A peine sorti de sa douche, Naël trônait devant le pauvre miroir contenu dans sa minuscule salle de bain. Geste instinctif resté de son précédent traumatisme, il ne pouvait s’empêcher de contempler la peau lisse de son torse là où aurait normalement dû se trouver une imposante cicatrice. Il ne comprenait pas encore tout, et, comme il ne pouvait en parler à personne, il se contentait pour l’heure de suivre aveuglément les consignes que le système lui prodiguait. Le jordanien aurait d’ailleurs put se sentir parfaitement bien s’il n’avait pas l’impression étrange que quelqu’un – ou plutôt quelque chose – épiait les moindres de ses faits et gestes. Qu’importait finalement. Naël savait qu’il avait fait ce choix dans un donjon perdu au milieu du désert, et qu’il ne pouvait revenir en arrière. Et laisser ses penser vagabonder et tenter de résoudre un problème insoluble n’était pas vraiment son genre. En profiter, en revanche, l’était bien davantage. Naël le savait, il devait rester prudent. Mais pour l’heure, bien qu’impitoyable, le système lui avait permis de vivre, et même de progresser un peu. Ce n’était certes qu’un début, mais les avantages de cette « deuxième vie » étaient d’ores et déjà plus que palpables.

Le Japon non plus ne le décevait pas. Pour l’heure, il ne faisait qu’errer et obéir aux consignes d’entrainement du système, mais il découvrait un monde inconnu qui, certes différent de celui qu’il avait toujours connu, possédait lui aussi ses richesses et ses secrets. Naël savait qu’il ne contrôlait pas vraiment sa vie à l’heure actuelle, et que sa présence sur les terres nipponnes était le fruit d’une destinée qu’il ne pouvait absolument pas contrôler. Mais pour l’heure, cette dernière lui convenait parfaitement. De plus, même si la chambre était relativement miséreuse, et que la nourriture l’était presque tout autant, il avait un toit et de quoi ne pas mourir de faim. C’était bien plus luxueux que certaines situations qu’il avait pu connaitre au cours de ses pérégrinations.

Un bruit sourd au niveau de sa porte d’entrée l’arracha brutalement à ses pensées. Naël soupira, enfilant rapidement un caleçon et un jogging avant de se rendre vers cette dernière. Il ne recevait jamais de visiteurs, et surtout pas à cette heure-ci. Il fallait dire qu’à part un mystérieux et inconnu voisin qu’il n’avait encore jamais vu, le refuge n’attirait pas vraiment les foules. Néanmoins, la personne présente semblait insister, aussi, le jordanien ne se fit pas prier davantage. Ouvrant alors la porte, il lança au hasard.

« Oui ? Qu’est-ce que… » Se coupa-t-il brutalement.

Le jeune homme s’attendait à tout sauf à la scène qu’il avait devant les yeux. Une jeune femme, caucasienne, d’à peu près son âge, lui faisait face, en larme. Naël fronça les sourcils. Une telle panique était généralement provoquée par un évènement de grande ampleur. Un accident ? Une porte de donjon ouverte ? Puis, rapidement, cette montée d’adrénaline s’estompa. Le jordanien savait que certaines personnes avaient une peur phobique des insectes… Mais à ce point ? Elevé dans un désert aride, lui avait plutôt eu l’habitude de les côtoyer, même si, il devait l’avouer, certains spécimens nippons pouvaient se révéler impressionnants. Dans tous les cas, légèrement gêné par la situation mais toutefois sensible à la détresse de la jeune femme, il répondit tout en se grattant l’arrière du crâne.

« Je… Calmez-vous, d’accord ? » Fit-il, plongeant ses yeux ambrés dans ceux de son interlocutrice et lui confiant un sourire rassurant. « Je vais vous filer un coup de main. Il est où ce cafard ? »

Gardant son sourire, Naël croisa ses bras, s’apprêtant à la suivre. S’il ne s’agissait que d’un ou deux cafards, il n’avait aucune raison de refuser…

Au moins, la jeune femme avait rapidement reprit du poil de la bête. Contrairement à ce qu’auraient pu laisser penser les premières apparences, sa voisine – puisque finalement c’était elle – était bien loin d’être top timide. Au contraire, sous ses traits rougissants se cachait un caractère plutôt espiègle, enclin à la plaisanterie même dans une situation particulièrement stressante pour elle. Autant de traits que Naël ne pouvait s’empêcher d’apprécier par ailleurs, en plus de lui trouver un charme certain. Mais pour l’heure, là n’était pas la question. Il avait promit de l’aider, et il allait tenir parole. Gardant son sourire, il se présenta à son tour.

« Salut Emma. Je m’appelle Naël. Ton voisin, du coup. » Plaisanta-t-il légèrement. « Et je t’avoue que moi aussi j’ai été étonné par la taille de certains cafards ici. Mais t’inquiète pas, j’ai mis au point un stratagème qui a fait ses preuves. Tu vas voir ! » Finit-il, lançant un clin d’œil complice en direction de la fameuse Emma. Était-ce vrai ? Pas vraiment. Mais il avait peut-être une idée pour permettre à la jeune femme de réussir à dormir ce soir.

Lorsque cette dernière lui proposa d’entrer le premier, Naël ne s’en offusqua pas mais hésita un court instant. Il n’était pas au japon depuis très longtemps mais, s’il y avait bien quelque chose que le jeune homme avait appris, c’est que, d’une manière certes différente des coutumes de son pays, les hommes et les femmes ici aussi devaient respecter un certain nombre de convenances. Le jordanien n’en avait jamais vraiment tenu compte depuis son arrivée, mais ici, un court instant, un petit doute s’installa. Mais le jeune homme le balaya bien vite. Il prit une inspiration et, devançant Emma, il abaissa la poignée de la porte pour pénétrer dans son appartement.

L’endroit était presque en tout point similaire à la chambre que lui-même occupait. Seule différence notable : l’impact de lait au mur et la bouteille en plastique qui avait servi de projectile au sol. Ne souhaitant pas non plus trop s’immiscer dans l’intimité de sa voisine, le jordanien chercha à aller droit au but. Trouver la source de la frayeur d’Emma et tenter de l’éradiquer. Confiant, il frappa alors à deux reprises, assez solidement, sur le mur de la cuisine pour faire sortir les bestioles de leurs cachettes. Il put ainsi constater qu’il n’y avait pas un mais deux spécimens de bonne taille cachés dans l’appartement. Discrètement, Naël ouvrit sa bulle système, regardant ses statistiques, puis il haussa les épaules. Ce n’était pas sa spécialité, mais ça valait bien le coup d’essayer ! Il s’approcha donc du premier cafard, approcha et guida sa paume dans sa direction avant de fermer les yeux pour se concentrer. Lentement, le jordanien fit appel à l’élément auquel il était lié pour générer une brutale mais relativement inoffensive boule de feu sur le cafard qui grilla presque instantanément.

Surprit, Naël contempla une seconde sa main avec une légère stupeur. C’était la première fois qu’il faisait appel à la magie et, même si elle aurait sans doute était complètement inoffensive sur un être humain ou un chasseur, il s’agissait d’une sensation plutôt agréable. Et insecticide, qui plus était, car il ne restait rien de son ennemi à six pattes. Naël répéta donc l’opération, puis, satisfait, il revint voir sa voisine qui l’attendait sur le pas de la porte.

« Tu vois ! » Fit-il, la taquinant légèrement. « Tu devrais être tranquille maintenant. » Finit-il, lui lançant un nouveau clin d’œil complice.

Naël ne put s’empêcher de sourire tant celui d’Emma était contagieux. Maintenant qu’il lui était venu en aide comme un preux chevalier volerait au secours d’une princesse, le jordanien se permit un instant de détailler la jeune femme. Légèrement plus petite que lui, les cheveux roses et les yeux émeraude, Emma aurait pu paraitre discrète de prime abord. Mais son aura enjouée n’était pas pour déplaire au jeune homme du désert. La caucasienne était indéniablement belle, mais aussi bien plus mystérieuse qu’elle le laissait paraitre. Un caractère bien loin de déplaire à Naël dont le sourire se transforma rapidement en un sourire charmeur. Plongeant son regard ambré dans les yeux de l’américaine, le jeune homme lui répondit, s’inclinant théâtralement pour ajouter de la saveur à son simulacre de sauvetage.

« A ton service. » Fit-il simplement, amusé, avant de se relever avec son sourire si caractéristique. « Je te dirais bien que je ne voudrais pas risquer de mettre le feu à ton appartement pour ne pas voir partir une voisine si mignonne mais… C’est aussi parce que ma chambre – si insalubre qu’elle puisse être – est juste à côté alors… » La taquina-t-il légèrement, accompagnant ses propos d’un clin d’œil avant de reprendre une nouvelle fois. « Et ne t’inquiète pas ! Tu n’as rien à te faire pardonner. Disons que ça nous a au moins donné l’occasion de faire connaissance ! »

Derrière ses plaisanteries, Naël cachait sa sincère curiosité. Ce mystérieux voisin dévoilait enfin son visage, et le jeune homme pensait sincèrement qu’il n’aurait pas pu espérer mieux. Une étrangère d’à peu près son âge – du moins lui semblait-il – qui ne paraissait pas bien plus coutumière de la région nipponne qu’il ne l’était. Dans tous les cas, elle avait sans soucis notifié la particularité de son extermination de cafards. Observatrice, cela signifiait aussi pour le Jordanien qu’Emma connaissait le sujet. Un nouveau point commun ?

« Oulah. » Commença-t-il, croisant les bras, un sourire énigmatique aux lèvres. « Je ne sais pas si je peux vraiment me considérer comme un chasseur pour être honnête, ou alors, je dois faire partie du bas du panier. Mais oui, depuis que je suis au Japon, c’est-à-dire à peine deux semaines, c’est ce que je suis censé faire pour vivre. Mais je n’ai pas encore mis les pieds dans un donjon. Enfin… pas vraiment. Donc c’est… un peu trop tôt pour parler de rôle. Mais je dirais plus Tank, vu mes capacités. »

Naël marqua une pause, plongeant ses yeux ambrés dans l’émeraude de ceux d’Emma.

« Mais toi alors ! Si tu as remarqué ça, et accessoirement que tu loges ici, c’est aussi que tu es une chasseuse non ? J… -»

Le Jordanien s’interrompit brutalement. Dans son champ de vision périphérique était apparu un brutal « pop-up » qui ne laissait rien présager de bon. Une quête système, forcément maintenant. Soudainement résigné, le Jordanien la contempla un instant, puis, conscient que la jeune femme devait relativement le prendre pour un illuminé, il reporta son attention sur elle.

« Désolé, un moment d’inattention. » Lui lança-t-il avec le sourire.

Naël se serait bien passé de cette intervention du système. La soirée promettait d’être agréable et cet élément perturbateur risquait fort de tout changer. Pour le pire… Ou pour le meilleur ? Car Emma elle aussi avait brutalement changé de comportement en fixant un point invisible devant elle. Alors… Elle aussi ? Depuis qu’il était au Japon, c’était la deuxième personne que le Jordanien reconnaissait comme l’un de ses pairs. Néanmoins, le jeune homme s’ébroua, reprenant un instant ses esprits. Non, tout ça pouvait très bien n’être qu’une sorte de coïncidence. Et pourtant, les paroles de la jeune femme lui indiquèrent très clairement le contraire. Un fin sourire se dessina sur les lèvres de Naël. Non pas qu’il puisse être satisfait d’aller mourir de froid dans un bassin d’eau gelée, mais, comme il avait crû le déceler, la présence d’Emma était bien plus mystérieuse et complexe qu’il aurait pu le penser. Néanmoins, ils n’avaient pas de temps à perdre, aussi, il hocha la tête avant de formuler sa réponse.

« J’ai pleins de questions, mais je vais les garder pour la prochaine fois. » Fit-il, lançant un clin d’œil à sa partenaire du jour. « Allons-y ! »

Contrairement à Emma, Naël n’avait pas vraiment à se changer. Ou plutôt, il n’avait pas vraiment les moyens. Dans un contexte comme le sien, le moindre maillot de bain devenait rapidement un luxe superflu. Aussi, il se contenterait de rester en caleçon. Finalement, ça revenait au même, non ? Attendant que la jeune femme finisse de se préparer en s’emparant de diverses affaires, Naël ne put s’empêcher de se demander s’il était de la volonté de ce système de réunir ainsi les joueurs. Combien étaient-ils ? Pourquoi eux ? Autant de questions qui resteraient sans réponse car, pour l’heure, Emma revenait déjà. Le jordanien suivi sa comparse, escaladant avec elle le muret qui protégeait le parc des envahisseurs nocturnes pour finalement se retrouver en face du lac qui allait accueillir leur effort. Le jeune homme ôta toutes ses affaires pour se retrouver en caleçon, puis ne pu s’empêcher de lorgner légèrement sur le physique de sa partenaire. Se fut avec un léger sourire en coin qu’il lui répondit.

« Tu me surestimes un peu. » La taquina-t-il. « Se débarrasser de deux cafards est une chose, mais réchauffer un lac… »

Il se glissa à son tour dans l’étreinte glacée de l’eau, perdant rapidement toute envie de plaisanter. C’était la deuxième fois qu’il partageait une quête du système, et, même s’il était réconfortant de ne pas se savoir seul, ce simple fait ne suffisait pas vraiment à faire oublier la difficulté de l’épreuve. Ainsi, rapidement, il dût se concentrer sur son effort et arrêter de vérifier si sa partenaire s’en sortait. Un contraste très net s’imprima alors entre ses muscles saisis par le froid et brûlants par l’effort. Chaque geste, chaque mouvement était plus difficile qu’à l’accoutumée, l’hypothermie venant rapidement peser sur la poitrine du nageur. Le souffle devint rapidement plus court, plus complexe, et l’énergie vint à manquer. Les calories brulaient davantage pour protéger le corps du jordanien du froid que pour l’alimenter en énergie, ce qui compliquait indéniablement la chose.

Plus il avançait, plus Naël sentait ses membres s’engourdir. Le temps lui sembla une éternité, et chaque seconde était plus longue que la précédente. Il n’attendait qu’une seule chose : le message du système qui lui indiquerait qu’il était arrivé au bout de son martyr. Et Emma… Il espérait sincèrement qu’elle aussi s’en sortirait. Mais il n’y avait pas de raison qu’elle soit moins habituée que lui aux facéties du système, aussi, il lui fallait se sortir cette inquiétude de la tête, et continuer à avancer jusqu’à ce qu’enfin, finalement, le message tant espéré finisse par arriver. Exténué, Naël rampa hors de l’eau, constatant qu’Emma aussi avait repoussé ses limites. Il sourit à sa remarque, puis, rassemblant ses dernières forces, il se rapprocha un peu plus de la jeune femme.

Arrivée près d’elle, Naël utilisa ses maigres réserves de mana pour réchauffer son propre corps : atout non négligeable lié à son affinité avec le feu qu’il ne pouvait malheureusement pas transmettre si facilement à autrui. Aussi, hésitant légèrement, le jeune homme se contenta de poser sa main sur la peau tremblante de sa partenaire, générant ainsi un maigre halo de chaleur pour éviter qu’elle ne subisse trop les affres du froid. Une maigre compensation après un tel effort, mais au moins, l’intention était là.