Adversité - Emma | Zachary

Adversité

- Tu es un crétin, Curry, vraiment ...

La voiture s'arrêta à un feu. Zachary, l'air passablement inquiet, tapota avec impatience le volant de sa voiture. Le soleil avait disparu à l'horizon, les rues étaient désertes. Un miaulement retentit dans l'habitacle.

- Non, non, tu ne te plains pas, tu l'as mérité !

Dans la pénombre, deux grands yeux félins brillaient sur le siège passager. Curry, jeune savannah d'un an et demi, fixait le conducteur, bien en sécurité dans sa caisse de transport. Après un court silence, et alors que la voiture reprenait sa route quand le feu passa au vert, Zachary se remit à bougonner. L'enchainement d'événements qui avaient mené à ce moment avant quelque chose de tellement exaspérant ... En un autre moment, il s'en serait probablement amusé, mais là l'inquiétude primait.
Alors qu'après une semaine particulièrement chaude en cette fin d'année, il avait décidé de faire son sport sur sa terrasse, un pigeon avait filé à travers la porte-fenêtre pour se perdre dans le salon. Et forcément, il avait fallu que Curry s'en mêle, car un oiseau à lui seul n'aurait pas causé suffisamment de barouf. Chat et pigeon se sont donc transformés en véritables démons, dévastant tout, jusqu'à ce que Sir Pigeon réussisse à ressortir, un instant plus tard. A l'intérieur, l'appartement s'était transformé en champ de bataille. Et avec ça, Curry avait réussi à se couper les coussinets sur les débris d'un verre qu'il avait lui-même brisé ... Foutue journée.
Et dire qu'il n'avait même pas pu finir son sport.

Zachary se frotta légèrement les yeux, puis bifurqua dans une petite rue, avant de se garer. Il était toujours autant épuisé, même deux semaines après avoir refait surface dans le monde des presque-vivants. Il se sentait mieux, bien qu'il ait encore du mal à se faire à l'idée que son bras était revenu ... comme avant. Si seulement il avait pu retrouver autre chose que son bras ...
Serrant les poings, il sortit de sa voiture, et vint récupérer la caisse de transport de Curry. Le petit futé était couché sur le côté, soudain bien silencieux. Ses coussinets saignaient encore un peu, et Zachary craignait que de petits morceaux de verres soient encore dans les plaies, même si elles n'étaient ni très profondes ni étendues. De simples coupures ... Mais il n'était clairement pas vétérinaire, et sa capacité à s'inquiéter pour ce petit animal le dépassait un peu. Haussant les épaules, il se dit qu'il devrait se remettre à faire des donjons pour payer un vétérinaire, même s'il avait choisi d'aller au refuge de Hitoyoshi en espérant que cela serait moins cher. C'était pas beaucoup plus loin que le vétérinaire le plus proche, de toute manière.

La tête basse, il réajusta son blouson en cuir vieilli sur ses épaules, passa une main dans ses cheveux. Chassant d'une main agacée l'interface qui apparut sous ses yeux, il n'arrivait toujours pas à s'y faire, il s'approcha du portail, et appuya sur le bouton de l'interphone. Au bout de quelques secondes, et après le petit déclic, il s'éclaircit la voix et dit, dans un japonais un peu approximatif :

- Bonjour, Mr Holmes, je vous ai contacté pour mon chat Curry qui s'est blessé aux coussinets ...

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- Curry. Mon chat. Non, non je ... Non. Mon chat, blessé, il faut le soigner, vous comprenez ?

Zachary n'aurait jamais cru qu'il serait si difficile de se faire comprendre. Ca faisait tout de même un an qu'il pratiquait le japonais au quotidien, ce ne devait pas être si sorcier, si ? Il avait probablement un accent pitoyable, mais jusque là il arrivait toujours à faire passer le message. Mais face à cette jeune femme qui le regardait avec des grands yeux d'incompréhension, il ne savait plus où se mettre.
Dix minutes, à reformuler sa phrase dans tous les sens possibles. Dix minutes à gesticuler comme un idiot. C'est seulement au bout de ce temps qui lui parut infiniment long que son salut arriva, cheveux roses dans le dos. La jeune femme qui s'approchait de lui de son air souriant semblait bien moins décontenancée que la jeune japonaise. Ses yeux d'un vert éclatant semblaient briller de malice, et un instant, Zachary crut y reconnaitre une certaine lueur lui rappelant douloureusement son passé. Il fixa quelques secondes la jeune femme, cette Emma, d'un air hébété, puis se ressaisit et lui adressa un sourire.

- Oui, c'est ça. Vous pouvez, bien sûr, c'est un amour.

Après avoir adressé un signe de tête respectueux à la première femme qui le regardait d'un air incrédule, il suivit Emma au travers des couloirs, pourtant la caisse contre lui. Curry lui adressait un regard désespéré qui le fit sourire. Il commençait à regretter sa bêtise ?

Ils arrivèrent dans une salle bien rangée où trônait une petite table en son centre, et Zachary y déposa la caisse. Il écouta la membre du refuge d'un air soudain très sérieux, hochant la tête. Quand elle aborda la question de l'argent, il grimaça légèrement et baissa la tête.

- C'est vrai que j'aurais dû l'emmener au vétérinaire, mais ... Je suis un peu à sec.

Il fixa un instant ses mains, honteusement. Depuis qu'il était sorti de l'hôpital, il n'avait pas encore remis les pieds dans un donjon. Une sorte d'anxiété générale le saisissait à chaque fois qu'il y songeait, si bien qu'il repoussait encore et encore cette idée. Mais au vue de la pile de factures qui commençaient à s'accumuler sur la table de sa cuisine, il n'allait plus pouvoir repousser ça longtemps.
Il ouvrit alors méticuleusement la caisse, et sortit le chat avec une précaution. Curry, qui était assez grand pour un chat, se laissa faire un lâchant son habituel miaulement de râleur, long et grave. Le posant sur la table, tout en le maintenant couché d'une main, il leva de nouveau les yeux vers Emma.

- Oui, oui, je serais prudent. J'aimerais surtout vérifier qu'il ne reste pas de morceaux de verre dans la plaie.

Il soupira, dodelinant légèrement de la tête.

- Je vous jure, ça lui a pas suffit de ravager l'appartement, il a fallut qu'il se blesse en plus ...

Il s'agenouilla pour poser un baiser sur la tête de son chat qui le fixait avec de grands yeux ronds, très calme pour une fois.

- Comment tu veux que je retourne travailler si tu ne te tiens pas à carreau, crétin.

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La jeune femme semblait vraiment passionnée par son travail, et Zachary en fut quelque peu rassuré. Elle manipulait Curry avec une aisance et une douceur qui trahissaient à la fois un amour profond des bêtes et une certaine expérience dans l'art de soigner les bobos. A sa demande, il raffermit sa prise sur le matou, tout en le gratouillant du pouce pour essayer de le rassurer.

- Holmes, mais appelez-moi Zachary.

Puis, se contentant de tenir le chat en essayant de prendre le moins de place possible pour ne pas gêner, le joueur observa la soigneuse longuement, tandis qu'elle manipulait le chat pour constater l'étendu des dégâts. Voyant que le chat avait fini par se calmer, il finit par se baisser de nouveau au niveau de son chat pour suivre l'opération, tout en caressant la tête du matou angoissé.

- Ca va aller, mon chaton, c'est presque fini.

Et effectivement, quelques minutes plus tard, Emma posa ses outils. Son bilan était rassurant, même si Zachary ne s'attendait pas à un temps de guérison aussi long. Allait-il devoir lui poser des pansements ? Il pinça les lèvres un instant et hocha la tête d'un air déterminé. Puis, quand vint la question du comment, il sourit un peu bêtement.

- Oh. Et bien, je voulais profiter du beau temps pour aérer et faire mon sport sur la terrasse. Curry sort souvent et me ramène parfois des souris ou des mulots, mais là ... Un pigeon s'est engouffré par la porte-fenêtre dans l'appartement.

Il se gratta la tempe d'un air navré.

- Il a failli me percuter de plein fouet, ce fichu volatile. Encore est-il que mon appartement n'est pas bien grand, et que l'oiseau s'est mit à paniquer. Quant à Curry ... Je ne sais pas s'il a voulu le chasser de son territoire ou le manger, mais j'ai vu des plumes voler partout, et pas que des plumes d'ailleurs. Des classeurs, des papiers, et malheureusement il a aussi fait tomber un assiette, une bouteille et un verre. Il a dû marcher dans les débris à ce moment-là ... L'oiseau a finit par filer sans demander son reste, mais Curry ...

Une pointe d'inquiétude s'était glissé dans sa voix en voyant la piqûre que venait de lui faire la jeune femme. Un tranquillisant ? Il caressa la tête du chat, l'air préoccupé.

- C'est pas dangereux, les tranquillisants ? Et puis, il faudra que je fasse des pansements moi-même ? Je suis un peu gauche, j'aurais peur de lui faire mal.

Il tendit ses mains vers l'avant, larges et calleuses, et ricana.

- Mon boulot n'était pas du genre couture et dentelle, si vous voyez ce que je veux dire.