Rencontre paranormale [Ft. Dr. Miyamoto Izaya]

Haruna se tenait la tête. Elle avait si mal depuis deux jours... Elle ne comprenait même pas d'où ça venait. Mais une chose était sûre, Jotaro et Jolyne avaient été très compréhensifs puisque malgré son absence lundi et mardi sans avoir pu les avertir, ils avaient accepté de lui donner quelques jours supplémentaires pour qu'elle se repose et se remette de ce mal étrange qui l'avait frappé depuis son réveil lundi dernier. Elle avait mit du temps à comprendre, avec son état. Mais maintenant elle savait. C'était le Système qui lui avait joué un sale tour et l'avait rendu ivre. Elle qui n'avait jamais goutté ne serait-ce qu'un mililitre d'alcool, pas même de la bière, ça avait été un choc terrible et elle avait eu du mal à s'en remettre.

Aujourd'hui, plutôt que rester chez elle à ne rien faire sinon être allongée, elle avait décidé de sortir prendre l'air au parc pour finir de se remettre de cette alcoolémie importune dont elle s'était débarrassé après deux jours d'efforts pour faire cette foutue quête hebdomadaire. La cinquième déjà. Ça faisait donc plus d'un mois qu'elle était dans cette situation... Pensive, elle observait le ciel, la tête tournant encore un peu. Elle avait emporté sa trompette au cas où, mais pour l'instant, elle n'en jouerait pas. Elle n'en avait pas la force.

Il lui fallut ainsi toute une journée à se promener et à se reposer sur des bancs du parc pour se sentir mieux, que cette envie de vomir ne parte définitivement et qu'elle puisse enfin ingérer un verre d'eau et un fruit sans avoir envie de les faire ressortir immédiatement par là d'où ils venaient.

Ce fut donc en fin d'après-midi qu'elle osa aller sur le promontoire qu'elle appréciait tant pour aller jouer un peu de son instrument. Elle n'y allait pas souvent, mais à chaque fois qu'elle y posait les pieds, elle s'y sentait chez elle. L'Arai s'y sentait protégée, et la présence du prédateur la dernière fois n'avait, en quelques sortes, que confirmé cette hypothèse. Car il ne s'en était pas prit à elle. Au contraire, il l'avait même protégée.

Avec cérémonie, la musicienne en herbe sorti son instrument puis entreprit de le nettoyer religieusement. Avec la plus grande attention, elle s'assura qu'il était en état parfait, puis enfin, elle se dressa face au parc calme à cette heure et prit une première inspiration. Elle avait toujours la même envie, la même passion lorsqu'elle pouvait prendre le temps d'en jouer. Et toujours elle y revenait, même lorsque le destin s'acharnait contre elle. Comme une abeille envoutée par une fleur miraculeuse...



Respirant fortement, penchée en avant, elle se sentait mieux désormais. Crier lui avait permit de relâcher la pression. De se reprendre. De se retrouver. Haruna se redressa alors, repoussant les mèches qui gênaient sa vision d'un geste de la main, sa trompette pendant à son autre bras. Elle ferma les yeux quelques instants. Elle se sentait mieux désormais.

Elle respirait encore rapidement, regardant vers le lointain, lorsque des applaudissements la firent sursauter. Rougissante jusqu'aux oreilles, elle se retourna pour découvrir une jeune femme souriante qui l'observait.

Elle se sentait ridicule, elle avait fait une folie. Elle avait crié. Crié à plein poumons. Crié jusqu'à plus soif. De toutes ses forces. De toute son âme. Elle avait crié pour expulser ce qu'elle avait sur le coeur. Et maintenant, elle devait faire face à la vérité des faits. Elle avait crié en plein milieu d'un parc alors que des gens s'y baladaient encore et elle avait eu l'air bien ridicule.

Haruna se plia en deux rapidement dans un salut gêné à outrance. Elle sentait la rougeur de l'embarras dans lequel elle s'était mise toute seule lui monter aux joues et appuyer là où la honte faisait mal, tourner et retourner le couteau de sa timidité pourtant plutôt légère et ainsi l'écraser, la clouer au sol. Elle qui était plutôt capable de faire face à des situations embarassantes, elle était là face à plus fort qu'elle.

« Sumimasen ! Sumimasen deshita ! Je sais pas ce qu'il m'a prit ! Sumimasen sumimasen ! »

Elle avait l'impression d'être devenue folle l'espace de quelques instants, de s'être ainsi comportée. Elle en était outrancièrement gênée. Qu'est-ce qu'il lui avait prit ?.. Enfin... La spectatrice ne semblait heureusement pas trop lui en vouloir. Le rouge aux joues, elle se redressa en partie pour écouter le discours de cette inconnue, n'osant pas trop la regarder dans les yeux dans un premier temps.

Elle n'avait été qu'à moitié attentive à sa première phrase, trop concentrée sur ses excuses et son sentiment de culpabilité dans les premiers instants. Mais alors qu'elle commençait à l'écouter réellement, elle se rendit compte qu'elle la connaissait, mais d'où ?.. Enfin, elle la connaissait, c'était un grand mot... Elle connaissait sa voix, savait à quoi elle ressemblait, et son nom... Il lui disait quelque chose. Mais quoi ? Qui ? D'où est-ce qu'elle connaissait cette femme ? Où l'avait-elle rencontré ?

Cherchant à toute allure dans sa mémoire, l'Arai n'avait pas encore fait le lien avec les vidéos qu'elle avait vu quelques semaines plus tôt, au milieu d'une soirée perdue sur Youtube. Pour sa défense, elle en voyait une certaine quantité, en général avant de s'endormir. Elle n'en retenait que peu d'informations, même si c'était toujours ça.

« Désolée encore... Je suis contente que ça vous ait plus... Mais je ne suis pas trop douée... Il y a tant de monde qui joue bien mieux que moi... »

Alors que ses pensées continuaient de vagabonder à la recherche d'un souvenir, Haruna sursauta lorsqu'enfin elle mit la main dessus. Elle le tenait, ce souvenir. C'était autour des vidéos paranormales. Hésitante, elle se gratta le côté de la tête avant d'oser reprendre la parole.

« Désolée mais... Vous êtes Dr. Miyamoto c'est bien ça ?.. Comme la chaine youtube ?.. Je me trompe pas ?.. »

Encore gênée, la brune aux yeux violets cherchait ses mots. Elle ne savait pas trop comment s'adresser à quelqu'un qui avait un certain poids dans ce milieu, quelqu'un qu'elle ne pensait jamais rencontrer à vrai dire.

« J'ai vu vos vidéos il y a quelques temps... Je connaissais pas trop le paranormal, tout ça... C'était intriguant et intéressant à la fois, et votre voix est agréable à écouter, j'aimerais bien savoir raconter des histoires comme vous. »

Sourire un peu gêné aux lèvres, mains jointes derrière le dos, tenant toujours son instrument, elle restait là, un peu hébétée, ne sachant trop que dire ou que faire. Sans doute allait-elle repartir. Elle devait être quelqu'un de très occupé après tout.

Encore embarassée d'avoir hurlé de toutes ses forces juste devant cette personne qu'elle n'avait pas encore identifié, la demoiselle aux yeux violets resta embarrassée sans trop savoir comment se mettre face à l'inconnue. Elle continuait de réfléchir, échangeant quelques mots avec cette personne.

« Je... Je pense que... Enfin... Oui... Mais bon... Je voulais pas vous déranger... »

Incommode, elle était un peu nerveuse de se retrouver ainsi en face à face avec cette femme. Mais elle voyait bien que cette dernière essayait de se montrer agréable, presque avenante. Elle ne la brusquait pas, si ce n'était par le simple fait d'être arrivée ainsi, sans faire trop de bruit alors que la musicienne était concentré sur sa mélodie. Pas de quoi soulever les foules, mais elle savait qu'elle était capable d'enchaîner quelques notes. Elle avait été dans l'orchestre de son collège puis dans celui de son lycée après tout.

« Eheh... »

Un petit rire gêné s'échappa de ses lèvres, heureuse d'entendre dire qu'elle n'était pas trop mauvaise en tant que trompettiste. L'instrument lui tenait énormément à coeur et que cela soit bien accueilli la faisait se sentir bien. C'était comme un nuage agréable dans lequel elle pouvait se lover un peu, comme une pause entre deux courses pour fuir les Yakuza. Mais plus le temps passait, plus elle commençait à regarder cette femme et à la reconnaître, cherchant dans son esprit où elle avait pu entendre sa voix, pour enfin faire le lien. Et apparemment, au vu de la réponse de Miyamoto-sensei, elle ne s'était pas trompée... Sa demande de l'appeler par son prénom la gênait un peu cependant, elle se voyait mal être aussi familière avec elle. Elle avait tendance à être toujours respectueuse, peu importe l'image publique des gens à qui elle parlait.

« Ah euh... Comme vous voudrez Izaya-sensei... C'est un peu par hasard que j'ai découvert votre chaîne et comme j'ai bien aimé la première vidéo, j'en ai regardé d'autres... Je fais ça de temps en temps, pour découvrir des trucs... Je me laisse un peu porter par les algorithmes du site... Et quelques fois je retiens les vidéos quand elles sont bien. »

Toujours souriante, un peu gênée par la situation, elle rougit cependant lorsque le Dr. Miyamoto lui demanda son nom. La gourde, elle ne l'avait toujours pas dit. Elle qui se voulait polie, elle en oubliait les bases les plus flagrantes. Bien sûr qu'elle ne pouvait pas connaître son nom ! Elle n'avait aucune notoriété, si ce n'est au sein du clan Yakuza qui voulait l'attraper pour la faire régler ses dettes d'une manière ou d'une autre. Pas franchement la notériété que l'on souhaite...

« Gomenasai ! J'avais totalement ooublié, je suis vraiment désolée, sumimasen ! Je suis Arai Haruna... Et non... J'aurais vraiment beaucoup aimé mais... Je n'en ai pas eu l'occasion et... »

C'est juste que je joue depuis quelques années maintenant, alors j'arrive à faire quelques morceaux... Enfin, ça c'est ce qu'elle aurait voulu dire. Avant qu'elle ne termine, la vidéaste qui lui faisait face la prit de court, lui demandant si elle comptait indiquer qu'elle n'en avait pas le niveau. Bien sûr qu'elle le pensait. Et l'idée qu'elle soit aussi facilement lisible la fit rougir de gêne, les yeux de nouveau baissés. Elle était prise de court, mais cela n'était nullement méchant, elle le sentait bien au léger rire de son interlocutrice et à sa nonchalence.

Un peu perdue, perturbée, l'Arai attendit donc de voir si la youtubeuse avait envie de continuer la discussion. Elle ne savait pas trop où se mettre jusqu'à ce qu'enfin Izaya ne parle à nouveau.

« Oh euh... Je viens de temps en temps... Enfin... je reviens depuis un mois environ... Ça faisait bientôt trois ans que je n'étais plus à Tokyo mais j'ai eu l'occasion d'y revenir récemment... Pardon je parle trop, désolée de vous embêter, ça ne doit pas vous intéresser... »

Elle avait de nouveau les joues rougies par la gêne. Elle avait l'impression de passer pour une opportuiste désormais, qui profiterait de la présence de cette psychologue pour se voir offrir une séance gratuite ou ce genre de chose. Elle n'en avait pas besoin de toute façon. Enfin pas qu'elle sache.

« C'est joli ici. C'est calme aussi, j'aime bien... Et puis je peux jouer en soirée sans que ça dérange les gens. Et puis c'est aussi une belle vue pour les feux d'artifice quand il y a un festival, il n'y a pas grand monde là non plus. »

Se retournant vers le parc qu'elle surplombait depuis le parapet, elle observait les rayons de soleil qui traversaient plantes et feuillages, illuminant çà et là des bosquets fleuris d'hiver. Un vent froid mais léger soufflait, repoussant avec douceur une mèche de ses cheveux. Elle frissonna. Elle allait bientôt rentrer, sa veste n'était pas assez chaude de toute façon. Cette rencontre étrange et inattendue la fascinait un peu, mais elle n'osait pas trop s'étendre plus sur le sujet des vidéos de la psychologue et elle n'estimait pas non plus sa vie comme un sujet de discussion intéressant et à partager avec tout le monde. Bien au contraire, faire profil bas était mieux à ses yeux. Mais en même temps, elle avait bien envie de parler encore un peu.

« Vous aimez bien le parc Ueno vous aussi ?.. Ça fait longtemps que vous y venez ?.. »

Elle sentait comme une forme de retenue, de contrôle sur elle-même venant de la part de la vidéaste qui lui faisait face. Cette dernière savait comment choisir ce qu'elle montrait, Haruna le sentait. Elle-même était bien différente de ça. Tout était si violent pour elle, si naturel. Elle ne pouvait que rarement choisir ses réactions, emportée par ses sentiments, ses impressions, ses envies. C'était brusque, un caractère grossièrement taillé qui n'avait pas la finesse de l'expérience.

Au moins, la psychologue ne semblait pas blessée, ou pas trop, par les paroles de la jeune femme, et ça la rassurait. Elle avait eu peur de faire des erreurs, de se montrer trop invasible avec ses questions, ou trop directe. De lui manquer de politesse, de respect. C'était des notions trop importantes à ses yeux pour se permettre d'être relâchée à ce sujet face à quelqu'un qui lui donnait cette impression bizarre de se connaître puisqu'elle l'avait vu de nombreuses fois lui parler en vidéo, mais pour autant qui lui était totalement étrangère puisqu'elle ne lui avait jamais parlé. Cette ambivalence la perturbait.

Après quelques échanges, elle se rendit compte d'une légère gêne chez celle avec qui elle discutait, ce qui la fit rougir à son tour. Elle lui avait fait parler de son âge, ce qui, bien qu'involontairement, semblait avoir été un petit coup de poignard gratuit.

« Ah ah... Gomenasai... C'était peut être pas bien... Enfin... Mal placé de ma part de poser cette question... »

Ce n'est que le vent qui les aide finalement à sortir de cet instant étrange, mais pour se montrer plutôt embêtant aux yeux de la brune aux yeux pourpres lorsque le Dr. Miyamoto décide de lui glisser sa veste sur les épaules. Le geste est généreux, elle n'en doute pas, mais elle se sent gênée, d'autant plus qu'elle avait déjà une veste et que maintenant, la psy n'en a plus.

« Ah... Ahah... Euh... Vous... Vous n'avez pas froid vous ?.. C'était pas grand chose vous savez... Juste un frisson à cause de la brise... »

Bon. En réalité, si, elle avait bien froid. Mais l'avouer, c'était aussi accepter le froid et donc plus le ressentir. Un petit mécanisme mental qu'elle avait repéré depuis longtemps. Si elle décidait qu'elle n'avait pas froid, alors elle résistait mieux à cette sensation désagréable que sa peau et ses muscles gelaient avec le temps. Et c'était bien mieux comme ça.

La suite de l'échange cependant la surprit un peu. Elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'une youtubeuse lui demande de la tutoyer. Ou alors c'était une habitude, pour rester un peu dans son personnage et être mieux acceptée chez les plus jeunes ?.. Enfin, l'Arai n'avait aucun mal à vouvoyer les gens, c'était une forme de respect qu'elle conservait, en général peu importe l'âge des gens qui lui faisaient face. Mais elle comprenait les raisons de cette femme à qui elle venait de rappeler son âge, ce qui en soit n'était pas très sympathique de sa part, elle en avait bien conscience. Et elle s'en voulait un peu de cette maladresse.

« Euh d'accord... Comme... tu veux. Tu peux faire pareil... Bien sûr... »

Un léger doute à l'instant de le dire, mais elle se corrige rapidement et répond positivement à la demande de sa vis-à-vis. Elle ne voulait pas la mettre mal à l'aise. Mais si jusque là, Haruna était plutôt sereine, la main posée sur son épaule l'effraie soudainement. Elle sent une brusque peur intestine la saisir et la faire douter. Et si...

Et si c'était une alliée des Yakuzas qui la traquaient ? Si son but n'était pas de l'attirer tranquillement jusqu'à un piège de miel d'où elle ne pourrait jamais fuir ? Si elle était suffisamment forte pour la saisir et ne plus la laisser s'enfuir ? Que pourrait-elle faire ? Sortir ses ailes, la frapper au creu de l'estomac pour la faire lâcher, fuir directement par les airs ? Ou alors ce n'était pas une bonne solution ? Est-ce qu'elle lâcherait d'ailleurs ? Rien n'était certain.

Et si elle était juste une prédatrice, ce genre de fou furieux qui t'attire chez lui avec un air doux pour te trucide, te découpe en morceaux avant de t'enterrer, ou t'infliger de pires sévices encore ? Si elle était tombé sur une psychopathe et non une psychologue ? Que sa chaîne youtube n'était qu'un appât très particulier ? Après tout, maintenant qu'elle y pensait, elle parlait de donjons parfois. Elle y allait peut-être dedans...

Ses pensées se bousculaient avec violence, sa paranoïa par moments contrôlée se libérait ainsi, cruelle, insidieuse. Elle n'avait presque rien entendu, rien compris de ce qu'avait pu dire la Miyamoto jusqu'à ce que cette dernière ne décide de retirer sa main. Ce n'était pas forcément très visible, mais elle s'était tendue à l'instant où elle avait senti le contact et elle s'était relâchée quand la main s'était esquivée. Que faire maintenant ? En profiter pour fuir ? Ou alors c'était simplement elle qui se faisait des idées ? Elle en était chamboulée. Mais d'abord, elle devait reprendre la conversation, essayer de se raccrocher à ce qu'elle en avait capté, à savoir pas grand chose.

« Ahah... D'accord... »

Elle laissa quelques instants passer, son cerveau analysant ce qu'il avait indirectement entendu, compris. Ce que son inconscient s'était chargé de capter.

« Je voulais surtout dire que... J'ai pas autant d'expérience que les professsionnels... J'aime bien jouer, mais ça fait que neuf ans... Les meilleurs ont apprit plus tôt... J'étais déjà adolescente. Et même si j'aime beaucoup jouer... Je sais aussi que seuls les meilleurs peuvent en vivre, je pense pas être encore à ce niveau là... Et.... Il y a aussi cette idée que si ça devient un travail... Ça gâcherait un peu le plaisir que j'ai à en jouer... Et j'ai pas trop envie de ça. »

Un peu plus détendue maintenant que le contact n'était plus là, elle ne prêtait plus trop attention à cette veste supplémentaire sur ses épaules. Elle était devenue presque normale. Elle resta ainsi un peu silencieuse pendant quelques instants, jusqu'à ce que la psy souhaite reprendre l'échange.

« Je suis certaine qu'il y a beaucoup de gens qui apprécient cet endroit... Il est beau après tout... Et reposant. Pour Tokyo... Oui... Un peu plus d'un mois... à peine plus. Je... Je vivais à Sapporo depuis que mon père est mort il y a trois ans et... J'ai eu... »

Elle s'arrêta quelques instants. Elle y avait pensé plus tôt, mais le doute revenait. Et si elle était avec eux ?..

« Je sais pas trop comment expliquer ça... Mais j'ai senti un truc bizarre, une force... Plus que normalement. J'avais entendu dire que c'était ça, ce qu'on sentait quand on devenait un chasseur. Alors j'ai voulu me faire tester et ils m'ont dit de venir ici, à la capitale. Et... Et toi ?.. Tu es là pour ton travail ?.. Ou tu étais venue là pour tes études ?.. Ou tu as toujours vécu là ? »

Après tout, c'était une psy, tout le monde n'était pas capable de suivre de telles études et elles n'étaient pas suivables partout. Du moins pas dans les meilleures conditions. L'Arai commençait aussi à se rendre compte qu'elle en disait beaucoup sur elle, et elle ne savait pas trop où tout cela la mènerait, si c'était un risque qu'elle prenait, ou si au contraire, c'était comme un défouloir, que cela lui permettrait de se sentir mieux, plus légère. En tous cas, pour l'instant, ça allait.

Emmitoufflée dans les deux vestes désormais, Haruna était à l'abris des coups de vent, rentrant ses mains dans ses poches après avoir posé son instrument dans son étuis. Désormais libérée, elle pouvait les camoufler du froid mordant qui demeurait maître de la zone. Son visage était toujours carressé par la brise, mais ce n'était plus grand chose et elle se sentait bien. Seule la main qui se voulait peut-être amicale vint la perturber. Mais elle avait eu l'impression de plutôt bien se contrôler sur ce point. Pour éviter que ça se voit et que, si elle avait raison, le Dr. Miyamoto ne referme sa main sur sa proie.

Un peu inquiète quand même de la voir sans vêtement comparé à elle qui pourtant avait encore quelques petits frissons, le nez et les oreilles un peu rougis par le froid, elle la questionna mais la psychologue semblait s'en accomoder bien mieux qu'elle. Elle n'insista donc pas, continuant de discuter doucement avec Izaya.

Lorsqu'elle aborda le sujet de son apprentissage de la trompette, elle évita d'en parler trop longtemps. Elle ne voulait pas se montrer ennuyeuse, trop débordante. Elle savait l'effet que pouvait faire quelqu'un qui parlait beaucoup et qui avait tendance à expliquer sa vie en détails. Puis... Il y avait le froid aussi. Même si elle aimait beaucoup cet endroit, elle était toujours moins à l'aise pour discuter quand elle avait froid. C'était toujours mieux avec une bonne tasse de chocolat chaud ou de thé.

Quand elle parla de son père et de son déplacement à Sapporo, elle eut un petit sourire triste. Elle ne pouvait s'empêcher d'avoir une légère rancoeur envers lui. C'était de sa faute, parce qu'il avait voulu faire comme si tout allait bien, et qu'il s'était enfoncé dans des histoires toujours pires qu'elle se retrouvait maintenant à devoir se planquer de manière permanente. Et cette rancoeur la peinait elle aussi. Elle l'aimait malgré tout, et qu'elle garde cette frustration la gênait. C'était complexe, elle ne savait pas comment s'en déméler. Mais c'était comme ça.

L'Arai hocha un peu la tête à la mention de l'éveil. Elle avait bien entendu ce mot, plusieurs fois même. Mais bon, c'était particulier. Elle ne s'estimait pas comme endormie dans sa vie d'avant. Donc pourquoi parler d'éveil ?.. C'était un peu bizarre. Elle n'était pas vraiment d'accord avec ça, comme si ça sous-entendait que tout le monde avait un pouvoir endormi en lui. C'était autre chose pour elle. Quelque chose d'externe qui venait à croiser la route des gens, plus ou moins tard. Ou qui ne le faisait jamais. Parce que si c'était interne, ça aurait dû avoir un lien avec la génétique, et dans ce cas il faudrait avoir des parents qui le possèdent. Et pour elle, comme surement pour beaucoup d'autres, ce n'était pas le cas. Surtout que les premiers à subir cet éveil avaient bien des parents pour qui ça n'était jamais arrivé. Enfin...

Préférant ne pas insister sur sa propre vie, elle posa quelques questions à son tour, réorientant la discussion sur l'histoire de la psychologue qui était certainement diablement plus intéressante que la sienne. Elle avait du rencontrer tant de gens si différents là où celle d'Haruna se résumait à enfance banale perturbée par le drame de Monbetsu, puis par le suicide de son père, pour se finir par une fuite qui durait maintenant depuis trois ans. Pas vraiment le genre d'histoire intéressante.

« Je suis jamais allée à Hokkaido... On peut y voir les étoiles là-bas ? Parce qu'ici... On ne voit pas grand chose. »

Pensive, elle regarda le lointain à son tour. Les seules illuminations venant du ciel étaient les satellites -et encore, on en voyait peu- les hélicoptères et les feux d'artifice. Pas très palpitant. Les lumières de la ville depuis les points hauts étaient bien plus attrayantes que celles du ciel. Même si elles étaient d'origine humaine et non aussi mystérieuses que les étoiles qui se pavanaient là haut.

Concentrée dans sa rêverie autour de ces loupiotes qu'elle aurait vu dans le ciel si elle était née dans un endroit avec moins de pollution lumineuse, l'Arai sursauta quand elle ressentit Miyamoto s'approcher d'elle. Elle remarqua son carnet qu'elle tenait en main ainsi que le stylo, mais elle resta d'abord immobile, attendant de voir ce qu'elle faisait. Est-ce qu'elle allait dessiner maintenant ? Non. Pas vraiment. Ou du moins, pas un dessin, mais elle allait bien pratiquer un peu de calligraphie.

« Ah... ok... »

Elle ne voyait pas trop pourquoi la psy voulait écrire maintenant, mais soit. Elle n'allait pas l'en empêcher après tout. Elle l'écouta expliquer un peu son envie de le faire par passion et non par devoir, cherchant encore à comprendre là où elle voulait en venir, puis elle hocha un peu la tête lorsqu'elle en vint à parler du paranormal et de sa vision des choses. Oui, cet aspect transparaissait dans les vidéos, et elle l'explicitait même par moments. Elle aimait bien expliquer des points qui pouvaient être vus comme des détails mais qui étaient en fait des fondements de sa pensée et qui découlaient souvent sur autre chose. Ce qui faisait que sa mention de l'écriture en était d'autant plus intriguante.

« Ah non, non ne t'en fais pas... Ça ne me dérange pas... Je t'ai dit que j'aimais bien t'écouter en vidéo, c'est aussi vrai là. »

Elle lui fit un petit sourire timide, ne sachant pas trop comment elle le prendrait. Et le fait qu'elle parle beaucoup avait le gros avantage de lui permettre de rester plus silencieuse sans pour autant que le moment soit gênant. Elle ne voulait pas trop en dire, et cet afflux de la part de celle avec qui elle échangeait en cet instant était une forme de repos, de pause. C'était agréable au fond. Mais alors qu'elle se pensait en sécurité, à n'avoir rien à dire, la tirade suivante de la doctoresse lui fit perdre pied. Elle avait remarqué. Aaaah... Gênée, Haruna baissa un peu la tête, comme si elle tentait de disparaître dans les vêtements qui l'entouraient. Comme si elle voulait se protéger derrière eux de ce qui pouvait être une inquisition. Après quelques instants, elle fit un petit mouvement d'épaules pour se remettre en phase avec la situation, mais elle était encore désarçonnée. Ce n'était pas si facile de se remettre dans la course. Tout allait si vite...

« Ahah... Euh... C'est... C'est rien... Juste un frisson... »

Ce n'était pas crédible. Pas un instant. Elle le savait bien. Mais l'Arai ne savait pas quoi dire pour s'en tirer. Elle était face à une psy, elle n'allait pas la berner si facilement. Elle ne savait plus où se mettre, comme dévoilée là où elle se croyait à l'abris des regards. Et elle n'aimait pas trop ça. Elle était vulnérable, faible. Comme une souris entre les pattes d'un chat.

« Puis... Enfin c'est juste un hasard qu'on se soit croisées... Tu n'es pas au travail... Je voudrais pas t'embêter... »

Sentant qu'elle laissait un vide qui lui déplaisait en finissant ainsi, elle enchaîna après un instant de silence.

« Je pense que je vais rentrer... J'ai froid et je boirais bien un truc chaud... Je vais pas t'embêter plus longtemps dans ta balade... »

L'esprit troublé, Haruna commença à faire quelques pas à reculons, vers le chemin qui la ramènerait vers Ikebukuro.

Haruna hochait la tête doucement, pensive. Elle aimerait bien passer du temps à regarder les étoiles. Les vraies. Directement. Pas comme elle l'avait fait jusque là, à travers des vidéos youtube d'astronomie en tous genre. L'échange continue alors tranquillement, jusqu'à ce que la psychologue se montre plus directe et lui dise clairement qu'elle n'était pas très discrète dans sa méfiance et qu'elle l'avait bien remarqué. Aïe. Tentant une retraite stratégique avec des excuses quelque peu douteuses, elle se retrouva vite coincée. Elle ne s'enfuirait pas si facilement.

« Ahah... Euh oui... désolée, j'y pensais plus... »

Commençant à faire un geste pour l'enlever, elle n'en eut pas le temps que déjà le Dr. Miyamoto enchaînait. Et elle se servait de son excuse pour la coincer. Et elle l'était maintenant. Coincée par ses propres propos. De toute façon, ce n'était pas comme si elle pouvait se le permettre, le chocolat chaud, alors s'il était offert... C'était difficile d'y dire non. Depuis le temps qu'elle n'avait pas pu en prendre...

Baissant un peu la tête, elle tritura ses mains, rassemblant ses doigts et les croisant, forçant un peu sur ses articulations pour évacuer le stress qui montait. Est-ce que si elle acceptait, elle se jetait dans un piège ?.. Ou est-ce qu'elle ne risquait rien ? Est-ce qu'elle se ferait empoisonnée ? Est-ce qu'elle lui donnerait des somnifères pour l'enfermer une fois chez elle ? C'était un gros risque, si jamais elle était contre elle... Mais est-ce qu'elle n'avait pas déjà l'avantage ?..

Mais alors qu'elle pesait le pour et le contre sans trop savoir quoi faire, vint l'argument clef. Elle qui n'avait eu que très peu d'expériences diverses, elle n'avait jamais pu monter sur une moto, et l'idée de pouvoir faire comme ces gens qui semblaient tant s'amuser au lycée l'intriguait bien. Elle avait envie d'essayer, de se rendre compte de l'effet du vent sur sa peau, du sifflement de ce dernier dans ses oreilles avec la vitesse. De découvrir le froid mordant qui ne manquerait pas de les attaquer, d'entendre vrombir le moteur galopant sur la voie goudronnée. Un peu comme une enfant devant un manège, une envie irrépressible d'accepter vint soudain la titiller, lui sifflant à l'oreille que, de toute façon, elle pourrait toujours sortir ses ailes et fuir rapidement si ça tournait mal. Légèrement, elle releva les yeux pour recroiser le regard d'Izaya.

« Je... Je sais pas trop quoi dire... Tu es sûre que ça te dérange pas ?.. »

Elle se sentait mal à l'aise, se mordit la lèvre inférieure. L'Arai ne savait pas trop le choix qu'elle devait prendre, hésitait. Bon... C'était plutôt un bon deal après tout, non ?.. Elle avait joué un petit morceau et elle avait en échange une boisson chaude et un abris pour un moment... C'était toujours ça... Elle serait au chaud pour quelques heures au mieux, mais c'était déjà bien, d'autant plus que c'était gratuit.

« Je veux bien... En moto... Mais j'en ai jamais fait... Je risque pas de tomber, si ?.. »

Une légère inquiétude demeurait, mais elle était plus ou moins conquise par cette idée de découvrir ce moyen de transport plutôt affilié aux délinquants qu'elle n'avait jamais eu l'occasion d'explorer. C'était une expérience qu'elle n'aurait pas l'occasion de retester de si tôt, la manquer serait dommage. Puis après tout, c'était une influenceuse plutôt connue, elle ne pouvait pas faire n'importe quoi alors que sa communauté gardait un oeil sur elle, si ?..

La brunette aux yeux pourpres ne savait plus trop où se mettre, gênée de la situation qu'elle avait provoqué en tentant maladroitement de fuir les lieux. Mais finalement, après quelques échanges, elle céda, acceptant de suivre Izaya. Elle avait de bons arguments après tout. À commencer par un chocolat chaud gratuit et la découverte d'un trajet en moto. Bon, c'était un peu superficiel, mais elle était à un stade ou chaque chance d'avoir accès à quelque chose n'était pas trop refusable. Après tout, elle dormirait encore dans un cybercafé ce soir.

Suivant donc la doctoresse en la questionnant sur les dangers à moto, elle hocha un peu la tête à la réponse de cette dernière. Tant mieux si elle ne risquait pas de tomber, c'était un peu rassurant. Elle espérait aussi que cette dernière soit une conductrice prudente. Elle avait déjà vu quelques accidents de moto, ce n'était pas très joli à voir... Que ce soit les éraflures voire les brûlures pour les accidents les plus légers ou les démembrements pour les plus violents, ce n'était pas très inspirant.

« D'accord... »

Elle ne comprit pas vraiment l'allusion suivante de la Miyamoto mais n'insista pas, ne voyant pas trop là où elle pouvait vouloir en venir. Il n'y avait pas de contacts pendant une séance chez le psy de ce qu'elle savait. Elle n'avait même pas fait attention à la voix changeante de la médecin, trop concentrée sur le futur proche qui arrivait et cette balade en moto improvisée. Elle hocha un peu la tête à l'invitation d'Izaya, lui emboitant le pas. Toujours un peu perdue dans ses pensées, elle regarda le parc et le soleil couchant qui embrassait l'horizon. Il embrasait le ciel de couleurs variées, chaleureuses. C'était réconfortant dans ce froid tranchant.

Sans trop y faire attention, Haruna se retrouva à côté de la psy qui avait réussi à se glisser en arrière en ralentissant doucement. Sur l'instant, elle eut un léger arrêt en s'en rendant compte, mais elle préféra décider que c'était quelque chsoe de normal. D'ailleurs, ça l'était sans doute. Ses amies faisaient toujours ça au lycée, sur le trajet entre chez elles et l'établissement. Elles faisaient en sorte d'être côte à côte. Dans un sens, c'était vrai que c'était mieux pour se parler, mais c'était souvent plus embêtant de se déplacer comme ça dans la foule, et c'était plus facile de se perdre. Enfin, là, il n'y avait pas trop de risques de se perdre, alors c'était peut-être mieux pour parler oui... Le parc Ueno était suffisamment calme à cette heure pour ne pas être séparés par la foule.

« Euh ok... »

Elle ne comprenait pas trop pourquoi elle insistait comme ça sur le fait de se serrer. Sans doute était-ce dangereux pour les débutants s'ils ne se collaient pas assez ?.. Peut-être que c'était plus prudent, ou alors plus rassurant ?

L'Arai l'écoute alors parler de chez elle, un grand appartement donc. Ce n'est pas vraiment surprenant, les psychologues sont bien payés en général, d'autant plus lorsqu'ils travaillent en indépendants. Ceux qui sont dans les hôpitaux recoivent moins d'argent par contre, elle en a entendu parler dans un reportage sur internet. Une de ces rediffusions disponibles sur diverses plateformes, passant normalement à la télé. Et puis en plus de son statut de psy, elle est aussi influenceuse. Non pas qu'elle se rapelle l'avoir vu faire des placements de produit, mais bon. Elle a une mauvaise mémoire sur le sujet, n'y prêtant jamais la moindre attention. Au mieux, elle les regarde en mettant son cerveau en off, au pire elle les passe rapidement.

« Oui, c'est normal avec des études aussi difficiles... C'est long d'ailleurs ? Combien d'années tu as du passer pour pouvoir exercer ?.. »

Essayant de continuer un peu la conversation, elle ne savait pas trop comment s'y prendre, maladroite dans ce genre de contact direct, d'intérêt porté aux autres. Elle avait toujours l'impression que ça sonnait faux, que les gens ne voulaient pas vraiment savoir, ou qu'ils oubliaient tout aussi vite qu'ils l'avaient appris. Elle ne voulait pas de ce côté superficiel, de ce côté faux. La vie était trop courte et trop importante pour ça. Lorsqu'elle lui parla de sa déco cependant, elle fut bien embêtée, incapable de comprendre ce qu'elle pouvait bien vouloir dire par là. Elle ne s'était jamais trop intéressée à une autre forme d'art que la musique. Bon, le cinéma et notamment les animés aussi, mais c'était tout. Et tout le monde ne considérait pas ça comme de l'art. Même si pour elle, c'en était. A deux mille pourcents.

« Ok... Je connais pas trop la France, l'Europe, tout ça... Juste un peu avec quelques animés quoi... »

À vrai dire, elle ne saurait même plus en dire les titres, mais bon, c'était pas si grave, si ? Puis elle verrait bien ce à quoi elle fait référence une fois devant. Lorsque vint le moment d'enfiler le casque, elle laissa Izaya faire avec un soupçon de crainte et surtout une certaine gêne, baissant les yeux à nouveau, comme intimidée par ce face à face direct. Elle n'avait plus vraiment l'habitude d'être aussi proche de qui que ce soit.

Une fois installée sur la moto, elle regarda cette dernière avec un mélange d'intérêt, de fascination et de crainte. Comment un tas de ferraille pouvait aller aussi vite sans la moindre protection et pourtant être si populaire, si iconique ? C'était particulier, et elle avait hâte de découvrir les sensations qu'un voyage pouvait offrir, de découvrir pourquoi tant de gens appréciaient se déplacer ainsi.

Ne posant pas plus de questions, elle obéit à la demande d'Izaya, s'accrochant à ses hanches avec une certaine hésitation malgré tout au début. Mais à la première accélération, elle sentit une peur primaire s'emparer d'elle avec la vitesse et l'air et ne fut rassurée que lorsqu'elle se plaqua contre le dos de la conductrice. Elle ne s'attendait pas à quelque chose d'aussi violent, et pourtant, elle remarquait bien qu'elles n'allaient pas aussi vite que les voitures, que les accélérations étaient plus douces. Ses yeux lui donnaient l'information que sa conductrice faisait des efforts, mais elle ne parvenait pour l'instant pas à gagner la confiance nécessaire pour se détacher un tant soit peu d'elle, l'idée du risque de chûte étant encore trop présent dans son esprit.

Frissonnante sous le froid mordant, se demandant comment Izaya pouvait tenir dans ce dernier dans une telle tenue, Haruna se mordit à nouveau la lèvre, se sentant cette fois-ci coupable du froid que devait endurer la psychologue. C'était de sa faute si elle tombait malade. Et pour quelqu'un d'important comme elle, c'était quelque chose de potentiellement grave, qui bouleverserait son planning. Ce n'était pas comme elle qui n'avait que son job au fastfood et qui n'était même pas véritablement essentielle là-bas. Ils pouvaient réussir à faire sans elle pendant quelques jours, ils l'avaient déjà prouvé.

Les lumières qui défilent sur le côté contrastent avec le noir de la nuit qui s'installe, faisant comme une batterie qui frappe en rythme sur le fond sombre d'une symphonie citadine, un ballet en deux parties aux tempos différents, celui des moteurs et celui des pas sur le pavé. La voix d'Izaya lui parvint soudain, assez forte, sans doute à cause des bruits de moteurs et du vent. Cet échange l'aida à se relaxer un peu et à moins se coller à la conductrice, mais gardant malgré tout une certaine prise sur ses hanches, de peur de tomber. Elle était moins blottie contre son dos, plus installée comme une passagère normale de moto.

« Des chats ? Non, je les aime beaucoup ! Mais je connais pas les races ! Il est de quelle couleur ? »

Un peu curieuse sur l'animal qui attendait patiemment au chaud, elle se laissa imaginer le moment où elle pourrait elle-même avoir le sien, où elle n'aurait plus à avoir peur du lendemain et de tous ceux qui l'entouraient. Du moment où elle serait débarassée de ces traqueurs qui ne la lâchaient jamais totalement. Ça serait bien ça, quand elle pourrait avoir son appartement avec un chat à dorloter quand elle se sentait moins bien.

Tout en culpabilisant un peu, elle écouta la réponse de la psychologue à propos de ses études, C'était quelque chose de long apparemment, de complexe sans doute aussi. Sans doute pas des études qu'elle aurait été capable de suivre. Enfin, elle n'avait pas trop eu le choix de toute façon, ses plans s'étaient arrêtés le lendemain de sa remise de diplome du lycée.

« Ah... Ça a du être terrible pour elle... »

Grimpant sur la moto, elle essaya de se changer les idées alors que le véhicule commençait à rouler. Dans le vent généré par la vitesse de l'engin lancé sur la route pourtant limitée, Haruna peine un peu à entendre la conductrice. C'était si différent d'un trajet à vélo, et pourtant si semblable. C'en était perturbant. Les problèmes de communication, de vent, de froid étaient exacerbés mais d'autres comme la fatigue ou la lenteur étaient anihilés. C'était une expérience nouvelle qui lui plaisait plutôt bien, l'adrénaline de la vitesse aidant à oublier un peu les gênes qui arrivaient en contrepartie. Elle ne pouvait cependant s'empêcher de penser qu'Izaya devait avoir bien froid par sa faute. Elle essayait cependant de se détendre un peu pour plus facilement tourner la tête et regarder autrement que par la vision périphérique de son casque sans paniquer. Et doucement, elle y parvenait.

L'Arai ne pouvait s'empêcher de remarquer à quel point le cas de cette fille qui consultait Izaya était similaire. Elle aussi avait vécu un massacre terrible dont elle seule avait réchappé. Peut-être que rencontrer cette fille et lui parler un peu l'aiderait à en savoir un peu plus sur sa condition ?.. Surtout si c'était par le biais d'une psychologue. Peut-être qu'elle pourrait organiser une rencontre ?.. Non. Mauvaise idée. Moins nombreuses étaient les personnes qui avaient connaissance de sa particularité, moins elle avait de chance que ça lui retombe dessus d'une manière ou d'une autre. Mais en même temps, il y avait beaucoup de bénéfices potentiels...

Se mordant la lèvre, pleine de doutes, elle resta un peu silencieuse, découvrant petit à petit l'environnement de la course. Vint alors le sujet du chat qui la rassura grandement. Quelqu'un qui avait un chat avec lui ne pouvait être foncièrement méchant. Elle en était persuadée.

« Neptune ?.. C'est étrange comme nom... Mais c'est très joli. Ça vient d'où ?.. »

Elle avait bien capté que la psychologue avait au moins un parent d'origine étrangère quand bien même elle avait grandit au Japon, mais de là à savoir de quel pays il pouvait s'agir, elle n'aurait jamais sû le déterminer. A moins que... Elle l'avait dit. La cruche. L'Arai rougit de honte, bien heureuse d'être dos à Miyamoto-sensei.

« Enfin je veux dire... C'est relié à quelque chose ? Je n'ai jamais entendu ce nom... »

Elle se surprit à espérer que le chat serait câlin avec elle aussi, elle en avait vu certains ne l'être qu'avec leurs maîtres et être très méfiants des autres humains. Elle ne pouvait pas leur en vouloir, mais elle avait été déçue plus d'une fois quand elle était allée chez des amies quelques années auparavant, notamment un chat qui avait refusé de l'approcher avant au moins sa dixième visite dans la demeure de sa maîtresse.

« C'est joli, comme vision... Ça fait poétique... »

Perdue dans ses pensées, elle ne peut s'empêcher d'être surprise quand elle découvre un peu plus là où elle se trouve quand la moto ralentit et qu'elle remarque les magasins ou encore les batiments célèbres du coin. Elles n'étaient pas n'importe où, c'était le coeur de la capitale, là où habiter coûtait une véritable fortune. Bon, ce n'était pas l'extrême centre et il devait bien y avoir des bâtisses qui coutaient dix fois plus cher encore, mais c'était déjà quelque chose de luxueux pour le moins. Loin de tout ce qu'elle s'imaginait cotoyer un jour. Elle n'aurait même pas rêvé habiter dans une telle maison. Alors visiter un appartement ici avait une petite forme d'interdit, d'excitation de sa curiosité. Si d'autres quartiers auraient pu lui faire prendre ses jambes à son cou, cette arrivée là finissait de la persuader qu'elle avait fait le bon choix en acceptant de suivre le Dr. Miyamoto. Et puis encore une fois, elle était connue, et elle avait un chat. Elle ne pouvait pas être totalement mauvaise...

Se répétant ainsi quelques litanies pour se rasssurer, la demoiselle aux habits usés par le temps et les lavages successifs sentit la tristesse dans les mots de la psychologue. Ce n'était pas une peine immense, mais elle sentait un chagrin bien présent. Et elle ne pouvait s'empêcher d'être un peu attendrie par ce côté. C'était quelque chose d'humain, quelque chose que certains viewers de Youtube, de Twitch ou d'autres plateformes de visionnage de contenu en ligne avaient tendance à oublier. Et même pour elle qui en avait bien conscience, un petit rappel avait du bon à ses yeux.

« Tant mieux alors... Je me sens un peu moins profiteuse si ça t'aide toi aussi... »

Au fond, c'était surtout ça qu'elle n'aimait pas. L'idée de profiter de quelqu'un, d'être un véritable parasite qui n'apportait rien, qui n'avait pas de plusvalue. L'idée d'être un poids, une gêne lui faisait peur. Très peur. Car cela signifiait qu'elle pouvait se faire jeter à tout moment. Et elle en avait une véritable phobie.

Lorsqu'enfin le bolide s'arrêta, la bâtisse lui semblait irréelle. Non, ce n'était pas possible. Elle, la jeune fille à la rue, ne pouvait pas d'un seul coup se retrouver à rentrer dans ce genre d'appartement. Ou alors elle allait l'amener à son bureau de psy, et ça allait être une consultation en live pour Youtube ou quelque chose du genre. Ce n'était pas possible qu'elle n'ait rien à donner en échange. C'était irréel.

Plutôt incrédule, elle suivit la doctoresse jusqu'à son entrée, la regardant avec l'idée qu'à tout moment un contrecoup allait lui retomber dessus. Mais non. Rien. Pour l'instant en tous cas. Entrant donc à l'invitation d'Izaya, elle ne put s'empêcher de rougir et de baisser un peu la tête sous le compliment, peu habituée à en recevoir. Ça faisait déjà beaucoup, entre ça et leur échange au parc Ueno.

Mais elle ne fit aucune remarque, s'émerveillant très rapidement du moindre mobilier que contenait l'appartement, jusqu'au simple fait que les murs soient propres et qu'ils aient cet air neuf, sans lésures ou signes d'infiltrations d'eau. Non, tout était soigné. Déjà perdue dans ce nouveau monde, elle chercha du regard son hôtesse pour découvrir qu'elle avait enlevé ses chaussures et fit alors de même, voulant tant bien respecter ses choix qu'éviter de salir cet appartement dont même la femme de ménage devait mieux gagner sa vie qu'elle. Au moins deux fois. Elle eut un petit moment de gêne quand Izaya l'aida à retirer les vestes qui la couvraient, baissant de nouveau le regard pour ne pas être en face à face direct d'aussi proche, mais ne fit aucune remarque. Elle était déjà invitée là avec la chance d'être au chaud sans avoir à payer pour ça, elle n'allait pas s'en plaindre.

Observant la décoration sans trop la comprendre, un peu perdue dans ce qui était offert à ses yeux, la jeune brune n'osait pas faire de remarque. D'un côté, elle se croyait dans un conte de fées, mais de l'autre, ses peurs primaires ne la quittaient jamais totalement, lui sussurant à l'oreille que ce n'était peut-être qu'un piège et qu'elle s'endormirait à l'instant où elle tremperait ses lèvres dans la boisson que lui amènerait Izaya-sensei.

« D'accord... C'est... C'est très joli... Et bien entretenu... »

Après une brève hésitation, elle l'accompagna au salon, observant avec une certaine appréhension les lieux. Elle ne voulait absolument rien casser, sinon elle n'aurait plus assez de sa vie pour régler toutes ses dettes. Et d'un autre côté, c'était aussi la curiosité de voir ce chat gris sans doute tout doux qui l'attirait à l'intérieur. Obéissant finalement à l'indication de la psychologue, l'Arai se posa enfin sur le divan, soudainement captivée par le chat qui venait de faire son entrée. La myriade de propositions cependant, et notamment les termes "chocolat chaud" et "crêpes" vinrent aux oreilles de la fugitive qui rougit un peu, se sentant comme une enfant mais ne pouvant nier l'effet particulièrement rassurant qu'avaient ces mets tant avec leurs noms pour ses oreilles qu'avec leurs saveurs pour son nez et ses papilles.

« Disons que... J'aime tout... Alors choisis ce que tu veux... Je prendrais la même chose... »

Déjà qu'elle lui offrait tout ça, elle n'allait pas en plus lui faire sortir une armada de condiments. Non, ce qu'elle choisirait serait très bien, de toute façon,  elle aimait tout. Et elle l'avait dit. Neptune quant à lui se montra désormais un peu plus en évidence, alors découvert par sa maîtresse qui le cajola quelques instants alors qu'il venait découvrir de plus près la trompettiste. Alors qu'elle allait se pencher pour le caresser à son tour, elle s'arrêta en se rendant compte de sa proximité avec Izaya. Elle n'était toujours pas totalement à l'aise, gardant ses réflexes craintifs malgré toute sa bonne volonté de se montrer plus civilisée. Gênée, elle détourna le regard quelques instants jusqu'à ce que le commentaire de l'hôtesse de maison ne la fasse encore rougir. Elle semblait bien s'amuser à lui faire des compliments personnels, ce qui la perturbait grandement. Elle n'avait pas l'habitude d'un tel flot de bienveillance. Enfin, si c'en était régulièrement lui chuchotait une petite voix à l'oreille.

Un peu intimidée par le naturel avec lequel Miyamoto se déshabilla, elle détourna à nouveau légèrement le regard pour se concentrer sur Neptune qui d'un bond avait déjà rejoint le canapé, commençant à se frotter un peu au coude de l'invitée pour mieux se dégager une place vers ses genoux. L'espace libéré des bras de la brunette, il se mit à faire des ronds sur place, plantant un peu ses griffes comme pour se faire un nid et tester le moelleux du matelas. Après quelques instants, il s'y posa tranquillement, la tête à moitié allongée sur les pattes, lassif. Agrémentant le séjour du félin de quelques caresses, elle réfléchit à la proposition de la psy avant de trancher. Elle lui offrait déjà beaucoup, demander plus aurait été indécent.

« Non, merci, c'est déjà énorme tout ce que tu m'offres, le chocolat chaud suffira milles fois. »

Ayant repéré du coin de l'oeil la cicatrice d'Izaya, elle n'osait cependant la mentionner. C'était bien trop intrusif et elle s'était déjà montré suffisamment inquisitrice jusque là. Observant un peu les alentours, elle ne savait pas trop quoi dire ni quoi faire, alors elle décida de simplement câliner le chat, concentrée sur lui, comme absorbée par sa présence. Izaya-sensei trouverait certainement des sujets à aborder en revenant, non ?.. Elle semblait douée pour ça après tout, alors se reposer un peu dessus ne ferait pas de mal. Enfin la demoiselle aux yeux améthyste l'espérait.

Une planète et un dieu donc... Le dieu des océans. La réflexion suivante suivit du rire de la conductrice la fit sourire, Haruna s'appuyant alors légèrement contre le dos de cette dernière, pensive. Elle continuait d'observer ses lumières dans un calme iréel sur une moto, la vitesse perdant effet dans une poignée de secondes hors du temps, la musique chaleureuse perdant de son intensité. pour ne laisser place qu'à une paix étrange, appréciable. Comme si tout s'était ralentit en même temps.

La route continue, elles échangent quelques phrases jusqu'à ce qu'enfin elles arrivent à bon port. Une fois dans la place, la demoiselle à la tenue sur laquelle le temps a marqué son empreinte par une décoloration partielle et des tissus frottés par les mouvements répétés encore et encore ne sait que faire, gênée jusqu'à ce que Izaya-sensei ne la rapelle à l'ordre en quelques sortes. Elle se mordit un peu la lèvre et baissa la tête, se sentant un peu coupable d'agir ainsi alors que cette psy semblait véritablement de bonne foi. Pour autant, elle entendait toujours cette petite voix interne et maligne qui lui répétait qu'elle pouvait se faire avoir à tout moment, que personne ne venait jamais en aide à qui que ce soit par pure bonté et qu'il n'y avait aucune raison pour qu'elle tombe sur la perle rare.

Cependant, après un moment de tension supplémentaire avec le Dr. Miyamoto, elle se laisse attendrir par le chat qui semble bien décider à s'installer sur ses genoux et qui s'y endort presque. Avec une facilité surnaturelle, ce dernier apaise l'effrayée, l'aidant considérablement à se détendre. Elle aussi ferme quelques instants les yeux, la boule de chaleur sur ses jambes l'aidant beaucoup. Haruna ne les rouvre alors que lorsque Izaya revient, mais elle est désormais bien plus calme. Ce n'est pas de la résignation, mais bien le fait que la voix interne se soit tue avec cet échange félin. Elle continua de le caresser d'une main, pensive, écoutant la réponse de la psychologue.

« Ne t'en fais pas, c'est déjà beaucoup pour moi. »

Lui adressant un sourire encore un peu timide, elle est cependant bien plus calme. Apaisée. Moins expressive que sa comparse du jour, elle ferme cependant les yeux en mangeant doucement, appréciant grandement ce plaisir qui pouvait paraître simple mais qui tenait de l'exception pour elle. Ça devait faire quatre ans quasimment qu'elle n'avait pas mangé de crêpes et ça lui avait un peu manqué à vrai dire.

« C'est vraiment très bon, merci beaucoup, Izaya. »

Elle avait un peu hésité sur la fin, mais l'appeler juste par son prénom et non à nouveau lui rappeler son statut de psy devait sans doute lui faire du bien. Elle lui avait parlé de sa solitude, si elle gardait cette distance, c'était un peu comme si elle la laissait seule même en cet instant. Et ça ne lui semblait pas correct de sa part.

L'échange suivant la fit rougir et baisser un peu la tête. Lui rappeler ses défauts, ses troubles, elle n'aimait pas vraiment qu'on le fasse. Mais Miyamoto restait une psychologue et elle ne pouvait sans doute pas se défaire d'autant d'années à l'être. Personne ne lui demandait de le faire de toute façon, et ça aurait été bien égoïste à elle de la forcer à ne pas aborder le sujet dans un sens, puisqu'il semblait véritablement trop crever les yeux d'Izaya.

« Je... »

Elle se tut quelques instants, cherchant quoi lui répondre. C'était si étrange comme sensation d'être ainsi analysée. Elle hésitait un peu, posant la crêpe sur la petite assiette qu'avait amené son hôtesse.

« D'accord... »

Plutôt que de continuer à chercher une réponse plus étoffée qu'elle ne trouvait de toute façon pas, elle se tourna vers l'assiette, fermant les yeux en portant à nouveau la crêpe délicieuse à ses lèvres. La douceur de la pâtisserie et du nutella était elle aussi très bénéfique, réparatrice, calmante. Elle se sentait incroyablement bien ici. Plus qu'elle ne l'avait été depuis longtemps. Peut-être même depuis Monbetsu ?..

Sentant finalement les mouvements de la femme qui venait de l'inviter, Haruna rouvrit les yeux pour la voir avec une étrange poupée qu'elle mit quelques secondes à reconnaître. Elle se souvenait en avoir déjà vu une dans l'une de ses vidéos, puis se souvint. Les Teru Teru Bozu. Ce souvenir fut très rapidement confirmé par les paroles du Dr. Miyamoto qui lui demanda si elle connaissait, ce à quoi elle répondit par un hochement de tête, avant d'essuyer du côté de sa main refermée les quelques traces de chocolat qui s'étaient glissées aux comissures de ses lèvres.

Attentive, elle écouta le discours de son hôtesse, observant à son tour la cité et ses lumières nocturnes par la fenêtre. En l'écoutant, elle ne peut s'empêcher d'être attendrie, atteinte par la passion qui semble animer la femme qui l'accueille. Il lui est de plus en plus difficile de trouver des fragments qui lui indiqueraient qu'elle est sur le point de se faire enfermer dans une cage et livrée aux Yakuzas, d'autant plus qu'elle se sent toujours bien. Elle n'avait pas vu Izaya préparer un quelconque somnifère avec le chocolat chaud, Neptune ronronne toujours autant. Tout va bien. Elle avait hâte que la boisson arrive.

Elle remarque cependant le geste de la psy, geste qui ne lui semble pas naturel. Elle fronce un peu les sourcils avant de l'interpeler.

« Ça va ? »

Les seules fois où elle a vu quelqu'un ainsi porter la main à son coeur, c'était avant des arrêts cardiaques chez des personnes plutôt âgées, mais Izaya est loin d'avoir cet âge avancé, il n'y a pas de raison qu'elle subisse ça. Malgré tout, elle préfère la questionner immédiatement, sachant très bien que ça peut être crucial d'agir dès les premiers instants s'il y a un problème. Une main sur le divan, elle est prête à se lever, quitte à déranger le chat bien installé lui aussi.

L'orpheline remarquait bien tous les sourires de son hôtesse. Elle qui souriait facilement semblait malgré tout présenter une certaine gamme diverse, du sourire poli qui semblait malheureusement un peu faux à celui beaucoup plus véritable qu'elle venait de décocher juste parce que Haruna l'avait appelé simplement par son prénom, sans la distance normale habituelle qu'elle gardait. Celui-la lui prouvait qu'elle était véritablement heureuse de cette petite simplicité de langage. La proximité devait véritablement lui manquer, là où elle était souvent pesante à la demoiselle aux yeux d'un indigo violacé.

Répondant par un sourire un peu gêné, elle laissa la discussion se continuer sans plus marquer cet échange de second plan mais qui avait tout autant de sens à ses yeux. Elle sent notamment la passion bien réelle et l'envie de bien faire de la Miyamoto dans son discours et dans ses attitudes, son regard, son sourire qui la aussi est bien vrai, aucun doute là dessus pour la frêle musicienne.

Lorsque son hôtesse s'arrête cependant, elle marque un doute, une inquiétude et s'apprête à se lever jusqu'à ce que, très rapidement, Izaya la rassure. Puis fasse s'emballer son propre coeur. Spectatrice de la scène surréaliste qui se développa sous ses yeux, elle se retrouva face à une femme en sous-vêtements alors qu'elles étaient ni proches ni dans un onsen, ce qui la surprit diablement. Elle aussi sentit son coeur bondir d'un seul coup dans sa poitrine, sonnant si fort qu'il l'en assourdissait presque. La gêne l'envahissait et alors qu'elle rougissait, elle détourna le regard, portant ses mains à son visage comme si elle pouvait y disparaître.

Elle y jeta quelques coups d'oeil malgré tout, remarquant désormais la cicatrice complète dont elle n'avait vu que le bout auparavant.

« Ah... Ahah... Oui je vois ça a du être terr... »

Alors que la psychologue était planté devant elle désormais très proche et que cette dernière attrapa son poignet, elle sentit littéralement son coeur s'arrêter alors que sa main était guidée jusqu'à la peau de l'ancienne cardiaque. Elle coupa également sa respiration sans y prêter attention l'espace de quelques instants, comme si les mouvements imperceptibles et incontrôlés que cela provoquait risquait de blessure cette fracture sur la peau de son interlocutrice, de la rouvrir en direct. La remarque d'Izaya la fait baffouiller, l'embarras la dévorant vive.

« Oui... D'accord... Je comprends... »

Carmin, la demoiselle d'ordinaire pourtant plutôt pâle baisse la tête alors que la youtubeuse se met à rire gentiment.

« Erhm... Oui... Bien sûr... Juste que... La proximité... Enfin... Je gère pas... Pas trop bien... désolée si... Si ça te gêne... Ma réaction... Je... Pas exprès... Voilà... »

Le contact prolongé avec sa peau mise à nue la perturbe grandement, elle essaie de ne pas y penser, d'être moins absorbée par ce contact qui ne veut sans doute rien dire si ce n'est une certaine franchise, un choix d'être direct et naturel sans barrières fausses ou de simple pudeur. Elle est directe, sans doute trop pour l'ingénue qui n'a pas ce genre d'habitude. Le seul lieu ou quelqu'un d'autre que ses parents l'a vue nue, ou même en sous-vêtements, c'est bien les onsens où elle va pour se laver et pour faire sa lessive régulièrement.

Le fait que Miyamoto ne la lâche pas lui laisse donc le temps de reprendre un peu ses esprits et d'oser un peu plus lever le regard, jusqu'à ce que les yeux de la femme semi-déshabillée finisse par capturer les siens pour ne plus les relâcher, Haruna se retrouvant incapable de les détourner désormais. Ce qui est finalement beaucoup plus supportable que de réfléchir au contact direct et à toutes les pensées qui virevoltent dans tous les sens dans son esprit sans qu'elle n'en comprenne elle-même le quart. Clignant simplement des yeux à la remarque d'Izaya, elle a un petit rire nerveux, toujours bloquée en face à face direct.

« Aha... Je vois... Tant mieux... Si ça t'aide... »

Alors qu'elle se sentait déjà dans une position terriblement gênante, le seul support d'aide qui était le chat encore ronronnant sur ses genoux jusque là décide de se lever pour aller faire un tour, sans doute vers le lait qui a finalement dû attirer son attention. Plutôt tranquille ce dernier, elle en avait vu des plus affamés. Il doit être bien nourri, n'étant d'ailleurs pas trop gros ni trop fin.

« Aha... Oui... Le lait... »

Elle n'avait aucune raison de dire ça. D'ailleurs, Izaya lui avait déjà tourné le dos après l'avoir lâché. Elle avait parlé aussi. Mais ça semblait déjà si loin. Elle n'avait pas eu le temps de comprendre. D'assimiler.

Lorsque Izaya revint, elle était toujours déshabillée, ce qui fit de nouveau rougir et baisser les yeux à la demoiselle aux yeux pourpres. Elle ne savait plus trop quoi dire le temps que la psychologue remette son haut et pose les bols de chocolat chaud sur la table basse. Alors que la Miyamoto la prévient, l'Arai hoche doucement la tête, encore intimidée, ne sachant plus trop où se mettre.

Quand la psy s'installa enfin, Haruna posa ses mains sur le bol bien chaud, soufflant doucement sur la surface du liquide fumant. Son regard était absorbé par ce dernier, encore perturbée de ce qu'il venait de se passer.

Le temps s'était comme arrêté encore une fois. Mais cette fois, c'était différent. Ce n'était plus poétique, c'était hypnotique. Les yeux plantés dans ceux d'Izaya, Haruna eut l'impression qu'une infinité de temps se déroulait à vitesse folle sans qu'elle n'en perçoive la moindre seconde. Elle était comme hors du train qui conduisait le temps à toujours avancer. Hors de cette locomotive qui filait à toute allure sans jamais s'arrêter. C'était grisant et si déroutant à la fois. Le contact de sa peau, elle ne le sentait quasimment plus. Hors de son corps, elle observait cette scène aussi surréaliste qu'inattendue.

Ce fut uniquement lorsque la Miyamoto se dégagea d'elle-même que l'Arai put revenir dans les flots du temps, tanguant alors grandement sur la surface de cette rivière qui la menait Dieu sait où. Reprenant en même temps sa respiration, elle avait perdu ses repères pendant quelques secondes et ne savait plus trop comment réagir. Choisissant le silence pour l'instant, balbutiant quelques phrases, elle laissa le temps couler pour reprendre ses esprits totalement. Le rouge aux joues quand Izaya revint, elle profita hâtivement du chocolat chaud, seulement pour ses mains et pour son odorat dans un premier temps. C'était encore brûlant.

Écoutant les explications d'Izaya sur sa solitude, la sans abris se demandait si quelqu'un était véritablement heureux dans cette ville. C'était perturbant. Elle qui pensait que quelqu'un comme Izaya avait tout pour elle, avec de l'argent à profusion, des amis, une communauté, un chat, un travail fixe, qui était belle, ne pouvait pas véritablement avoir de problèmes. Mais elle le sentait dans sa voix, dans ses réactions. Elle avait une peine réelle. Une peine qu'elle n'aurait jamais soupçonné tant en la rencontrant dans les premiers instants qu'en visionnant sa chaîne youtube. C'était assez déroutant pour l'ingénue qui n'avait pas grand chose. Mais même si elle s'imaginait qu'avoir de l'argent et du succès comme Izaya permettait d'être à l'abris des problèmes, elle restait sensible à ses réactions, à ce qu'elle voyait. Elle n'était pas de ceux qui devenaient aveugles une fois les cases supposées remplies. Une fois les gens triés par son jugement interne. Elle parvenait toujours à rester attentive. Et ce qu'elle avait vu ne la rassurait pas totalement. Les actions un peu trop directes à son goût, les phases de tristesse. Elle semblait aussi avoir des problèmes, des problèmes auxquels Haruna ne savait pas vraiment comment répondre. D'autant plus que c'était une psy, et que si quelqu'un avait des réponses, ça aurait sans doute d'abord dû être elle-même plutôt qu'une gamine qui jouait de la trompette.

N'ayant rien à lui répondre de certain, rien à lui offrir, elle lui fit juste un sourire sincère, tâchant de lui montrer que même si elle avait encore les joues rouges de gêne, elle n'était pas dégoûtée ni répulsée. Elle se doutait que ça aurait un très mauvais impact sur son hôtesse, et ce n'était pas comme ça qu'elle comptait remercier son attention et sa gentillesse. Maintenant, elle avait moins de doutes sur les actions d'Izaya. Si elle l'avait invité, qu'elle voulait lui parler, c'était bien pour combler ce manque et non par plan de kidnapping, elle en était de plus en plus certaine.

Trempant finalement ses lèvres dans la boisson chaude, elle ferma les yeux pour profiter du liquide brûlant. Réchauffée intérieurement, elle se sentait bien, à nouveau apaisée. En pahse avec l'instant. Elle rougit un peu en voyant qu'une nouvelle crêpe était apparue dans son assiette alors qu'elle demeurait pensive et silencieuse, les yeux un peu perdus dans le vide, à juste écouter la voix de la psy qui était à côté d'elle. Elle se sentait ingrate malgré tout, alors qu'elle voulait la remercier de tout coeur. Mais les mots... Ils étaient lourds. Et difficiles à transmettre. C'était simple pourtant. Mais elle avait peur de ne pas utiliser les bons. De se montrer cruelle, ou inattentionnée. Elle avait peur de faire un faux pas.

« Ahah... Et bien... Tant mieux si je peux t'aider un peu... Je te l'ai déjà dit mais... J'aime pas ça... Quand je reçois sans donner en retour. Et j'ai pas grand chose à donner, donc je suis souvent embêtée quand quelqu'un veut... Enfin tu vois... »

Les joues de nouveau rouges, mais à cause de ses propres paroles cette fois-ci, elle fit un petit sourire en penchant légèrement la tête sur le côté, se tournant un peu vers Izaya qui s'était installée à ses côtés.

« Disons que... J'ai vu quelques personnes mourir comme ça, ou au moins être embarquées à l'hôpital. Je sais qu'il faut agir vite et prévenir les secours directement dans ces cas... Que chaque minute est cruciale. Donc je préfère m'inquiéter un peu trop que me dire que ça va passer... »

Pour le reste de la remarque d'Isaya, elle ne préfère rien dire, n'ayant pas de mots qui correspondent à ce qu'elle ressent dans son esprit. Elle n'a pas trop envie d'en parler non plus, ce qui n'aide pas à la communication sur le sujet. Alors elle se contente de garder le silence.

Lorsque la tête de la Miyamoto vient se poser sur son épaule, elle rougit à nouveau et n'ose plus trop bouger. Elle se tend un peu, mais rien à voir avec ses sursauts précédents. Elle a acquis une certaine confiance envers elle. Une confiance qu'elle accorde très rarement. C'est en voyant les autres agir, en regardant leurs expressions, en écoutant leurs tournures de phrases... Tout ça lui indique si elle peut ou non faire confiance. Et en général, elle ne se trompe pas. Elle espère que ce ne sera pas le cas cette fois non plus. Surtout venant de quelqu'un qui semble lire si facilement en elle. Ça serait bien trop effrayant. Un très léger frisson lui parcourt le dos à cet instant, mais elle reste silencieuse pour l'instant, écoutant la suite des paroles de son hôtesse.

« J'ai... J'ai pas trop l'habitude... Je suis plutôt seule... Ou alors avec une certaine distance, comme quand je travaille... On a pas de vrai contact avec les clients, à la rigueur quelques phrases échangées... Mais on ne se touche pas, sauf parfois par accident, quand il y a beaucoup de monde dans le restaurant... »

Elle hésite un peu. Elle ne se sent plus trop à l'aise, à devoir ainsi parler d'elle. Elle aime bien écouter. Moins se dévoiler. Elle hésite encore. Ses pensées se bousculent, qu'est-ce qu'elle doit faire ? Parler plus pour alléger un peu le poids sur les épaules d'Izaya qui doit faire presque toute la conversation toute seule ?.. Elle hésite. Si elle parle peu, c'est bien aussi, non ?.. C'est dur de se livrer en plus. Surtout à quelqu'un qu'elle a rencontré pour la première fois il y a deux heures, même si elle l'a écouter parler bien plus longtemps sur sa chaîne.

« J'aime bien le silence moi... Il fait parti de la musique. John Cage avait fait quelques trucs là dessus. J'aime pas trop ce qu'il a fait, le résultat je veux dire. Mais j'aime bien ses idées. »

Terminant tranquillement ce goûter improvisé et inattendu, elle écoute ensuite toutes les propositions d'Izaya, ne sachant pas trop quoi répondre. Elle jette un oeil au dehors par les grandes fenêtres qui donnent sur la ville. Il fait déjà noir de toute façon. Alors un peu plus ou un peu moins, ça changera juste le nombre d'heures qu'elle aura à payer au cybercafé. Autant profiter un peu, et ça sera moins cher au final.

« Je veux bien... Mais j'en ai presque jamais lu. J'ai surtout regardé beaucoup d'anime des années 2010. Ou des films comme les Miyazaki. J'aime beaucoup la musique de Hisaishi... »

Elle fait un petit sourire à Izaya, hésitante avant de se lever à son tour.

« Je... J'ai pas fait grand chose pour mériter tout ça... Alors ça te va si je fais au moins la vaisselle pendant que tu choisis les mangas ?.. J'aurais juste besoin que tu me montres quel produit tu utilises... et où est ton éponge. »

Ele avait globalement localisé la cuisine, mais les détails comme ceux-là étaient parfois cachés, alors elle préférait demander plutôt que de s'aventurer au hasard. Et puis elle se sentirait mieux si son interlocutrice acceptait. Elle n'aimait vraiment pas se sentir parasite.

La réponse d'Izaya portait sans doute du sens pour elle, son positionnement face au silence faisait sans doute rapport à sa propre expérience. Mais celle d'Haruna était toute autre. Et contrairement à elle, la durée n'importait pas. Une semaine ou dix ans, le silence comme la musique étaient toujours appréciables. Certes il lui arrivait de se lasser. Mais ces grands principes qu'étaient la musique et le silence.. Ils étaient différents. C'était comme si elle changeait de plan d'existance, qu'elle voguait ailleurs. Là ou plus rien ne pouvait l'atteindre. Comme une sorte de transe, de méditation qu'elle ne pouvait atteindre que grâce à ces principes et à leur répétition. Elle se laissait alors envoûter pour aller là où elle ne souffrait plus.

« Je vois... Même si ça ne me fait pas ça, je crois que je comprends. »

Impossible d'être certaine que ce soit le cas, elle n'était pas à sa place après tout. Chacun avait sa propre perception du monde et croire qu'on pouvait la forcer dans le regard des autres était bien souvent futile, égoïste même.

Le sujet dérive alors sur les mangas et les animes. Elle est un peu amusée de voir que cette psychologue qui avait l'air si sérieuse et loin de ce monde de Jump et toute autre publication de ce genre était elle aussi touchée par leur beauté. Nombreux étaient ceux qui s'en détachaient en rentrant dans l'âge adulte. Elle répond par un sourire amusé à l'adjectif choisi pour Miyazaki. C'était vrai. Ses oeuvres étaient pour la plupart des pièces de maître en la matière. Difficile de trouver qui que ce soit pour ne serait-ce que concurrencer sa réalisation, mais aussi l'intérêt et les multiples lectures qu'on pouvait souvent tirer de ses oeuvres, avec leur discours sur le monde et l'environnement, la nécessité d'apprendre à faire avec plutôt qu'utiliser sans vergogne. De montrer sans jugement de valeur ce qu'il peut arriver, sans définir ce qui est mieux. Juste donner à observer les différents points de vue avec leurs arguments. C'était quelque chose de particulièrement fort dans Princesse Mononoké, ou personne n'était "méchant".

Proposant alors son aide, la brunette aux yeux violacés sent l'étonnement, puis entend le soupir. Elle ne comprend pas ? Ou alors était-ce qu'elle estimait qu'elle n'en serait pas capable ? C'était étrange comme réaction, elle ne comprenait pas cette dernière. Pourquoi réagir ainsi ? C'était ennuyeux ? Gênant ? Déplacé ? Elle avala sa salive, espérant ne pas avoir été malpolie ou avoir demandé quelque chose qu'il ne fallait pas. Peut-être qu'une éducation dans une meilleure famille donnait accès à ce genre de concepts qui la dépassait. Pour elle, c'était naturel et normal d'aider son prochain, même d'aider son hôte en tant qu'invité.

Mais de nouveau, Izaya reprend son sourire. De nouveau, elle a l'impression que ce dernier est faux. Qu'il est là pour faire bonne figure, la rassurer. Et l'effet est totalement inverse. Elle se mord la lèvre, baisse un peu les yeux. Elle se sent de trop. Elle n'aurait pas dû accepter, elle aurait dû lui dire qu'il était tard, qu'elle devait aller dormir. Mais l'envie de profiter de l'instant avait été trop grande. Et maintenant, c'était trop tard. Partir là n'aurait fait qu'empirer les choses.

N'osant plus trop parler, elle se met au travail tandis que la Miyamoto s'occupe de ranger les pots qu'elle avait sorti. Alors qu'elle commence à nettoyer la première assiette avec l'éponge, ayant déjà humidifié le tout pour enlever plus facilement les traces de chocolat, les paroles d'Izaya la troublent, la faisant rougir de nouveau.

Oubliant ses pensées d'il y a à peine quelques instants, elle commence à tourner la tête pour s'enquérir de la situation et sent alors un baiser sur sa joue, ce qui la fait tourner en quelques instants au carmin. Elle détourne le regard, plongeant ses yeux vers l'évier. Elle se met à frotter plus fort, perturbée. Ça devait faire plus de dix ans que personne ne l'avait embrassé. Et la dernière fois, c'était sa mère.

L'embarras de l'instant se transforma alors rapidement en une tristesse profonde alors qu'Izaya part en gambadant pour aller chercher dans ses mangas. Bombardée de flashs de sa mère alors qu'elle était deux fois plus jeune, elle sentit des larmes monter à ses yeux, la prendre au coeur et à la gorge. Elle ne put les empêcher de couler pendant de longues secondes alors qu'elle continuait la vaisselle. En deux minutes à peine, elle avait terminé, posant les bols, les assiettes et la cuillère dans l'égouttoire. Elle s'essuie alors un peu les yeux, légèrement rougis.

Sortant de la cuisine, elle rejoint Izaya, tâchant d'éviter son regard pour que cette dernière ne remarque rien. Ce n'est pas grand chose après tout. Juste des souvenirs. Elle devait penser à autre chose le temps qu'elle resterait. C'était mieux si elles arrêtaient de parler de psychologie. Elle n'avait pas trop envie d'être oscultée en cet instant.

« Oh, d'accord... »

Observant la couverture, elle comprend vite que les héros de l'histoire sont deux jeunes femmes. Mais elle ne connait pas bien les genres, s'étant toujours contentée de regarder les couvertures et d'écouter ce que les gens en disaient. Elle aurait été bien incapable de classer les Miyazakis dans les différentes catégories qui existaient par exemple. D'ailleurs, elle n'en connaissait sans doute pas la moitié, de ces catégories.

Concentrée sur le manga, elle le retourna pour en découvrir la quatrième de couverture pendant quelques instants avant d'entrouvrir les lèvres. Les problèmes d'ordre pratique commençaient à s'annoncer.

« Comment on s'installe ?.. Et où ?.. J'ai jamais lu de livre ni de manga à plusieurs... Enfin... Quand j'étais petite, mes parents me lisaient des histoires, mais c'était différent. »

Un peu embêtée de son ignorance, elle fit un léger sourire, gardant toujours les yeux légèrement baissés. Elle ne voulait pas paraître trop évidente, mais elle doutait fortement que tout ceci échappe à la psychologue avertie qu'était Izaya.

Ne sachant pas trop ce qui est considéré comme "normal" pour ce genre de pratique, elle hésite un peu mais décide finalement d'accepter, les joues légèrement rosies par la proposition inattendue. Essayant de s'adapter rapidement, elle frissonne.

« Euh ok... Ça me va. »

La suite la mit un peu plus dans l'embarras. Alors qu'elle pensait qu'il s'agissait juste d'une lecture, Izaya commence à lui proposer de dormir, ce qui la perturbe d'autant plus. Pourquoi aurait-elle besoin de rester ? Elle était si seule que ça ?.. Non, elle n'avait pas emporté de sac, elle ne pouvait décemment pas accepter. Sinon, elle risquait de montrer qu'elle était capable d'utiliser un inventaire, ce qu'elle n'avait jamais vu faire chez aucun chasseur. C'était très particulier, limité à sa condition. Impossible qu'elle accepte de dévoiler ça à une toute nouvelle connaissance. C'était trop dangereux. Baffouillant un peu, partagée entre une intimidation partielle, une gêne de circonstance -elle lui proposait quand même de dormir ensemble- et cette idée sournoise qui persistait à lui dire que peut-être elle pouvait être en danger, Haruna finit par trouver son excuse complète et la formuler. Et elle était plutôt proche de la vérité, ce qui l'aidait beaucoup à ne pas s'exposer en tant que menteuse.

« Je... C'est pas que je veux pas... Je peux pas... Je travaille tôt demain, je devrai rentrer après... Et puis j'ai pas d'affaires pour dormir ni de rechange sur moi... »

Gênée et attristée également de devoir dire non à cette femme qui semblait pourtant très sincère, quoi qu'en dise son subconscient, Haruna accepte de suivre Izaya dans sa chambre. Elle remarque cependant l'instant pendant lequel son sourire change, devenant un peu moins sincère à ses yeux. Ce n'est pas grand chose, mais le plissement de ses lèvres, de ses paupières... C'était comme si son sourire était devenu incomplet. Peut-être qu'elle se faisait des idées. Peut-être qu'elle se trompait tout simplement. Mais c'était ce genre de chose qui lui faisait penser que ce n'était pas parfait aux yeux de son hôtesse.

Elle sent alors la main de la psy saisir la sienne avec une certaine douceur, ce qui ne manque pas de ramener le rouge à ses joues. Le regard toujours un peu baissé, évitant d'être trop frontale pour montrer qu'elle a pleuré il y a tout juste quelques minutes, Haruna la suit en découvrant avec une émotion partageant surprise et stupeur face à la grande pièce qui se dévoile devant elle. Plus qu'une chambre, c'est presque une suite qui s'ouvre devant elle. A la différence que les autres parties de la salle ne sont pas des toilettes une salle de bain et une cuisine mais une petite bibliothèque et ce qui semble être un coin jeux.

Alors qu'elle était happée par cette vision, une large fenêtre donnant elle aussi sur les lumières de la cité la gardant troublée, elle entend la voix d'Izaya qui l'interpelle. Relevant alors les yeux sans trop y penser, elle se souvient après seulement quelques instants qu'elle devait éviter le face à face jusqu'à ce que ses yeux redeviennent normaux. D'une petite voix, elle répondit à la Miyamoto, se mettant à quatre pattes sur le lit pour s'enfoncer dedans avant de se retourner pour être de dos.

« Oh ok... Ojama shimasu... »

Une fois suffisamment au fond pour ne plus avoir les pieds qui dépassent, elle s'allonge et regarde le plafond, pensive. La sensation si unique d'un lit la submerge, ramenant l'espace de quelques instants des perles d'eau salée au niveau de ses cils, mais celles-ci ne restent qu'une fraction de temps avant qu'un battement ne les fasse chûter, aucune autre ne venant les remplacer. C'était si simple et pourtant si doux, si agréable. Les chaises, les divans ou le sol étaient certes acceptables pour elle, mais ils n'avaient pas cette magie.

Pendant ces quelques secondes, Izaya se rapprocha, finissant par s'appuyer un peu sur elle, posant sa tête contre son épaule. Les joues rouges, l'Arai la laisse faire. Alors que la femme s'installe un peu mieux, la demoiselle n'ose plus bouger, c'est à peine si sa poitrine se soulève à chacune de ses respirations. Elle attend. Jusqu'à ce qu'enfin Izaya reprenne la parole, la soulageant du poids du silence qui, cette fois-ci, s'était montré particulièrement taquin, seulement animé de froissements de draps.

« D'a... D'accord... »

Un peu perturbée, Haruna commence alors à lire. Elle ne sait pas à quelle vitesse aller, si elle peut prendre le temps de bien regarder les détails ou si Izaya est plus attachée à l'histoire et que les dessins sont plus secondaires à ses yeux. Difficile à déterminer. Certains aiment passer près d'une dizaine de minutes sur chaque planche tandis que d'autres les tournent toutes les quinze secondes. Difficile à dire pour commencer. Après environ une minute, elle cherche le regard de la psy et se rend un peu mieux compte de cette proximité dans laquelle elles sont. Et elle en rougit un peu plus, retournant vite au livre pour tourner la page.

Son coeur se met lui aussi à battre plus fort, s'amuse à la tourmenter. A lui faire comprendre que cette situation n'est pas totalement banale. Mais elle ne sait pas véritablement en quoi. Sans doute parce qu'elles n'avaient pas la connivence qu'avaient deux amies de longue date, qu'elles ne se connaissaient réellement que depuis quelques heures. Et encore, elle n'avait quasimment rien dit sur elle. C'était sans doute normal puisqu'elle avait beaucoup à cacher pour assurer sa sécurité mais aussi celle d'Izaya si elle n'était pas mêlée aux Yakuza pour l'heure. Autant ne pas lui amener de problèmes, elle s'en serait grandement voulu. Surtout que s'ils savaient qu'elle "connaissait" une psy, ils viendraient certainement voir cette dernière pour qu'elle paye sa dette à sa place. Et ça, c'était hors de question.

« Ahah... Euh... Oui... »

Bon, pas trop. Mais la nervosité était différente. C'était plus une gêne qu'une peur désormais. C'était sans doute plus naturel aussi, plus habituel. Elle était toujours rouge, comme si sa peau avait décidé soudainement de changer de couleur. Mais pour autant, les premières pages défilaient. Avec elles, Haruna découvrait deux filles, Adachi et Shimamura. Toutes les deux étaient en première année au lycée. Et elles préféraient sécher les cours en se réfugiant proche des tables de ping pong, en surélévation du gymnase de l'établissement. C'était particulier cette relation. Plutôt étrange. Elles étaient distantes mais en même temps complices. Elles ne se connaissaient pas encore.

Pensive après quelques pages, elle regarda à nouveau le plafond, arrêtant de lire pendant quelques instants. C'était volontaire, cette sorte de proximité étrange entre cette histoire et elle et Izaya ? Non... Ça devait simplement être le style de manga qu'appréciait la trentenaire. Après tout, elles n'étaient plus des lycéennes toutes les deux, et ce depuis longtemps. Même si l'uniforme que portait Haruna pouvait laisser penser le contraire.