Danse lunaire

La nuit et sa lune a toujours inspiré l'animal qu'est le loup.

Un lien puissant est forgé entre ces deux choses, un lien qu'on ne saurait véritablement décrire. Un lien presque familial, où le loup se sent rassuré, proche de ce corps céleste, comme un enfant proche d'une mère.
La bête est donc plus libre dans ses mouvements en présence de cette planète. Cette lumière argentée qui illumine son corps… C'est quelque chose de spécial. Il y a un bien-être tout particulier qui se fait à ce moment-là.

Alors que les étoiles, filles de la lune, brillent dans ce ciel obscurci par la soirée, le loup fait son apparition dans une forêt. La forêt de Sapporo, près de la ville, ce lieu devenu si important pour lui… L'animal glisse dans les ombres, avant de se dévoiler à la lumière. Le Loup de Sapporo, voilà ce qu'elle est.

Mirai prend une grande inspiration, avant de fermer les yeux.
Elle se sent bien, elle se sent rassurée. Peu importe le froid de l'hiver, peu importe le vent glacial de la nuit. Peu importe l'angoisse des ténèbres- ténèbres qu'elle sait désormais présentes en elle…

Des rubans bleus sont autour de ses bras et de ses jambes, serrés. Ils laissent les doigts, le calcaneus et les orteils de libres, se terminant jusqu'à l'humerus au niveau du bras. Le loup a également un ruban autour du cou, de la même teinte qu'ailleurs. Le bleu de ce tissu est plus sombre que celui de ses yeux, toujours clos.

Une chemise noire à manches courtes, ouverte en haut.
Une jupe grise, courte, laissant ses jambes bien dévoilées, et entourées de rubans, n'allant pas plus haut que le genou.

Un choix vestimentaire marginal, étrange même.
Les couleurs sont sombres, mais elles sont illuminées par la lumière de la lune et de ses enfants.

Que veut-elle faire ? Qu'allait-elle faire ?

Elle ouvre les yeux, avec un regard… Perdu.
Un regard perdu, comme charmé.
Elle se laisse bercer, tournant sur elle-même, le bout de ses rubans à ses bras s'agitant avec elle.
Ses tresses suivent le mouvement, alors qu'elle exécute des pans légers, comme si elle volait. Ses paupières se ferment, alors qu'elle semble s'endormir tout en dansant, motivée et encouragée par les habitants du ciel ténébreux.

Elle suit une mélodie douce qu'elle seule peut entendre, une mélodie intime, comme des cristaux qui tintent, mélangés à des voix sans parole, comme des souffles se perdant dans le son.
Le froid ne lui fait rien.

Je dois rester calme…

Elle virevolte, bougeant ses bras très rapidement, mais avec une douceur étourdissante.

Est-ce que je suis libre ?

Elle saute, se mettant debout sur un rocher, avant de se jeter en arrière, et retomber sur ses mains. Cela fait, elle se remet sur ses pieds, avec une souplesse et une élégance imperturbables.

Est-ce que je dois lui faire confiance ? Est-ce que je dois me laisser dominer ? Est-ce que j'aime ça ? Est-ce que c'est vraiment ce que je veux ?

Les étoiles étincellent, comme des flammes blanches dans l'océan noir qu'est le ciel.
Elle a envie d'y nager.
Elle veut s'y noyer, plonger dedans et découvrir le monde à l'intérieur, le monde infini qu'est l'espace.

Pourquoi est-ce que je l'aime ?

Elle s'arrête tout d'un coup, sa respiration saccadée.
Elle baisse la tête, elle pense en silence.
Pourquoi l'aime-t-elle ? Peut-elle lui faire confiance ? Aime-t-elle être dominée ? Est-elle libre à ses côtés ?

Tant de questions se mélangent dans son esprit, jusqu'à-ce que, tout d'un coup, dans un éclat lumineux, Mirai lève la tête.
Ses longs cheveux tressés suivent le mouvement brusque mais éblouissant.
Elle regarde la lune et les étoiles.

Est-elle toujours un loup ?

Ses yeux brillent- ils brillent comme ils brillent d'amour pour Kasumi.
Ce nom qui fait écho dans son esprit, ce nom devenu si important pour elle… Ce nom qui lui fait poser tant de questions…

Je suis… Je suis heureuse d'être amoureuse. Je suis heureuse.

Elle inspire un grand coup, avant de serrer les poings et d'hurler, hurler de tout son cœur :

JE SUIS HEUREUSE D'ETRE AMOUREUSE D'ELLE !

Elle hurle, elle crie de toutes ses forces.

Je n'ai pas peur ! JE N'AI PAS PEUR !

Elle grogne, avant d'inspirer, une nouvelle fois.

JE SUIS HEUREUSE DE L'AIMER ! JE SUIS FIERE DE L'AIMER ! Je lui fais confiance… Je veux vivre avec elle…!

Elle se souvient d'elle, et du sourire qu'elle avait lorsqu'elle lui a offert le bouquet.
Elle se souvient d'elle, et de son visage apeuré lors de l'escalade.
Elle se souvient d'elle, quand elle s'accrochait à elle, comme un koala.
Elle se souvient d'elle, quand elle avait les yeux larmoyants, après qu'elle ait vu ses parents avec elle.
Elle se souvient d'elle et-

Du moment où elle lui a dit que ce n'était pas de sa faute.

JE L'AIME !

Elle s'en casse la voix, son cœur frappant violemment dans sa poitrine.

Je sais qu'elle est… La femme avec qui je veux être…

Elle se souvient de leur premier baiser.
Elle se souvient des sentiments fougueux qu'elle a ressenti à ce moment-là.

Elle est… La femme de ma vie…

Oh ? Vraiment ?

Elle serre davantage les poings, comme les dents.

OUI ! JE LUI FAIS CONFIANCE ! Avec elle, je n'ai pas peur !

Elle frappe un arbre, le faisant vibrer au choc.

JE CHANGERAI ! Avec elle… Je sais que je peux…!

Tu lui fais vraiment confiance ?

JE LUI FAIS CONFIANCE ! Je veux… Je veux…

Elle avale sa salive, la gorge nouée.
Des larmes montent à ses yeux, avant de tomber en petites gouttes.

Je suis sienne, et je veux l'être… Pour toujours.

Hmhmmm… Et donc ? Tu veux être son chien ? Perdre ta liberté ?

C'est avec elle… Que je me sens vraiment libre.

Pourtant, tu dis que tu veux lui appartenir…

Elle inspire.
Doucement cette fois.
Elle sourit, très légèrement.

C'est vrai…

…





Et ce n'est pas question de mariage.
Mais de ce que je ressens.

Dans la nuit, un loup a hurlé.
Un loup a hurlé, et a fait voler les oiseaux.

Sa voix a envahi la forêt, réveillant celle-ci, et ses habitants.
Parmi eux, un plumé, qui observe la lune et les étoiles, comme il le fait. Un corbeau, perçant le ciel de son regard bleu.

Cette voix, il la reconnaît. Il la sent familière, et il ne peut s'empêcher d'en être attiré.
Alors, il prend son envol, planant dans les ombres entre les arbres. Les ténèbres ne semblent pas l'atteindre, lui qui paraît aussi lumineux que la Reine des Nuits. L'oiseau vole, battant des ailes vers la source de cet hurlement.

Le corbeau et le loup ont toujours été des animaux proches. Des compagnons de voyage. Une relation fraternelle puissante, loyale, intriguante.
Le corbeau est conseiller, et le loup écoute sagement. L'oiseau a toujours été en hauteur, et le loup n'a jamais pu l'atteindre. Pourtant, le prince des forêts, ce n'est pas le corbeau, mais lui.
Le corbeau a toujours été philosophique, intelligent, et protecteur. Il a déjà atteint l'Océan Noir, il a fait tout ce que le loup a toujours rêvé de faire.

Pourtant le corbeau n'a jamais été destiné.
Il a beau avoir été meilleur en tout, il a toujours été rejeté.
Peut-être que même en sachant voler, il n'est pas libre ?
Il n'est pas le Roi du Ciel, alors que le loup, même au sol, semble l'être.

Pourtant, le corbeau n'est pas jaloux. Le corbeau tient à son frère, et le protège en espérant qu'il devienne meilleur que lui.
Il veut le voir libre et fort, il veut le voir atteindre ses rêves. Le voir courir en appréciant le vent glisser sur sa fourrure- c'est quelque chose d'impressionnant.
Le corbeau est fier de son frère, bien qu'il ne soit pas expressif. Son bec ne lui permet pas de sourire, ni de grimacer.
Il ne grogne pas, il ne sait pas comment montrer ses sentiments- sans compter qu'il n'est pas tactile.

Le corbeau aime son frère, et veut toujours l'observer gravir les obstacles, lui qui est déjà au sommet.

Cette voix…

Malgré les années, le corbeau n'oublie pas. Ce lien fort qui les unit, il ne l'oublie pas.
Il avance donc, jusqu'à atteindre la lumière.
Baigné d'argent, le loup hurle sous ses yeux.
Il le voit, il est là, il le retrouve après tant d'années.

Mirai ?

Chiyo n'attend pas. Elle a besoin de savoir.
Sa voix grave résonne dans les oreilles de sa sœur, qui se retourne précipitamment, furieuse de sentir quelqu'un ici. Elle toise la jeune femme au regard vide.

Elle reconnaît ces yeux sans émotion.
Elle reconnaît ce visage stoïque et ces cheveux d'argent.

La voilà, après dix ans.
Elle est là, devant ses yeux.
Elle n'a pas beaucoup changé. Si ce n'est qu'elle est vêtue comme une religieuse désormais.

Ses yeux sont écarquillés, elle est paralysée, elle n'y croit pas.
Elle pense que c'est un rêve, elle se tient la tête, elle respire fort et bruyamment.

Chiyo avance, visiblement neutre.
Mais au fond d'elle, son cœur bat furieusement.
Elle n'arrive pas à y croire, elle non plus.
Après tant d'années, elle la retrouve enfin.

Au cœur d'une forêt.

J-J-Je… Je… Je peux… P-P-Pas… Je…

Les larmes tombent.
Elle voit sa sœur pleurer, alors qu'elle n'en montre aucune émotion.
Elle s'approche, elle s'avance, jusqu'à… La prendre dans ses bras.
Leurs cœurs battent au même rythme.
Elles entendent toutes les deux la même mélodie.

Le loup n'en croit pas ses yeux.
Le corbeau est descendu, il est descendu pour le voir.
Il est descendu, et est venu se coller à lui.

Je suis heureuse de te revoir.

Sa voix vide se multiplie dans ses pensées.
Chiyo… Sa grande sœur, elle est là. Elle est revenue, elle la… Elle la serre dans ses bras.

Pour la première fois.

Mirai éclate en sanglots, elle hurle son nom, en serrant l'étreinte.

GRANDE SOEUR ! GRANDE SOEUR !... G-Grande soeuuuur !

Chiyo lui tient la tête, pour qu'elle soit sur son épaule.
C'est si… Etrange.
Enlacer quelqu'un… C'est quelque chose… De différent.
Elle lui a manquée.

Je suis là, Mirai. Cela doit être étrange pour toi, après toutes ces années.

Elle lui caresse les cheveux, tandis que Mirai continue d'hurler son nom.

Ça va aller.

Elle prend une inspiration.
Une bonne inspiration, avant de chanter la berceuse qu'elle entendait chaque soir.
Une berceuse qu'elle a chanté la première fois, quand le loup a failli se noyer dans l'Océan Noir, en cette sombre nuit d'octobre…

Elle avait huit ans, ce soir-là.


Mirai l'écoute.
Elle se souvient de cette chanson.
Elle l'écoute, alors que ses cris s'éteignent doucement.
Elle l'écoute en fermant les yeux, reniflant encore un peu.
Sa grande sœur est là, et elle la rassure comme elle peut.
Sa voix est toujours aussi belle.
Elle n'a pas changé- ou peut-être est-elle devenue encore plus belle ?
Mirai la serre contre elle.

Elle s'endort dans ses bras, comme elle l'a fait la première fois.

Chiyo pleure, pour la première fois.

Je suis heureuse de te revoir, petite sœur.

Corbeau et loup sont réunis.