Histoire

L'enfance de Marshall était imagée par les belles balades dans les réserves naturelles de l'Oregon, où l'on pouvait y croiser des ours de façon inopinée. Entre deux brochettes de chamallow, quoi. Le jeune enfant était plein de ressources, il se passionnait pour la spatiologie avec la même flamme qu'il utilisait pour souder deux bouts de ferraille. Astronaute en herbe, mécanicien confirmé, il était destiné à accomplir de grandes choses. Seulement, il comprit plus tard que l'argent était une valeur sûre pour parvenir à ses fins ; ses rêves ne finançaient pas ses viandes séchées. Le petit Marshall devint alors un féru de statistiques, de comptabilité, dans l'unique but de rester proche des chiffres. Comme si le dicton "Sois proche de tes amis, et encore plus proche de tes ennemis" prenait tout son sens. Son don, l'éveil reçu à douze ans, était comparable à un cadeau empoisonné, à un plat sans saveur. Un pétard mouillé en guise de boule de feu et basta. C'était la douche froide, voire même givrée pour le gamin. Il développa une forme d'amertume vis à vis de ces manifestations et survola sa scolarité avec une maturité hors-norme.

Grâce à ses résultats exceptionnels au lycée, ses études supérieures débutèrent à la très célèbre université d'Harvard. Un déchirement émotionnel pour ce natif de l'Oregon qui se retrouva de la côte Ouest à la côte Est des Etats-Unis en un clignement de cil. Il y fit ses gammes en matière de finance, de fiscalité et de droit avant d'être propulsé auprès d'entreprises cotées en bourse. Ses capacités de raisonnement et de logique dépassaient très largement les attentes de ses employeurs, plusieurs fonds d'investissement, succursales d'une holdings basée à Wall Street. Remarqué pour ses propositions indécentes en matière d'analyse de risques financiers, il fut envoyé au Japon afin de mettre un mot sur l'activité économique des nippons. Il intégra temporairement une guilde de chasseurs émérite avec un faux passeport, une fausse mission externe et un job d'auditeur financier.

Une fois sous les ordres de sa seconde de guilde, Marshall était devenu un nouvel homme. Exit les retards, les avances sur salaire, il fut recadré dès sa première semaine à cause de regards très insistant, à la limite de l'ostentatoire ; la fougue du jeune homme s'était envolée en un quart de temps. Plus les années passaient, plus il se confortait dans ce rôle d'auditeur, prenant un malin plaisir à mettre le doigt où les chiffres coinçaient. De plus, il savait pertinemment que son travail de contrôle impactait grandement ses primes alors il n'hésitait pas à grossir deux ou trois évènements ; selon lui, aucun système d'organisation n'était opérationnel, tout était toujours perfectible, même dans le presque vrai. Cette attitude lui valut d'être promu à plusieurs reprises, c'était l'une des meilleures manières d'évoluer au sein d'un groupe d'économistes, de chasseurs de trésors et d'opportunistes.

Il faut dire que pour cette guilde aux avantages fiscaux très suspects, il n'y avait qu'un pas entre le courage et l'avarice. L'américain, de part ses fonctions, s'était toujours infligé un funambulisme plus que maladroit sur ce fil des convictions. Des remontrances lors de réunions, des excès de zèle lors de collectes de cristaux, il ne voyait que la profitabilité de son activité. Ce fut avec un esprit embrumé qu'il s'engagea dans une énième expédition, qui tourna au drame pour sa propre personne. Un soir, il décida de rejoindre une force d'attaque présente à son métro. Ses jambes, attirées par la richesse, furent aimantées à l'énergie que dégageait le portail. D'une minute à l'autre, Marshall fut transporté dans une antre sans fond. Un dédale d'escaliers ne cessait de descendre vers une abîme pleine de noirceur. Il chercha un groupe d'hommes et de femmes qui pourraient lui sauver ses miches. Il n'en trouva point, mis à part le chant mélodieux d'une sirène qui l'emmena encore plus loin dans les entrailles de cette dimension. Il ne se l'avouait pas mais il était depuis tout ce temps sous l'influence d'une entité mystérieuse. Pleinement convaincu d'assister à la ruée vers l'or, il fanfaronna d'un air mielleux et victorieux : un comportement étrange qu'il n'avait pas l'habitude d'avoir. Pour cause, les chasseurs avaient déjà terrassé le roi de ce monde et étaient reparti bien avant l'arrivée de l'américain. Les minutes défilaient, la jauge d'adrénaline explosait dans une implosion de sérénité. A la fin de son périple, la lumière vint brusquement et Marshall fut en extase face à un oasis cavernicole et luxuriant. Une étendue d'eau jonchait le sol, épaulée par des vignes et des rosiers ; quant au fond du bassin, une infinité de cristaux arborait une multitude de couleurs. Subjugué par la situation, Marshall se laissa prendre la main par le reflet de sa cupidité. Jusqu'à la noyade. Seul, en perte de conscience, l'eau s'engouffrait dans ses voies respiratoires. La conquête de ses organes était absolue, la plénitude de l'apnéiste l'enveloppait d'un agréable linceul de mort.

Mort cérébrale.

Les minutes d'après, la pluie s'abattit comme un torrent de larmes hors de la station de métro. De chaudes gouttes mirent fin au rêve éveillé de Marshall, lui déchirant son voile de soumission. Il toussa aléatoirement, cracha des glaires en abondance, avant de reprendre ses esprits lors d'une puissante bousculade. En l'espace d'un instant, il était revenu dans l'effervescence de la vie métropolitaine. Il reprit les marches, attendant son métro comme un monsieur-tout-le-monde. Cette nuit là, il ne savait pas encore qu'il était devenu quelque chose d'autre, un autre lui, beaucoup moins terre à terre.