Histoire

Tic-tic-tac-tac-tic-tic-tac-tac.
Entrer dans la chambre de deux soeurs possédant chacune son réveil personnel peut s'avérer assez perturbant, tant la perception des secondes se retrouve altérée. Comme si l'une d'entre elle se dédoublait. Le temps passerait-il plus vite ou plus lentement ? Restez donc dans cette pièce sombre ou deux jeunes filles sont assoupies, je vais profiter de ces quelques minutes pour vous raconter comment elles en sont arrivées là.

vingt-et-un ans plus tôt, deux êtres croisèrent leur route. Un homme, une femme. Avaient-ils quoique ce soit de particulier ? Non. Tout le monde ne naît pas spécial et ces individus n'avaient en commun que leur normalité. Mais après tout, quel était le mal ? Être normal, aller boire un café en sortant du bureau, chanter au karaoké, manger à des restaurants bas de gamme, ignorer copieusement toutes ces histoires de donjons... Se retrouver chez l'un des deux après une soirée bien arrosée.
De cette normalité est née une petite fille. Première née des Shimizu, Kasumi vint au monde dans une tranquillité presque insolente. Un apaisement presque irritant. A tel point que l'on se demanda si elle ne s'était pas forcée à pleurer par principe.

Une famille et paisible avait donc été fondée, cette petite famille composée de Kasumi, sa mère Haruko et son père Kenta vécut dans la grande ville, en appartement de taille moyenne, se nourrissant de plats moyens, s'offrant des habits moyens, profitant de loisirs moyens. Et cette vie était proche de la perfection.
Oh bien sûr, treize ans ne passent pas sans heurt. Haruko et ses trous de mémoire, Kenta et ses heures supplémentaires, la mort de deux grands-parents, l'accumulation de quelques dettes... Somme toute des problèmes que toute famille normale rencontre tôt ou tard.

Toutefois, là où Haruko avait bien vécu ses problèmes de mémorisation, Kasumi les couplait avec une personnalité explosive et se faire des amis était tâche difficile. Treize ans ne passent pas sans heurt, et le passage des treize ans fût une grande étape de transition pour les Shimizu. Haruko et Kenta furent promus dans leur entreprise et durent multiplier les voyages de plus en plus loin. Kasumi avait rencontré une lycéenne, Hoshino Nakai, qu'elle ne souhaitait plus lâcher. Mais surtout, un deuxième bébé était né.
Ces événements marquèrent un tournant dans la vie de Kasumi. Elle devait apprendre à se débrouiller seule chez elle désormais, apprendre à sociabiliser sans rebuter Hoshino... apprendre à s'occuper d'un bébé. La petite Junko avait, elle, un tempérament très fort dès le début. Petite surdouée, elle se passionnait pour les maths, surclassant tous ses camarades de classe.

Les années passèrent, les parents étaient de moins en moins là et une nounou devint nécessaire pour que Kasumi réussisse sa scolarité. Elle avait une vie alors bien remplie. Surprenemment, l'âge de raison frappa Junko de bien forte manière. A six ans, elle s'était faite virer de tous les établissements où elle s'était rendue, accusée de tricher en plus d'arborer un comportement exécrable. Elle se plongea alors dans... le code et elle fût si performante qu'elle put faire vivre la maison en répondant de commandes en ligne. Grâce à elle, Kasumi continua sereinement son parcours.

C'est au lycée qu'elle découvrit une nouvelle passion : la composition florale. Elle était rentrée dans ce club sans réellement réfléchir et pourtant, voilà qui lui permit de devenir plus posée et d'améliorer sa mémoire. Tant et si bien qu'à peine son diplôme en poche, Kasumi devint presque immédiatement fleuriste. C'était là sa place et chaque jour à conseiller les clients le lui confirmait.
Toutefois, les amitiés demeuraient rares. Elle gardait contact avec Hoshino depuis que cette dernière avait quitté l'éducation mais sans plus. C'est dans ce contexte qu'une "cliente" se fit relativement envahissante : Kamui Mirai, impolie et brusque tornade impétueuse qui semblait s'être prise d'affection pour Kasumi, le sentiment s'avéra réciproque avec le temps. Principalement car la grande gamine des rues utilisait la pauvre vendeuse pour se cacher des policiers.

Mais malgré tout, la vie était tranquille... peut-être même un peu trop. Kasumi décida lors de ses vingt-et-un ans de changer son train-train quotidien en devenant chasseuse. Elle commença par aider à bas niveau des groupes. Hoshino étant dans la misère, c'est vers elle que Kasumi se dirigea pour des armes customisées... régulièrement oubliées.

Et nous voilà donc à ce jour fatidique... jour durant lequel les secondes semblaient se dédoubler...



-Grande soeur, ton-

-Oui, mon sac.

-Et tes-

-Pistolets et mes clés oui.

-Et ta-

-Gourde, oui, je sais Junko. je dois filer vite maintenant, l’équipe dans laquelle je suis s’irrite facilement. A ce soir.

La porte claqua.

-... Ta grenade… celle qu’Hoshino t’a faite hier… Pfff, j’espère qu’elle en avait pas besoin.

Kasumi filait comme le vent sur la route du donjon. D’une bonne constitution, elle maintenait une certaine vitesse afin de, non pas arriver en avance, mais pile à l’heure souhaitée. Car on ne pouvait rien lui reprocher à la seconde près. Ce groupe de rangs E comme elle était composée de rebuts. Des salauds cyniques, désagréables et fauchés qui prenaient malin plaisir à rabaisser la jeune femme ainsi qu’à l’envoyer dans les passages les plus visiblement dangereux, pariant sur combien de temps elle tiendrait avant sa démission. Et cette dernière n’allait pas tarder.

Non sans la tacler un bon coup, interrompant disgracieusement sa course, le chef lui indiqua de se grouiller, comme si tout le monde était déjà à l’intérieur alors que la porte n’avait été franchie que deux secondes plus tôt. Kasumi poussa un violent soupir. De toute façon, son travail serait de récupérer les objets derrière, comme d’habitude.
Les secondes passèrent dans le donjon, la jeune femme ramassait presque religieusement les minerais qu’elle pouvait prendre mais une voix désagréable la tira de sa collecte.

-Eh, la nouvelle ! Tu vois la salle là-bas ? C’est blindé de minerais. Va tout récupérer ! Avec cette quantité, tu pourras juste nous attendre à la sortie, pas la peine de se trimballer un sac à cailloux.

-Très bien.

Des rires s’élevèrent tandis qu’impassible, Kasumi avançait vers cette salle, assez petite mais semblant contenir moult trésoreries dont notre héroïne ne toucherait qu’à peine deux pourcents. Mais bon, s’il fallait ça, il fallait ça. Au centre de la pièce se trouvait un coffre. Il était bien… gros pour un étage si peu compliqué. Evidemment, les soupçons de la jeune femme se faisaient très hauts, d’autant qu’aucun ennemi ne l’avait attaquée pour l’instant. C’était de plus en plus louche mais soit… Kasumi évita simplement le gros appât et commença à récupérer des cristaux. Deux cristaux, cinq cristaux… et au dixième, deux sons retentirent. Le premier fût un sifflement provenant de là où elle avait arraché son trésor, un petit gaz qui la fit reculer en arrière. Le second bruit était sourd… la porte qui se fermait. Et le sifflement continuait.

-Oh n-

Interrompue par une vision troublée, Kasumi comprit vite le pétrin dans lequel elle était et elle fonça vers la porte, la martelant.

-Au sec- au secours ! Aidez-moi !

Rien à faire, rien à faire, elle ne pouvait pas sortir. Le coffre ! S’il n’était pas le piège en lui-même, sans doute était-il la solution ! Kasumi se jeta dessus, l’ouvrit et tomba nez à nez avec… des dents. Une langue immonde, de la salive répugnante. Des pattes sortirent de la créature, comme une araignée venant enfin de dénicher sa proie, prête à la déguster.
La jeune femme voyait trouble, elle reculait vaguement alors que la mimique devenait de plus en plus monstrueuse, comme dégoulinant d’une masse noire, elle ne comprenait plus rien, elle ne comprenait plus rien. Elle agrippa l’un de ses pistolets mais ses membres engourdis la firent chuter au sol. Et elle rejoignit bien vite l’objet sur cette pierre froide, regardant impuissante la créature informe avancer vers elle.

-A-A-AAAAAAAAH ARRÊTEZ ! JE NE COMPRENDS PAS ! J’AI OUBLIÉ ! AU SEC- AU SECOURS !

Sa dernière solution, elle venait de s’en souvenir ! C’était précisément pour ce genre de situation qu’elle l’avait commandée ! Elle fouilla dans son sac, main tremblante… Mais c’est sans rien à l’intérieur qu’elle la ressortit.

-M-Ma gre… non… non… je… ma grenade, je l’ai…

Les larmes perlaient sur ses jours et puis enfin, ce qui devait arriver arriva. : Une violente douleur vint lui agresser le ventre. Tel un pieu, la patte de ce qui fût autrefois une mimique s’était plantée dans son estomac. Elle tourna une fois, deux fois, chaque tour faisait l’effet d’une vrille dans son cerveau. Elle cracha du sang, une, deux fois. Tic-tic-tac-tac, le temps se dédoublait, tic-tic-tac-tac, les secondes se rallongeaient.

-J-Je ne voulais plus… oubl- BLARKGH-

La douleur, comme les secondes, avait trouvé jumelle dans sa gorge. Lorsque la première soeur tournait dans un sens -Tic-tic-, l’autre soeur vrillait dans l’autre -Tac-tac-. Combien de secondes ce manège jumeau avait-il duré ? Kasumi avait oublié. La vie quittait peu à peu son corps, ses poumons se remplissaient de sang et de gaz toxique, ses organes se répandaient sur le sol et sa colonne vertébrale craquaient sous la pression.

Lorsque tout s’arrêta, aucun de ses membres ne fonctionnait, comme si chaque goutte de vie s’échappaient d’elle, partie du corps par partie du corps. Et c’est au moment où semblait-il que seuls ses yeux fonctionnaient encore que cette… fenêtre apparût.

“ALERTE ! Désirez-vous devenir une joueuse ?”

“Oui” pensa Kasumi avec le peu de matière grise encore fonctionnelle qui lui restait. Elle s’éteignit ainsi.
Pourtant, un violent flash blanc vint à la ramener sur terre. Une odeur médicale mais une autre familière. Kasumi ouvrit difficilement les yeux, toute douleur avait disparu. Un lit blanc et une chaise occupée par Junko face à elle. Cette dernière écarquilla les yeux avant de se ruer sur sa soeur, la prenant dans ses bras.

-KASUMI ! J’AI EU TELLEMENT PEUR ! ILS ONT DIT QUE TU TE RÉVEILLAIS PEUT-ÊTRE PAS ! J’AI EU TELLEMENT PEUR !

Kasumi répondit à l’étreinte mais… elle ne pouvait que fixer cette étrange fenêtre qui venait d’apparaître.