'était pas pire qu'elle. Hoshino avait vécu la même chose dans un donjon, le même traumatisme et cela les affectait toutes deux à un niveau sans doute difficilement imaginable.

-J-Je suis juste-juste fatiguée... Depuis que j'ai-jai commencé les donjons, le-le... tout se casse la f-figure...

Les galères d'Hoshino étaient certainement bien pires mais Kasumi n'avait jamais senti son monde se craqueler sous ses pieds en l'espace de quelques semaines. Son groupe de donjon était constitué d'ordures. Entre railleries, répercussions physiques, limites et pression stressante imposée, la fleuriste avait maintes fois regretté de s'être lancée là-dedans. Cette histoire de joueur fût simplement le coup de couteau final, le dernier clou du cercueil. Clou qui s'accompagnait de grandes quantités de rouille.
Personne ne croirait son histoire de joueuse, elle se gardait donc d'en parler, Junko semblait peu impliquée là-dedans et ce n'était pas sa patronne qui lui offrirait le réconfort dont elle avait besoin. Pour faire simple, Kasumi vivait au jour le jour, comme si de rien n'était, tout en ressentant que tout allait mal.

Elle laissa les sanglots continuer durant deux longues minutes, écoutant Hoshino lui expliquer ses précédentes démarches et laissant ses pleurs devenir des respirations saccadées avant de finalement pouvoir reprendre doucement son souffle.

-Peut-être... que si on demandait via des comptes anonymes sur des forums... en navigation privée...

Elle tentait tant bien que mal de reprendre une discussion sérieusement mais c'était assez compliqué et le deuxième bras passant derrière elle ne l'encouragea pas vraiment à continuer.

-J'en avais besoin oui... Je me demande... combien ont vécu ça et si ça a été aussi dur pour tout le monde...

De voir ma cadette dans cet état là… Nan clairement, ça me faisait pas du bien. Genre pas du tout. Et dire qu’à la base, c’était juste une mioche pénible qui voulait pas me lâcher la grappe… Fallait croire que les choses avaient bien évoluées tout de même pour que j’me retrouve ainsi, à essayer de la réconforter en mettant de côté mes propres inquiétudes. T’façon, j’étais déjà pas au top, donc si j’pouvais servir d’estrade à quelqu’un… Ouais, c’était peut-être un poil réducteur de me dire que j’valais pas mieux qu’un marche-pied mais bon… Si c’était ce que je pouvais faire dans l’immédiat.

‘’C’est pas ta faute. C’est dur hein. J’veux dire… J’y suis allée qu’une fois et j’ai l’impression d’être une traumatisée complète. J’ai pas les flashbacks, fin pas encore, mais bon. C’était une mauvaise expérience… Mais ça ira mieux en s’arrangeant. C’est un peu la jungle pour les débutants là…’’

J’espérais que ça s’améliore, mais le feu des projecteurs avait tendance à rendre les gens… Carrément flippant en fait. Suffisait de voir les réactions nerveuses que certains de mon équipe avait fait en étant la une des médias. Truc de dingue et pas forcément très cool…

‘’Hum… J’sais pas trop. Mais j’imagine qu’ils doivent être dans l’même état. A se demander s’ils sont pas cinglés à voir des trucs. Ils doivent garder ça pour eux, donc… En fait, tout l’monde en fait peut-être partie.’’

J’affichais une mine un peu confuse. Dans les faits, j’me disais que ce genre de truc aurait probablement fuité tôt ou tard, et qu’forcément, on allait en entendre parler, que ce soit discrètement ou pas. Y’aurait bien quelqu’un qui balancerait sa bouteille à la mer en espérant avoir une réponse, d’une manière ou d’une autre. Ou alors… On était les premières. Les premières d’une nouvelle vague, de quelque chose qui allait peut-être bouleverser le monde… Ouais non, j’en étais pas à ce point là non plus.

Mais bon… Restait à savoir ce que j’allais faire du coup. Avec elle dans cet état…

‘’Bon… S’tu veux, tu peux rester dormir ici. J’devrais bien pouvoir faire un peu de place pour toi. On se commande un truc pas trop mauvais, on se vautre sur le canap à regarder des trucs un peu débiles, et on discute de tout ça jusqu’à… J’sais pas trop quand en fait. T’façon, mon rythme de sommeil est aussi défoncé qu’un oubli de pilule, donc bon…’’

J’haussais les épaules, avant de préciser :

‘’C’est si tu veux après. Et si ta sœur fait pas cramer chez toi en attendant. J’te laisse voir mais… J’suis pas certaine que dans cet état, tes jambes vont tenir le trajet.’’

En effet, l'on pouvait aisément qualifier un donjon de jungle pour débutants. Restait qu'en dehors de ses coéquipiers, les neuf premières descentes que Kasumi avait faites s'étaient déroulées de la bonne manière. C'était de son niveau, elle récupérait des matériaux, suivait le groupe, flinguait éventuellement de petits monstres gênants, puis elle s'en allait. La salle dans laquelle elle avait fini n'était en aucun cas une partie de la jungle, elle n'avait rien à faire là, c'était comme un piège posé soigneusement là pour tuer volontairement qui serait assez bête pour tomber dedans.

-Je ne sais pas, c'était *snif* faisable les jours d'avant... La salle où je suis rentrée, c'était pas censé être *snif* là... Je pense pas y retourner avant un moment de toute façon...

Envisager que tout le monde était joueur autour d'elle n'était guère rassurant dans l'idée. Cela voudrait dire qu'elle seule ne serait pas en mesure de le cacher... Elle et Hoshino en tout cas. C'était quand même à n'y rien comprendre. AUCUN autre cas, même sur internet. Comment cela n'avait-il pas pu virer public plus tôt ?

Kasumi était parvenue à reprendre son calme et la position qu'elle maintenait dans les bras de son aînée demeurait bien confortable. Elle aurait pu s'endormir ainsi et pour être honnête... elle n'était pas loin. Du moins si Hoshino avait daigné prendre une douche.
Mais enfin, la proposition de cette dernière eut le mérite de réconforter Kasumi qui posa tranquillement son menton sur son épaule. Elle poussa un soupir.

-Passer une soirée tranquille avec toi me suffirait bien... on a pas besoin de spécialement en parler, à part si tu veux vider ton sac aussi... Manger du fast devant la télé... c'est bien comme programme.

Cependant, elle fût vite ramenée à la réalité, devant expliquer à sa soeur qu'elle allait dormir chez quelqu'un. Elle s'extirpa donc des bras d'Hoshino, sortant son téléphone.

-Tu as raison, je dois la prévenir d'ailleurs. Elle se leva et composa le numéro. Allô Junko ?

-Kas, tu devais être rentrée y a une demi-heure !

-Oui c'est pour ça que je t'appelle. Je dors chez quelqu'un ce-

-QUOI ?!

-Oui chez Hoshino-senpai-

-Hors de question que tu dormes chez cette couillonne qui se croit plus intelligente que moi parce qu'elle aurait un "diplôme" ! RENTRE !

-Non.

-Maaaaaaaieuuuuuuuh ! Vous me gardez en haut-parleur.

-Ca suffit Junko, je dors chez elle et c'est tout.

-MAIS OUI ! Ca va finir au lit j'en suis sûre ! J'ai fait mon éducation hein ! Pas la peine de faire genre !

-Qu'est-ce que tu racontes...

-Oh joue pas l'innocente ! "Je me marierai avec Hoshino-senpai un jour gna gna gna" à chaque fois que tu rentrais !

-Comment tu peux te souvenir de ça ?! Tu avais deux ans !

-Change pas de sujet ! Est-ce que tu prévois de-

-Jeune fille. Je pensais ça quand j'avais quinze ans, j'ai évolué depuis et tu sais parfaitement que ce genre de choses ne m'attire pas. Je vais dormir chez elle ce soir que ça te plaise ou non et je te demanderai d'arrêter de me manquer de respect ou d'assumer ce que je pense.

-... Pardon Kasumi... A demain.

-A demain.

Le temps que Kasumi ne remonte les bretelles de Junko, le tout en haut-parleur, un froid glacial s'était installé. Les colères froides de la fleuristes envers sa soeur n'étaient jamais abusives, cette dernière étant une éternelle peste capricieuse. Il fallait l'encadrer, vite et bien. Pourtant la jeune femme se retourna tout sourire vers Hoshino, comme si elle allait lui vendre des fleurs.

-On commande quoi du coup ?

Bon, j’avais le choix entre le dilemme le plus critique de ces dernières vingt-quatre heures : quel genre de malbouffe allais-je pouvoir concocter pour nous deux. Fin, concocter… C’était plutôt commander dans une flemme qui m’était habituelle. Genre même pas appeler, et passer via un site web en enregistrant les infos puis bam, passage à la caisse. J’crois que je commençais à vouloir éviter de plus en plus les contacts humains en fait, et là, j’allais me retrouver à devoir parler durant des heures… Bon, ça allait aller, mais tout d’même, j’crois que ma gorge allait être perdue.

‘’J’vais voir ce que j’peux prendre. Mais on peut se mettre devant une série à la con. Pas comme si ça manquait en fait… Ou devant un vieux sketch de je sais pas qui. Je dois en avoir quelques uns sur un disque dur qui devrait être… Quelque part.’’

Grosse flemme de chercher, mais en même temps, c’était soit ça, soit regarder un écran noir pendant des heures. Tu parles d’une vie tout de même. Mais bon, ma cadette se releva, avant de commencer à appeler sa sœur. Une conversation classique certes, mais qui avait de quoi me faire froid dans l’dos. Fallait dire que la grande sœur s’imposait, et quand même, ça me faisait zarb de voir Kas’ comme ça. J’crois que c’est le genre de truc que je m’habituerais jamais. Dans ma tête, elle avait toujours quinze ans…

Et comment ça ça va finir au lit ?!

J’attendais qu’elle termine son remontage de bretelle pour la regarder avec un air un peu confuse. Certes, elle était un pot de colle lorsqu’elle était gamine, mais à ce point. Dayum, j’faisais tout de même un pâle fantasme.

‘’Eh bah, elle a l’esprit créatif ta sœur.’’

Façon de dire qu’elle se faisait des films et des grosses hallu’, mais bon, j’allais pas non plus le dire à voix haute. Surtout que bon, suffisait qu’elle ait mal raccrochée et bam, j’étais sûre de la voir débarquer dans je sais pas quoi en gueulant plus fort qu’une sirène de police ou qu’un réveil matin. Le genre de truc qu’on a envie de taper dessus hein… Hola, j’veux pas taper les flics moi, qu’est-ce que j’raconte ?!

‘’Et niveau commande… Y’a le MOS qui livrent rapidement.’’

Classique ouais, un simple MOS Burger, mais bon. Ça fera toujours le café, qu’importe la situation. La base de la base. Après, pas comme si ça manquait. J’connaissais les adresses.

‘’Y’a le Makudonarudo sinon, pas très loin. Tain, ils me remettent cette musique en tête là…’’

Je réfléchissais en même temps, avançant vers mon pc pour voir un peu ce qu’il y avait à portée. Y’en avait quelques uns de fermés, donc ça aidait pas forcément. Sinon, on pouvait toujours prendre à emporter, mais… J’avais un brin la flemme quand même. Genre… M’habiller. Me faire passer pour une personne responsable pendant quelques minutes. Tu parles d’une corvée quand même.

‘’Ou sinon la pizzeria du coin. Faudra attendre un peu, mais avec un poil de chance, y’aura le livreur là. Celui qu’est trop bien habillé pour son job.’’

J’sais pas si elle avait la référence. Après tout, il devait pas livré partout, mais bon, je l’avais déjà vu. Sympa le type, même s’il avait un peu l’apparence du mec complètement inaccessible.

‘’Barf… y’a un truc qui te tente ? Sinon, on peut toujours fouiller ma boîte au lettre. Doit surement y avoir une bonne vingtaine de pub dedans sur les p’tits établissement qu’on ouvert y’a pas trop longtemps.’’

Oh oui, devant une série, avec du fast food, c'était un bon programme. Un bon programme que Kasumi n'avait pas expérimenté depuis de nombreuses années, trop préoccupée par donner le bon exemple à sa soeur. Et si le comportement n'avait pas vraiment suivi, ce surtout dû à l'âge et au manque d'interactions sociales de la petite, ses habitudes alimentaires étaient particulièrement saines malgré quelques sucreries ici et là.
Ainsi, manger un burger, une pizza, bien gras, sales, mauvais pour la santé, devant une émission bien nulle, permettant l'éteinte totale du cerveau durant le visionnage, oh non, Kasumi n'était pas contre DU TOUT.

-N'importe quoi tant que je peux juste alterner entre la nourriture et l'odeur sur mes doigts et des rires bien gras.

Ce n'était sûrement pas ce qui allait déplaire à Hoshino dans tous les cas. Vu son état, vu celui de l'appartement et vu son tempérament de base. Cependant, Kasumi ne comptait pas non plus s'installer sur une pile de ne-sait-elle-quoi. Elle commença alors à rassembler tout ce qui se trouvait sur le canapé et autour de ce dernier... pour tout ranger, en petits tas sur le côté. Des tas organisés bien sûr ! Mais des tas quand même...

Passa ensuite le fameux coup de téléphone qui fit trembler l'appartement et probablement Hoshino, cette dernière soulignant l'esprit créatif de Junko... esprit pas si créatif que ça, compte tenu de ce vieux souvenir refoulé que la fleuriste aurait préféré tenir secret de son aînée.

-Ne m'en parle pas... Parfois j'ai l'impression qu'elle collectionne les dossiers vieux comme la télé cathodique du placard juste pour me les sortir en arguments...

Dans tous les cas, Kasumi écouta les propositions d'Hoshino côté fast-food... rien ne la faisait spécialement voir flou. Makudonarudo était assez hors de question, la fleuriste ne pouvait pas encadrer le goût de leur nourriture. Cela se jouait donc entre MOS, où elle n'avait pas mangé depuis bien longtemps et la fameuse pizzeria. La jeune femme était assez curieuse du livreur dont son aînée lui avait déjà parlé.

-Va pour la pizzeria, ton livreur m'intrigue, j'ai bien envie de voir à quoi il ressemble.

Oh bien sûr, Kasumi n'avait pas grand chose à faire du côté sexuel de sa vie mais elle n'était jamais contre voir un beau garçon bien habillé après tout ! Son fantasme aurait été un grand brun ténébreux, un peu monolithique mais au regard de braise... si elle cherchait.
Elle s'installa donc sur le canapé, plus étalée qu'à son habitude, avant de chercher la carte du restaurant dans la pile de détritus. Heureusement, elle l'avait repérée en faisant ses petites piles.

-Tu prends quoi chez eux d'habitude ? J'avoue que les noms ne sont pas très évocateurs... La... "pescatore" ? Au poisson ? Je pense me contenter d'une margherita...

Indécise, elle tendit le menu à Hoshino.

Me retrouver à être perdue devant une carte trop grande pour moi. C’était le genre de chose qui pouvait m’arriver malheureusement, et le fait d’avoir le choix… Eh bien, ça me prenait parfois plusieurs minutes pour réussir à trouver ce qu’il me fallait. Dans les faits, j’avais pas non plus un si gros appétit que ça, mais bon, en tassant un peu, devrait pas y avoir trop de problème. Fin si, ma ligne, mais c’était pas trop ma top priorité du moment. Et de toute façon, même en « normal » j’étais déjà considérée comme large par les japonais, simplement qu’ils en demandaient trop pour moi. J’pouvais pas non plus avoir la tête et le corps, quoique j’avais l’impression des fois d’avoir ni l’un ni l’autre.

Mais auparavant, y’avait tout de même cette histoire de vieux dossier. Une sorte de confit entre les deux sœurs, dont l’une était une encyclopédie aux nombreuses pages. Mais bon, Kas avait bien quelques secrets bien gardés, quand elle ne les oubliait tout simplement pas, chose qui arrivait… Eh bien, assez souvent.

‘’C’est vrai que ça doit être parfois un peu glauque de se faire ressortir des trucs comme ça… Mais bon, t’as toujours l’autorité sur elle. Quand tu râles elle t’écoute, c’est déjà ça… Reste à savoir si durant sa crise d’ado ça va être la même…’’

Ça partirait surement en vrille. Genre pas mal. Mais de là à dire si elle serait chiante ou non… Fin bon, la mienne avait été une petite révolution contre mon père, que j’pouvais difficilement saquer, même maintenant. Peut-être que parfois ça laissait des traces… Et j’étais pas vraiment callée en relation fraternelle pour gérer ça.

Mais bon, ce menu…

‘’Tss… J’hésite punaise… Y’a celle là qu’est pas mal… Mais l’autre là c’est hors de question… Bon tant pis, au pif. L’Américaine là. Ça devrait se faire.’’

Pas trop compliqué. Une valeur sûre en fait. Fin, pas la plus sûre du monde, y’avait des plus classiques, mais bon. Quelques clics, le passage de ma carte et c’était réglé, plus qu’à recevoir. Mais avant ça, je m’affalais comme une macchabée sur le canapée, manquant presque d’écraser au passage ma cadette, avant de prendre la télécommande, pour commencer à zapper et naviguer sur le catalogue.

‘’Bon… Faut pas un truc trop prise de tête… Hey, je sais. On met un truc qui se prend trop au sérieux alors que c’est de la merde. Et on critique la moindre incohérence qu’on voit. Curieusement, râler ça fait du bien.’’

J’affichais un léger sourire, tout en trouvant une cible bien parfaite pour l’occasion.

‘’Je l’ai, le remake de Shogun ! Grosso modo, la série originale, c’est un anglais qui se retrouve au Japon et qui entre au service d’un seigneur influant avec les jésuites et compagnie. Bah imagine que le remake, c’est un peu près la même chose… Au Congo. Mais toujours avec le truc samouraï et co. Genre les mecs en armure dans la pampa.’’

Bien évidemment que c’était un navet. Genre niveau cohérence et respect de l’œuvre, on était dans les bas-fonds des productions. Le genre de truc qui achète des licences pour pomper du fric tout en respectant le cahier des charges avec un ridicule pas possibles. Sauf le héros, bien évidemment.

‘’J’avais vu le trailer. C’était pas la joie, mais, avec un peu de dérision... Y’a moyen de vider autant de pop-corn que devant un débat twitter à la con.’’

Oh la crise d'ado de Junko... En voilà un moment que Kasumi redoutait fortement. Quoique la petite étant presque construite à l'envers, peut-être se découvrirait-elle une immense sagesse, se rendant compte de son tempérament insupportable jusque là. Mais la fleuriste devrait attendre quatre bonnes années avant de le savoir, trois si elle était chanceuse. De souvenir, sa soeur avait été difficile dès le début, ce ne serait que chose due qu'elle se calme à sa pré-adolescence. C'était à voir.

-Oh ne m'en parle pas... il n'y a rien que je redoute plus que ça. J'ai parfois l'impression qu'elle est née génie diabolique et qu'elle finira méchante de James Bond.

Kasumi se gratta l'arrière du crâne, penchant la tête sur le côté.

-Je sais bien qu'elle m'écoute mais je ne l'ai pas assez encadrée sur ses contacts sociaux, j'aurais dû la forcer à être plus souvent avec des gens de son âge. Comme quoi, je suis loin d'être parfaite sur ce point.

Kasumi observa alors Hoshino se dépatouiller comme elle le pouvait avec le menu, visiblement en difficulté pour choisir son repas... Comme quoi, elle n'était pas motivée par l'idée de voir son livreur. Lui laissant le temps de faire son choix, la fleuriste se mit à imaginer moult scénarios. Que voulait dire "Trop bien fringué pour son job" ? Peut-être juste un mec en costard ? Ou alors un travailleur de Pizza Planet déguisé en cosmonaute ? Ce serait bien fringué après tout... Des ailes déployables dans le dos, un casque transparent et une cagoule violette.

-Une Américaine ? Je t'en prendrai une part histoire de.

Il était donc temps de s'attaquer au programme. Et en l'occurrence, notre Hoshino semblait s'être décidée sur le visionnage d'un bon gros navet. Un script d'un ridicule sans nom donc le simple énoncé rendit Kasumi presque livide. Un sourire mort sur ses lèves et des yeux vides mais...

-C'est parfaitement pitoyable... Parfait, regardons ça.

Il fallait avouer que Kasumi évitait les belles daubes en général. Encore une fois pour l'éducation de Junko, elle préférait lui donner de bons standards de qualité. Bon, aussi qualitatifs que des films pour enfants pouvaient l'être. Junko restait très amoureuse de ce type de contenu. Il fallait bien qu'elle ait au moins un ou deux côtés correspondant à son âge après tout. Pour une fois, la fleuriste se permettait de regarder de la merde, une bonne grosse daube, un bien bel étron.

*DING DONG*

Kasumi sursauta et alla se planquer à l'entrée de couloir, de son calme olympien, voulant observer Hoshino ouvrir à son fameux livreur. L'on pouvait apercevoir son regard parfaitement neutre dépasser à l'autre bout de l'entrée.

‘’Tout est fini, Mamadou. Tout est fini. Ton maître est mort, ta famille décimée. Tu n’es rien de plus qu’un vagabond maintenant. Pire, un ronin, dont la simple vue sera une insulte au Bushido.’’

‘’Mon nom n’est peut-être plus, mais mes actes parleront pour moi. Aussi grande puisse être l’Afrique, tu entendras parler de moi, Pandanjila.’’

Bordel.

C’est vraiment de la merde en fait. Nan mais j’espérais pas grand-chose hein. Je savais déjà que rien qu’au concept, cette série allait être un naufrage catastrophique. Même les créatifs derrière devaient savoir qu’ils allaient droit dans le mur. Mais car y’a machin qui changeait pas d’avis qu’ils s’y sont lancés dedans tête la première. Et après ça s’étonne d’avoir des bosses…

J’étais pas exigeante hein. Même bon public. Mais là, c’était… Nah, c’en était trop. J’arrivais pas à prendre au sérieux cette histoire pseudo dramatique alors qu’ils mélangeaient les univers comme dans une fan fiction d’un collégien. Tu parles d’une histoire. Tu parles d’une merde.

‘’Punaise, j’réalise pas qu’on regarde vraiment CE truc.’’

Le katana contre le lion. Ils se sont vraiment enfoncés dans le délire… J’pouvais pas nier que la persévérance était une qualité hein, mais y’a un point où là, c’est forcé, tellement que ça en devient mauvais. Le pire c’était que les acteurs tentaient d’y mettre un peu de volonté, de jeu, mais… Qu’importe tout ce qu’ils pouvaient faire, ils m’embarquaient pas. Juste pas du tout.

Donc le fait que la sonnette vienne à retentir ne me sortit pas du tout de cette affaire. Loin de là en fait. Au moins avec de quoi manger en plus, ça serait un peu plus regardable. Probablement faux hein, j’étais certaine que ça allait s’empirer et qu’on allait avoir le roi lion balançant des lasers d’ici la fin de l’épisode deux.

‘’Ah, les pizzas. Avec un peu de chance, ce sera ce livreur dont j’t’ai causé.’’

Un peu d’espoir au moins, qu’on discute de truc comme ça. Pas forcément un mal de voir de beaux étalons… Ouais bon, suffisait de taper sur internet pour voir ça et plus si affinité, mais well, si le service était bon... J’crois que je m’embrouillais un peu là.

Bref, remuant mon postérieur pour sortir du fait que j’étais complètement affalée dans le canapé, j’avais à peine le temps de me lever que ça sonnait de nouveau. Et une autre fois durant le trajet. Bizarre… C’était pas pro de se montrer aussi insistant, et pourtant ça ressemblait pas à cette image que j’avais de lui. Peut-être était-il autre chose que cette image imprenable ? Bah, en dévérouillant et en faisant tourner la poigner, j’allais en avoir le cœur net…

‘’BONJOUR ! C’est pour les pizzas !’’

Je clignais des yeux rapidement alors que j’avais l’impression de m’être fait aspergée par des paillettes. Devant moi se trouvait une jeune femme, cheveux brun, toute en tenue colorée bleutée et avec un chapeau sur la tête. Et, bien évidemment, elle tenait dans ses mains les pizzas.

‘’Bon… Jour ?’’

‘’Oui, les pizzas ! Les vôtres !’’

‘’Oulà, calmos un instant… Vous êtes bien de…’’

‘’Oui, de Pizza Planet ! Je suis la stagiaire, mais hé, faut un début à tout. Et puis c’est toujours mieux que d’aller livrer le café. Enfin, y’a des entreprises qui livre le café ? Ou à emporter ?’’

‘’Euh… Surement ?’’

‘’Ah, dommage, j’ai loupé un business là…’’

‘’J’suis même plutôt sûre qu’on appelle ça un « café » en fait.’’

‘’Ah… C’pas faux. C’est même plutôt vrai en fait !’’

‘’Juste… Vous ressemblez pas vraiment à une livreuse.’’

‘’Ah ? Je ressemble à quoi ?’’

‘’Euh… A un mélange entre une magical girl et une énorme dose d’hallucinogène ?’’

‘’Exactement !’’

‘’Pardon ?’’

‘’Euh oui, la magical girl ! Enfin, pas vraiment. En fait c’est… Ouais, compliqué. Compliqué c’est le mot. Mais c’est un costume !’’

‘’Et… Pourquoi le costume ?’’

‘’Pour le cosplay !’’

‘’Le cos- En fait laissez tomber. J’peux avoir mes pizzas !’’

‘’Oh oui, bien évidemment !’’

Elle vint à me les tendre, alors que je réceptionnais mollement, un peu… Choquée. Où était donc mon beau brun ténébreux, pour qu’on vienne à le remplacer par… Elle.

‘’Enfin, c’est pas tout, mais je file ! A une prochaine foiiiiis !’’

Et elle partit en courant, telle une voleuse qui emportait avec elle la télé.

‘’Alors, qu’on soit claire. Je n’ai AUCUNE IDEE de ce qu’il vient de se passer.’’ Fis-je, avant de me tourner vers Kasumi, un air perdu sur mes traits, avant de placer un très long soupir, pour avancer à tâtons vers le canapé, pour finalement conclure : ‘’Mais au moins… On a les pizzas. C’est le principal. Je crois.’’

-Je n'avais jamais vu de catastrophe naturelle filmée, c'est ma première fois... avait répondu Kasumi à Hoshino lorsque le film passa dix minutes.

"Cesse donc ces inepties ! Personne n'entendra quelconque récit. Car aujourd'hui signe l'arrêt de tout scénario pour toi ! De Malawi à Lesotho, ton histoire sombrera dans l'oubli !"

"Jamais je n'abandonnerai Mamadou ! Ma deuxième femme..."

"Tu oublie quelque chose Pandanjila..."

"Non..."

"La place de la femme..."

"Non !"

"C'EST A LA-"


Quel dommage, la sonnette venait de camoufler le dialogue le plus épique de tout le cinéma... enfin le cinéma sud-africain pour sûr. C'était presque irréel aux yeux de Kasumi. Elle n'arrivait presque pas à en rire, elle observait simplement cette... chose passer à l'écran, en train de tristement collapser comme un château de sable trop près de la marée.

Certainement que si la fleuriste avait été plus colérique, elle aurait sauté telle Joe Dalton face à un Averell sous forme filmée. Mais c'était presque d'une fascination morbide qu'elle observait l'écran et il y avait fort à parier qu'elle serait si absorbée par cette catastrophe qu'elle en oublierait la pizza.

En parlant de pizza, il était donc temps d'admirer ce fameux livreur ! Comme prévu, Kasumi s'installa aussi discrètement que possible au bout du couloir dans l'idée d'apercevoir le bel étalon qui fournirait la pitance. Hoshino ouvrit la porte... lentement... lentement... MAIS PLUS VITE ALLEZ ! Voilà. Le liv-

-Ah.

Un mélange de surprise et de déception. On lui avait promis une pizza à l'ananas et voilà de la mangue. Une jeune femme, clairement énergique déguisée en... magicienne ? Oh très certainement que le narrateur sait qui elle est mais ce n'était pas une connaissance qu'il souhaitait transmettre dans la diégèse, non non !
Car Kasumi de son côté, croyait à une énième hallucination et à la possibilité que cette soirée ne soit en réalité qu'un rêve fiévreux durant son comas. Un peu désarçonnée, elle se dirigea vers la porte pour réceptionner les pizzas.

-Je dois dire que je ne m'attendais pas à ça. Venez en costard la prochaine fois, ça fera au moins la moitié du pari.

Petit cynisme gentillet passé, la fleuriste installa les pizzas à table, les coupant d'avance le temps que son aînée ne se décide à... n'avoir rien compris non plus.

-A remplacer un excentrique par une autre, cette pizzeria a tout gagné. Recommandons là la prochaine fois, peut-être que notre prince charmant y travaille toujours. proposa-t-elle avant de relancer le film.

"J'ai placé une barrière sulfuro-magnétique autour de la kouizine ! Ta femme ne peut s'échapper !"

-Je commence à me demander si cette soirée est bien réelle...

Là, j’me sentais un peu volée. Genre pas mal en fait. On avait remplacé mon beau brun ténébreux sombre et mystérieux par une ado en collant super bruyante ! Tu parles d’un cadeau toi… Et sans emballage hein ! Au moins les pizzas étaient un peu près intactes et les cartons n’étaient pas complètement retournés. Donc on pouvait dire qu’en soit c’était une victoire, au doux goût de déception… Tant pis je suppose, j’pouvais pas avoir du bol sur toute la ligne, si tenté que j’en avais à quelques moments.

‘’C’vrai que c’est zarb… Et un peu décevant aussi. Tant pis, le prince charmant se ferra attendre.’’

Quel cliché n’empêche. Il savait pas ce qu’il loupait. Une soirée canap avec des pizzas et deux jeunes femmes. Y’en a qui auraient posés des CVs pour moins que ça… Enfin, vu le programme qu’on avait devant nous, j’me demandais si c’était pas pour ça qu’il avait fuit. Ou qu’il se faisait désirer. Au choix en fait, mais perso, j’en savais rien. J’avais juste envie de me blottir dans une couette, non sans une part une pizza. Punaise, rien que d’y penser ça m’ouvre un peu plus l’appétit.

‘’Ou ça se trouve, c’est leur méthode. Ils t’envoient le beau gars au départ, pour que tu recommandes, et après, tu te reçois toute la troupe de cirque. Tu parles d’un plan… Si c’est ça, on a affaire avec des génies du mal qu’on vient de financer en commandant chez eux…’’

Je remuais un peu, cherchant la bonne position, avant d’ouvrir mon carton, tombant sur un plat qui avait de quoi me ravir tout de même ! Mais bon, fallait aussi reprendre cette théorie farfelue.

‘’Mais bon. Si y’a Vador, l’Overlord et Voldemort qui font des pizzas, j’crois que ouais, j’commanderai chez eux plus souvent. Juste pour la blague.’’

Ça et d’autres hein. La liste était pas exhaustive, loin de là. Mais y’avait aussi d’autres choses, notamment par le fait que la télé crachait des trucs douteux, si bien qu’une sorte de question existentielle sortait de Kas, si c’était bien réel ou pas.

‘’Tu peux toujours te pincer, mais… Au fond, c’est si important ? Même avec c’que tu m’as annoncé tantôt, j’ai une part de moi qui continue d’me dire que c’est pas possible, et que j’ai toujours un bad trip permanent et des hallus de dingues. Pourtant j’ai tout sous les yeux hein, mais… M’faut un peu de temps pour digérer. Donc bon, que ce soit vrai ou pas… Poses-toi pénarde, prend une part de pizza, et roule devant les conneries qui défile.’’

Une vie simple. Loin des problèmes. C’était peut-être ça qu’il nous fallait. Mais bon, dès que le soleil se lèverait, la réalité viendrait rattraper tout ça et nous amener dans ce triste monde, avec le lot d’épreuves et compagnie que j’avais pas envie d’affronter. Peut-être qu’en fermant les volets je… Ouais non, pas un bon plan en fait.

‘’Tiens, coussin. A celle qui s’endormira la dernière devant ces trucs là. Et ça m’fatigue déjà. Alors quand la digestion de la pizza va frapper, là… KO technique, net et sans bavure.’’

En même temps, à quoi les deux jeunes femmes s'attendaient avec ce beau gosse ? L'emmener à l'intérieur afin de lui faire découvrir les délices inconnus de deux amazones dépressives ? Il y avait mieux comme programme. Au mieux il aurait fini par manger triple dose de pizza devant la crème de la crème des films africains. Une bien grande déception se serait affichée sur son regard, la même qu'une femme qui vous autorise à "la monter" en parlant en réalité de la motocross qu'elle avait acheté le jour même.

-La prochaine fois, capturons la livreuse et demandons un beau garçon en guise de rançon.

La théorie d'Hoshino avait beau être saugrenue, il s'agissait là d'une bien belle façon de faire raquer du pognon à des jeunes célibataires en manque d'amour, c'était un excellent business plan dans lequel elles venaient de tomber ! Quelle horreur.

-Je n'imagine pas s'ils finissaient par envoyer la magicienne à un vieux pervers...

Mais bref, il était temps d'entamer les pizzas, ce sur une remarque qui ne manqua pas de faire... très légèrement sourire Kasumi, alors qu'elle enfournait une par dans sa gueule. D'habitude, elle y serait allée au couteau et à la fourchette mais elle avait ce que l'on appelait communément la flemme.
Un bad trip permanent... La fleuriste avait déjà plus ou moins pris l'habitude de son interface. Elle y naviguait aléatoirement, observant ses stats, ouvrant le profil d'Hoshino.

-Je me demande... Est-ce que cette interface ressemble à du jeu vidéo parce que les jeux vidéo existent... ou est-ce que les jeux vidéo ont ce type d'interface car certains les avaient déjà dans les années 80... ? Ce phénomène existe peut-être depuis bien plus longtemps qu'on se l'imagine...

Mais bref, Hoshino annonça bien vite que son statut "éveillé" ne tiendrait pas bien longtemps, ce tendant un coussin à Kasumi. Cette dernière s'installant contre l'accoudoir, elle réalisa bien vite que son aînée n'avait pas assez de place. Elle procéda donc à l'attrape par sous les aisselles pour l'installer contre elle, dos à elle. La fleuriste exultait quelque peu de pouvoir profiter de la nouvelle différence de taille entre les deux.

-Quand je pense que c'était l'inverse fût une époque. J'espère que je suis confortable.

Elle laissa Hoshino s'endormir, continuant pour sa part de regarder la télévision un peu mollement, zappant de chaîne en chaîne sans jamais trouver quoique ce soit. Elle finit simplement par éteindre l'écran avant de succomber à Morphée.