Histoire

Mitsuzawa Kaori,

suite au malheureux décès de votre soeur, Mitsuzawa Kaname, vous êtes à présent la dernière représentante en vie de votre famille. Cela fait de vous l’unique héritière légale de l’institut Mitsuzawa, conformément aux volontés de Feu votre soeur. Il vous incombe ainsi la responsabilité de prendre en charge la direction de l’établissement, et ce, dès réception de cette missive.

En espérant vous parler de vive voix dès votre sortie de l’hôpital,
SHOSUKE Okuma

PS: Je vous souhaite également un bon rétablissement.

Quelques lignes, un bout de papier frissonné entre mes doigts tremblants, et voilà comment ma vie a changé. Grâce à l’argent qu’avait économisé Kaname et d’un crédit auprès de la banque, il fût possible de financer une opération chère et expérimentale afin d’améliorer mon état de santé. Sans parler de guérison totale, je suis au moins capable de marcher de moi-même maintenant, et mon pronostic vital n’est plus engagé chaque jour. Donc oui, c’est bien une amélioration.

Alors peut-être est-ce le moment pour reprendre du début.

Si vous avez entendu parler de ma famille, c’est forcément grâce à sa plus grande oeuvre: L’institut Mitsuzawa. Fondé le siècle dernier, ce lieu isolé de la région d’Hokkaido était destiné à être un refuge pour les nombreux orphelins que la seconde guerre mondiale a engendré, un petit village en autarcie totale, entièrement prévu et équipé pour être autosuffisant en toute saison. Une sorte de paradis privé pour jeunes gens n’ayant nulle part où aller, où ils seraient nourris, logés, éduqués et surtout préparés à être indépendants. Aidés par le personnel de l’établissement réduit au strict minimum, ce sont en réalité les résidents eux-mêmes qui font tourner les trois-quarts du campus, au travers d’activités ludiques et de clubs organisés. Un coup de génie permettant à l’institut de réduire grandement ses coûts, un attrait plus qu’intéressant pour un organisme n’ayant aucun moyen de générer des revenus.

Pour le reste du bilan financier, il y a bien sûr les généreux dons, mais surtout diverses entreprises investissant dans la jeunesse, en échange de quoi les formations proposées par l’institut se préparent en collaboration avec les boîtes en question, et une fois la majorité atteinte les anciens locataires sont fortement invités à rejoindre l’une des entreprises sponsor, qui récupère alors un jeune travailleur qu’elle sait indépendante et surtout déjà formé à leurs méthodes et à l’utilisation de leur matériel. Et le nouvel adulte, lui, se voit déjà inséré dans le monde du travail sans avoir à passer par les pénibles étapes normales.
Une synergie fonctionnelle et réputée. Tellement réputée en fait, que même si nous sommes officiellement un orphelinat, on se retrouve de plus en plus à accueillir des enfants ayant des parents qui veulent voir préparés à la vie chez nous !

…
Chez “nous”. Ça y est, il faut croire que je m’y habitue déjà… Pourtant, jusqu’à recevoir cette lettre, ces histoires étaient bien loin de moi. C’était ma soeur jumelle qui s’en occupait, ces six dernières années. Kaname était forte, indépendante, charismatique, en pleine santé et capable de gérer haut la main sa vie de Chasseuse prestigieuse de la guilde des Chevaliers ainsi que la direction de l’Institut. Tout l’inverse de ce que je suis, malgré nos apparences identiques.  

Déjà, à notre double naissance, c’était évident que quelque chose n’allait pas. Kaname est sortie sans problème, et moi j’ai failli m’étrangler avec le cordon ombilical. Mais malgré ça, nos parents n’ont jamais fait de favoritisme, malgré la supériorité évidente de Kaname en tout. Enfin, non, peut-être pas en tout: Je la surpassais dans les domaines culturels et littéraires. Il faut dire que je passais mon temps à lire des histoires, quand j’étais petite… tandis qu’elle excellait en mathématiques et en sciences.
Ainsi qu’en sport. Mais là, forcément... dans ma grande chance, je suis la seule des deux qui ait récupéré la myopathie de Duchenne d’un ancêtre lointain. Une dégénérescence musculaire chronique et généralisée.

Enfin, tout ça pour dire que je ne risquais pas de devenir ingénieure ni de rejoindre l’équipe de football de Monbetsu.
...Oh, mince. J’aurais peut-être dû garder la surprise?
Bon, maintenant que c’est fait...
Donc: Oui, c’est dans cette Monbetsu là que nous vivions. Celle qui fût rasée lors des premières vagues de créatures.  

Ainsi, les deux descendantes et héritières de l’orphelinat Mitsuzawa en devinrent résidentes à leurs neuf ans. On retiendra ces années comme les pires de l’institut, où un régent temporaire fût choisis parmis les directeurs d’entreprise partenaire, qui s’occupa très mal de la gestion jusqu’à nos dix-huit ans, où Kaname fût enfin désignée comme nouvelle directrice pour essayer de sauver les meubles. Il faut dire qu’à côté, à cette époque… je vivais déjà surtout à l’hôpital depuis trois ans, car mes atrophies avaient alors atteints un stade où il devenait difficile de me mouvoir, ou même de ne pas être en danger de mort à cause d’insuffisances cardiaques régulières.

Et cette situation dura...jusqu’à il y a six mois. Kaname fût assassinée lors d’un donjon, par un de ces enfoirés de la guilde des Faucheurs. Je me souviens, quand c’est arrivé, j’étais… confuse. La tristesse et la colère sont arrivées après, bien entendu, mais au début…

Je veux dire, une prodigue comme elle aurait dû briller comme une étoile pendant des décennies encore, et vivre ses derniers jours devant une cheminée à profiter du résultat de son travail, ou alors périr par une action héroïque en se sacrifiant pour sauver le monde, quelque chose comme ça ! Pas juste dans l’anonymat, à rejoindre bêtement la trop longue liste des victimes des Faucheurs…

Et c’est ELLE qui devait m’enterrer, pas l’inverse putain !

C’est donc là où j’en suis aujourd’hui. Devant marcher dans ses pas, héritant du devoir de redresser l’Institut, la seule trace restante de notre famille. Mais franchement…

Est-ce que j’en suis seulement capable?