Pas si vite ! [Ft. Xue Shen]

Elle travaillait depuis maintenant trois jours dans le fastfood Rail Road qui était situé dans une rue adjacente à l'une des artères principales d'Ikebukuro. Loin d'avoir de quoi se payer un toit pour l'heure, elle dormait tantôt dans un karaoke, tantôt dans un cybercafé. À vrai dire, elle préférait le karaoke. C'était plus cher d'une vingtaine de yens, mais elle pouvait s'allonger sur les divans, là où elle devait choisir entre le sol et la chaise dans la petite cabine du cyber. Et là, elle allait bientôt terminer la quête qui lui demandait de ne pas dormir pendant quarante-huit heures, puisqu'elle avait ses deux jours de congé de la semaine demain et après demain. Ayant bien calculé son coup avec son nouvel emploi du temps, elle s'était écarté de la zone où était son travail, si jamais elle faisait une mauvaise rencontre. Comme ça elle n'aurait pas à l'abandonner, elle pourrait toujours y retourner plus tard si quelque chose se passait mal. Mais là, elle n'aspirait qu'à dormir au chaud pendant quelques heures au moins. Et les divans du karaoké seraient parfaits.

Poussant ainsi la porte de la petite enseigne qui s'enfonçait ensuite dans le pâté de maisons pour accueillir de nombreux chanteurs et chanteuses du dimanche, la jeune femme aux yeux pourpres particulièrement cernés en cette fin de soirée n'avait plus que deux heures à tenir pour valider sa quête, deux heures qu'elle perdrait en chantant et en buvant un peu grâce au salaire journalier qu'elle avait reçu. Saluant de la tête le réceptionniste, elle s'approcha du comptoir avant de se racler un peu la gorge pour avoir plus d'aisance à parler malgré la fatigue lancinante qui l'habitait.

« Konbawa... Une salle pour une personne je vous prie. »

Elle n'était pas encore venue dans cet établissement, mais elle savait qu'elle était loin d'être la seule à venir seule. En effet, nombreuses étaient les jeunes filles qui aimaient à venir seules pour s'entraîner avant de se montrer en groupe, notamment devant les garçons de leur âge. Elle espérait donc se faire assez discrète et ne pas être particulièrement remarquée.

Attendant ainsi le prix demandé par le réceptionniste, un homme brun à l'allure soignée, plus grand que la moyenne, et avec un petit air étrange qu'elle mit quelques secondes à remarquer. Ses traits étaient légèrement différents de ceux des japonais qu'elle avait l'habitude de recontrer. La fatigue aidant, elle oublia pendant quelques instants ses barrières habituelles et lança le dialogue.

« Excusez-moi... Vous êtes japonais d'origine ? Totalement je veux dire... Vous êtes métisse, non ?.. Ou totalement étranger ?.. »

Rougissant à la fin de sa question, se rendant compte qu'elle pouvait être mal interprêtée, elle s'empressa d'ajouter quelques mots pour se rectifier.

« Désolée, je n'aurais pas dû vous poser cette question trop personnelle ! Je ne sais plus où sont mes manières, toutes mes excuses ! »

Paniquée par ce qu'elle venait de dire et la gêne qu'elle avait ressentit chez le ressortissant chinois, la jeune femme qui avait son étuis de trompette et son sac de survie sur le dos se plia à quatre-vingt-dix degrés plusieurs fois d'affilé, toujours les joues rouges. Elle se demandait ce qui lui était passé par la tête, sans doute milles fois plus gênée que son interlocuteur.

« Je suis désolée ! Je sais pas ce qu'il m'a prit ! Désolée désolée désolée ! »

Posant l'argent et prenant la clef le regard vers le bas, elle s'empressa de disparaître dans le couloir, penaude. Arrivant à la salle, elle l'ouvrit rapidement et s'y enferma avant de se laisser glisser sur un divan, se cachant le visage en roulant d'un côté puis de l'autre.

« Aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaa-aaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaah !!! Mais qu'est-ce qu'il m'a prit ! J'ai jamais eu aussi honte ! Comment je vais pouvoir lui faire face maintenant pour commander à boire ! »

Il lui fallut ainsi bien dix bonnes minutes avant de se calmer un peu et de se décider à commencer à chanter un peu. Quitte à être ici sans pouvoir dormir dans les deux prochaines heures, elle comptait bien en profiter. Elle avait son argent du jour qu'elle pouvait se permettre de dépenser, ce qui correspondait à huit heures de karaoké et une boisson. Enfin, à vrai dire, c'était beaucoup plus que ce qu'elle mettait d'habitude, mais c'était exceptionnel puisqu'elle n'avait pas dormi la veille et avait fait sa "nuit" précédente en début de journée, avant le service du soir. Il lui fallait donc attendre l'heure de début de service du soir avant de pouvoir s'endormir avec la certitude d'avoir accomplit son devoir.

Patientant ainsi pendant plus d'une heure, elle se décida enfin à sortir de la chambre pour aller commander à boire. Elle avait besoin de prendre l'air aussi un peu pour tenir jusqu'à la fin de son planning. Emportant ses affaires avec elle comme elle le faisait toujours depuis qu'elle était en vadrouille, elle retourna s'adresser à l'homme de la réception.

« Je voudrais un jus de cerise s'il vous plait. »

Sortant la monnaie qu'elle posa sur le comptoir, elle n'osait plus trop lever les yeux, les joues rouges de honte. Patientant pour avoir sa boisson, elle regarda un peu vers l'extérieur. Un groupe arrivait apparemment. Alors qu'ils poussaient la porte, elle se retrouva nez-à-nez avec deux hommes qui tenaient deux femmes légèrement vêtues. Des hommes solides, avec des tatouages visibles. Des hommes qu'elle connaissait, et qui la connaissaient. Des récolteurs de dette. Ouvrant grand les yeux en les reconnaissant, elle détala vers l'intérieur du karaoké, serrant son sac contre elle, laissant la monnaie de sa boisson. Au diable cet argent, elle ne voulait pas se retrouver enchaînée à un lit dans un hôtel.

« PAS SI VITE TOI ! »

La voix des brutes résonnait et ils tentèrent de la rattraper. Au détour d'un couloir, elle vit une porte se fermer et s'y glissa derrière le couple qui venait d'y rentrer. Ces deux-là ne se rendirent même pas compte de sa présence, trop occupés à s'embrasser. Elle retint son souffle alors que les brutes passaient en courant dans le couloir.

« OÙ EST-ELLE ?! »

Attendant quelques secondes qu'ils s'avancent, elle ressortit en coup de vent et partit à toute vitesse vers l'extérieur. Elle n'avait qu'une option, la fuite. Courant de toutes ses forces, elle était heureusement bien plus rapide qu'elle ne l'avait été par le passé, avant son éveil. Elle sentait la mort derrière elle et des châtiments bien pires si elle se faisait attraper.

Fillant aussi vite qu'elle le pouvait donc, elle bouscula légèrement les deux femmes de compagnie qui attendaient leurs camarades stupides proches de l'entrée. Elles tentèrent de l'arrêter, mais rien y faisait, elles étaient beaucoup trop lentes. Sortant d'un seul coup à l'air libre, elle fila vers la sortie du quartier, là où elle savait qu'elle avait une porte de sortie.

Pourquoi ?! Pourquoi ces enfoirés devaient être là juste à ce moment ? Elle était épuisée, elle n'allait pas pouvoir tenir très longtemps. Si elle courrait plus vite qu'eux sur petite distance,  elle n'était pas certaine qu'elle ne se ferait pas rattraper dans cinq minutes. La fatigue lui tordait les boyaux, aidée par la faim et la soif. Elle n'avait pas mangé depuis ce midi et il commençait à se faire tard, la course poursuite allait être dûre.

La jeune fille courrait à perdre haleine. Son sac dans les bras, trompette dans sa saccoche dans son dos, elle sprintait aussi vite que possible, tournant encore et encore. Après trois bonnes minutes, elle s'approchait de la fin du quartier animé pour arriver à un quartier résidentiel. Ralentissant sur quelques mètres, elle reprenait difficilement son souffle tout en continuant de marcher rapidement pour aller dans les plus petites ruelles.

Marchant ainsi sans attendre, elle se remettait doucement de cette course folle qui l'avait amené à plusieurs centaines de mètres du karaoké. Elle se mit à tousser un peu, crachant ses poumons. Elle était épuisée, elle sentait qu'elle n'allait plus tenir longtemps. Et il fallait encore qu'elle reste éveillée presque une heure ! Cherchant des yeux des toilettes publiques, il lui fallut faire encore une centaine de mètres pour atteindre une nouvelle artère importante, plus au nord du quartier que ce qu'elle avait parcouru jusque là avant de trouver son bonheur.

S'y dirigeant prestement, elle s'y éclaboussa le visage et but jusqu'à plus soif. S'écartant enfin du robinet pour le laisser s'arrêter automatiquement, elle soupira profondément. Est-ce qu'elle pouvait y retourner ?.. Elle était épuisée, et elle avait payé pour une heure encore... Plus son jus de fruit qu'elle n'avait pas eu le temps d'avoir. Ça faisait pas mal d'argent partit dans le vide...

Non, elle ne pouvait pas laisser ça se terminer comme ça. Elle devait y retourner. Prenant son courage à deux mains, elle attacha ses cheveux en queue de cheval avec un bracelet qu'elle portait toujours au poignet s'il ne lui servait pas en tant qu'outil de coiffure. Doucement, elle se rapprocha, surveillant partout autour d'elle au fur et à mesure qu'elle revenait vers l'établissement où elle comptait bien dormir. Elle revenait par un autre chemin et elle espérait que soit les brutes aient lâché l'affaire, soit qu'ils se soient installés avec leur deux prostituées. Enfin, elles y ressemblaient fortement, mais elle ne devrait peut-être pas faire de jugement hâtif. Peut-être étaient elles seulement des escortes qui ne faisaient pas ce genre de service et se limitaient à de la compagnie, ça existait aussi pour les gens solitaires.

Remarque, elle aussi, en se coiffant bien, en se maquillant, en s'habillant convenablement, elle pourrait certainement faire la petite amie le temps d'une journée en étant payée. Elle pourrait se faire offrir à manger et recevoir quelques petits cadeaux en plus d'un salaire plutôt correct. Mais bon. Pour ça, il fallait pas mal de pré-recquis qui pouvaient sembler basique pour une fille lambda de son âge. Mais pour elle, c'était déjà trop. Elle soupira encore. Décidément, il n'y avait pas grand chose d'atteignable pour elle dans sa situation... Sinon faire la serveuse dans des fastfood. Heureusement qu'ils n'étaient pas regardants sur le passé de leurs employés, tant qu'ils étaient efficaces. Enfin, pour ceux où elle avait trouvé des petits emplois, c'était comme ça. Peut-être était-ce juste parce qu'elle attirait la pitié avec ses vêtements en sale état.

Quoi qu'il en soit, elle approchait à nouveau du karaoké. Doucement, elle se glissa jusqu'à la porte sans voir le quatuor. Il n'y avait plus personne semble-t-il, jusqu'à ce qu'elle voit le réceptionniste chinois revenir du couloir. Seul. Elle soupira et rentra à nouveau, époussetant un peu sa jupe.

« Toutes mes excuses pour le dérangement... Je pensais pas qu'ils me retrouveraient ici... Est-ce qu'ils sont partis ?.. »

Les yeux plein d'espoir, elle resta sur lui pendant de longues secondes. Elle avait totalement oublié sa maladresse de départ avec cette peur panique imprévue.

« Je... Hmmm... Je peux terminer les deux heures que j'avais commencé ?.. Et avoir le verre de jus de cerise que je vous avais demandé ?.. J'avais laissé l'argent là, ils ne vous l'ont pas piqué, si ? »

Hésitante, elle ignorait si elle allait se faire mettre à la porte finalement ou si elle pouvait avoir les services pour lesquels elle avait dépensé de l'argent comme prévu.

Haruna écouta avec attention le jeune étranger qui lui faisait face et qui lui expliquait ce qu'il s'était passé. Donc ses traqueurs étaient partis... Tant mieux. Il les avait mit K.O. ?.. Ça c'était plus gênant, ils étaient du genre rancuniers... Et si eux n'étaient pas très fort, ce n'était pas le cas de leurs supérieurs dont plusieurs étaient des chasseurs expérimentés... Elle se mordit la lèvre, baissant un peu la tête. Elle se sentait coupable de ne pas avoir été plus prudente.

« C'est gentil d'essayer de me rassurer... Mais ils restent jamais en prison longtemps ces gens là... Je suis même pas sûre qu'ils y aillent un jour... »

Leurs supérieurs avaient besoin d'eux et ils n'étaient pas du genre à abandonner si facilement leurs subalternes, surtout lorsqu'il ne s'agissait que d'une petite rixte de ce genre. Peut-être était-ce différent dans son pays, mais une chose était sûre ici, les yakuza avaient du pouvoir malgré ce que les gens pouvaient penser. L'arrivée des chasseurs leur avait redonner un élan de puissance mais ils se faisaient plus discrets désormais.

« Ah, donc pas avant demain... Bon tant pis... Jus d'orange vous avez ?.. »

La jeune fille se recoiffa un peu en écoutant le réceptionniste, remettant correctement sa tenue, un peu débraillée par sa course folle. Elle ne fit aucun commentaire lorsqu'il décida d'appeler sa supérieure et se contenta de patienter. Elle verrait bien ce qu'il lui dirait alors. L'écoutant à nouveau avec plus d'attention lorsqu'il eut fini son appel, n'ayant pas voulu être trop intrusive pendant le coup de téléphone, elle ouvrit grand les yeux, ne s'attendant pas du tout à ce genre de réaction. Avant même qu'il ne se mette à appliquer ce qu'il disait, elle fit non de la tête, bras tendus en avant, faisant non des mains en même temps qu'elle parlait, baffouillant un peu.

« Non non non non non ! Surtout pas ! Je vous en prie ! C'est très aimable à vous de proposer ça, mais vraiment, je vous en prie, ne vous embêtez pas autant pour moi ! Vraiment c'est très gentil, mais je ne peux pas accepter ! Vous avez votre établissement à faire tourner, je ne supporterai pas que vous fermiez juste pour moi, je préfère partir si ça doit forcément être le cas. Mais... Je préfèrerais juste rester... Juste... Passez un appel à ma salle si jamais ils reviennent, d'accord ? Mais je pense pas qu'ils s'embêtent à ça. Pour eux, je suis partie loin, il n'y avait pas vraiment de raison que je revienne. Et d'habitude je fais pas ça, alors ils s'y attendront pas, que je sois revenue ici. Non vraiment, ne fermez pas pour moi, juste un appel pour me prévenir si un groupe de yakuza arrive, ou que des hommes comme eux arrivent, d'accord ? Vraiment, ce sera bien suffisant ! »

Embarassée qu'un karaoké complet ferme juste pour elle, elle ne pouvait aussi s'empêcher de penser que s'ils faisaient cela, ses poursuivants auraient tôt fait de penser que l'établissement tentait de la protéger, et ce n'était pas pour l'arranger. Et puis elle ne voulait pas non plus qu'ils décident de détruire ce petit lieu où elle avait apprécié venir quelques fois avec ses amies lorsqu'elle était au lycée.

« Je veux bien aussi rester jusqu'à vingt-et-une heure par contre, si vous êtes d'accord... Ca devrait faire six heures environ, le temps qu'ils arrêtent de chercher dans le quartier... Ça... ça coutera combien ?.. »

N'osant pas avouer qu'elle voulait surtout dormir sans débourser beaucoup plus que ce qu'elle avait déjà sorti, elle fit un sourire un peu gêné, attendant le verdict du réceptionniste. Est-ce qu'il accepterait seulement de suivre ce qu'elle lui avait demandé, à savoir de juste laisser le tout ouvert pour qu'ils ne se doutent pas qu'elle était revenue ici ?..

Face à Shen, la petite brune eut un certain soulagement à savoir qu'il allait rouvrir rapidement le karaoké. Qu'il reste fermé quelques minutes n'était pas dérangeant, les hommes de main des prêteurs allaient mettre du temps avant de venir vérifier ici, même s'ils n'oseraient sans doute pas fouiller l'établissement de force. S'ils arrivaient sur place et que tout était ouvert de toute façon, ils ne se douteraient de rien. Ce n'était pas dans ses stratégies de fuite habituelles que de revenir au même endroit pour leur échapper, et ça, ceux qui la traquaient depuis plus de trois ans le savaient bien désormais.

« Ok, ça ira... Merci de votre compréhension... »

Le laissant donc faire son travail, elle retourna dans sa salle et s'y installa tranquillement, s'asseyant un peu. Elle sentit le sommeil venir l'attaquer. C'était dur, mais elle devait résister. Il ne lui manquait plus que trois quart d'heure environ, ce n'était pas le moment de flancher. Se mettant une claque sur chaque joue pour se réveiller avant de secouer un peu la tête, elle enleva son sac et sortit sa trompette de son étuis. Attrapant son chiffon, elle se mit à la nettoyer comme elle le faisait régulièrement.

« Désolée... Je peux pas te faire chanter aujourd'hui encore... Bientôt... »

Murmurant à voix basse, elle termina en silence. Ce n'est que lorsqu'elle rangea l'instrument que la porte se poussa. Le ressortissant chinois arrivait avec un verre de jus d'orange comme promis. Tant mieux, ça allait l'aider pour la fin du temps imparti. Tenir encore quelques minutes. Il fallait qu'elle reste debout, sinon elle somnolerait, elle le savait. Et elle ne pouvait pas se le permettre. Si jamais ça comptait comme un échec ? Elle aurait encore le temps de le faire, mais elle n'aurait que peu de temps pour récupérer de ces quarante huit heures là avant sa deuxième tentative. Et elle n'avait pas vraiment envie de prendre le risque. Haruna le laissa expliquer son point de vue, l'écoutant jusqu'au bout avant de répondre.

« Ah, d'accord... Je comprends. Merci. »

Alors qu'elle s'attendait à ce que la conversation cesse et qu'il reparte, il restait assis là. Les bras croisés, il ferma les yeux. Intriguée, elle ne comprit pas immédiatement ce qu'il comptait faire ou ce qu'il attendait. Elle sursauta alors lorsqu'il recommença à parler.

« Ah euh... Oui bien sûr ! Je... Je vais les appeler... »

Faisant un sourire un peu gêné, elle se dirigea vers l'extérieur.

« Je reviens vite... »

Allant dans le couloir, elle alla directement vers les toilettes, s'y enfermant et y patientant quelques minutes, parlant à voix basse, imitant un appel. Elle ne voulait pas qu'il la sache seule. Si jamais ce n'était qu'une méthode pour qu'elle se retrouve seule ici enfermé ? L'Arai préféra ne pas prendre de risques et lui faire croire que quelqu'un savait qu'elle était là et s'en souciait. Retournant avec lui, elle fit un petit sourire en s'inclinant.

« C'est bon, ils ne s'inquièteront pas comme ça. Merci, je n'y pensais plus. »

Lorsqu'il rementionna la tentative des gros bras de l'attraper, elle eut un sourire gêné à nouveau. Elle aurait préféré éviter le sujet... Mais il semblait qu'il ne lui réclamait pas d'explications. Bon, tant mieux, c'était déjà ça.

« Merci de votre discrétion... »

Son verre dans les mains, la jeune fille commença à le siroter, profitant du jus plutôt revigorant. Les agrumes avaient cette capacité d'aider à rester éveillé, c'était plutôt un bon choix finalement, sans doute meilleur que celui de cerise, quand bien même elle en préférait le goût. Un peu intimidée par cette situation inattendue, elle resta en silence, les jambes serrées, regardant la table. Elle avait la tête un peu baissée et attendait que le temps passe. Sans doute recevrait-elle une notification quand le temps serait écoulé, puisque c'était sa troisième et dernière quête hebdomadaire qui serait complète ?..

Gardant le silence, elle laissa le temps s'écouler lentement. Elle se levait parfois quand elle sentait la fatigue se faire trop grande, marchait un peu en rond. Puis enfin, elle remarqua que l'heure restante des deux heures qu'elle avait demandé au début s'était écoulée. Toujours pas de notification, mais cela faisait plus de deux jours complets qu'elle était éveillée. Estimant qu'elle avait donc réussi la dernière de ses contraintes, elle soupira de soulagement et s'assit dans la pièce.

« Du coup... Je comptais rester encore quelques heures... Jusqu'à la fermeture à peu près... Enfin... Je voudrais pas que vous vous sentiez obligé de rester... Et si jamais il y a un problème avec eux comme je disais... Vous pouvez toujours faire sonner le téléphone de la cabine, non ?.. »

À vrai dire, elle n'avait surtout pas très envie de se retrouver à dormir devant lui. Même s'il s'était montré avenant et très aimable jusque là, il restait un homme et elle ne le connaissait pas.

Gênée, elle ne pouvait s'empêcher de vérifier régulièrement si quelque chose de nouveau arrivait, une petite notification pour confirmer qu'elle avait bien réussi sa quête, mais rien. Elle était éveillée depuis à peu près deux jours comme il lui avait été demandé, mais comme pour les douze heures en mouvement permanent et les cinq heures sans toucher la moindre surface avec ses pieds, elle n'avait aucun signe qui lui permettait d'en être sûre. Elle ne pouvait qu'espérer jusqu'à la fin du délai.

Pensive, elle ne prêtait plus trop attention à son "garde du corps", trop concentrée sur sa quête. Est-ce qu'elle pouvait enfin dormir ? Rien n'était moins sûr. Elle ne pouvait qu'espérer. L'Arai finit cependant par considérer que le temps était totalement passé après un petit moment. Après tout, elle avait calculé son timing, elle devait en être à une petite demi-heure de plus que les quarante huit heures requises. Normalement, c'était bon. Elle s'adressa alors au chinois qui était toujours avec elle dans la petite pièce. Maintenant qu'elle y pensait, il devait la trouver tellement bizarre. Baissant un peu la tête pour éviter de croiser son regard, se rendant compte de l'étrangeté de son comportement, elle préféra ne pas faire de commentaire. Elle sursauta même lorsqu'il prit la parole de lui-même.

« Ah ! Aha... Ce n'est rien... C'est... Ces gens qui me suivent, ça me donne des insomnies... Mais c'est à moi de régler ça... Enfin... C'est compliqué... Désolée... »

Haruna préférait limiter au maximum les informations qu'elle lui offrait. Après tout, les premières impressions pouvaient être trompeuses, et il pouvait très bien patienter dans le but d'obtenir plus plus tard. Elle l'avait vu avec les prêteurs, ils attendaient comme des crocodiles dans l'eau et laissaient leurs proies s'avancer trop loin pour qu'elles ne puissent plus se mettre à l'abris par la suite. Peut-être était-il du même genre... Ou peut-être était-il simplement quelqu'un de bien. Impossible à savoir pour l'instant, et elle ne comptait pas jouer sa vie et sa liberté sur un pile ou face.

Restant évasive sur son manque de sommeil, elle ne voulait pas qu'il puisse être certain qu'elle était si fatiguée qu'elle ne se réveillerait pas quoi qu'il arrive. D'ailleurs maintenant qu'elle y pensait, c'était lui qui lui avait apporté son jus de fruit... Et si il y avait mit un somnifère pour l'embarquer ensuite ?.. Est-ce qu'elle pourrait se réveiller ? Non, ça ne faisait pas de sens. Elle se serait déjà endormie. Quoi que... Et si c'était un produit lent pour faire plus naturel ?..

S'embourbant l'esprit dans une paranoïa de plus en plus grande, elle ne put s'empêcher d'être soulagée quand il se leva. Il s'arrêta alors et se mit à mentionner un numéro de téléphone. Ah, il voulait qu'elle garde son numéro ? Ouf... Il ne lui demandait pas le sien. Elle aurait été bien embêtée sans ça. Mais d'ailleurs, c'était vrai qu'elle n'en avait pas !

Commençant à ouvrir la bouche pour le signaler, elle se ravisa bien vite. Elle avait fait semblant d'aller téléphoner un peu plus tôt pour qu'il croit que quelqu'un d'autre savait qu'elle était là. Elle avait failli se griller toute seule... Quelle conne. Bon, décidément, la fatigue, ça ne la réussissait pas. Elle décida cependant de parler à nouveau pour ne pas paraître plus suspecte encore qu'elle ne l'était déjà.

« Merci... J'y penserai si jamais j'ai besoin d'aide... Aha... »

Gênée au possible, elle attendit qu'il reparte pour fermer la porte derrière lui. Épuisée, elle s'allongea sur le divan où elle s'était installée plus tôt et en quelques dizaines de secondes tout au plus, elle s'endormit.

Elle se réveilla en sursaut. Quelle heure était-il ? Que se passait-il ? Où était-elle ? Elle mit quelques secondes à respirer fortement avant de retrouver ses repères. Karaoké, elle dormait depuis un moment. Quelqu'un frappait à sa porte.

« Mademoiselle ? Mademoiselle ? Mon collègue m'a dit que vous étiez ici. On va fermer pour la nuit. Mademoiselle ? Vous m'entendez ? »

Encore un peu dans les vappes, elle eut besoin d'une dizaine de secondes de plus avant de pouvoir répondre à l'homme de l'autre côté du battant de la porte.

« Oh euh oui ! Oui je suis désolée, je rassemble mes affaires ! Désolée !
- Ne vous en faites pas, je ne suis pas à la minute. Prenez votre temps. »
- Arigato gozaimasu ! Sumimasen sumimasen...  »

Elle se pressa de remettre sa tenue en état puis reprit son sac qu'elle enfila en bandoulière et son étuis de trompette dans ses bras avant d'ouvrir la porte en tournant la clef et de sortir dans la coursive. Dans sa poche, elle avait encore le papier avec le numéro de l'employé chinois.

« Combien je vous dois ?.. »

Le jeune homme qui lui faisait face la regarda quelques instants puis lui fit un sourire qui se voulait charmeur.

« Oh rien, rien ne t'en fais pas... Si... Si jamais, on peut aller prendre un verre dans un bar, je ferme boutique là, si t'as rien à faire de pressé... »

Rougissant un peu, la jeune fille baissa un peu les yeux puis se racla un peu la gorge.

« Ça aurait été avec plaisir mais ma famille m'attend, ils doivent se faire un sang d'encre je peux pas les faire attendre plus longtemps, désolée, une prochaine fois peut-être... »

Laissant le garçon rêveur, elle fila dans les rues illuminées du quartier bien animé encore à cette heure, se glissant entre les passants avec aisance.