Find yourself [Solo | Quête hebdo]

Haruna se réveilla tard. Elle n'avait pas à participer au service ce lundi matin et elle pouvait donc profiter un peu de son temps pour somnoler et finir de se remettre des chaos de la semaine précédente. Entre son donjon en solitaire, sa rencontre au parc Ueno, les quêtes qui avaient été assez fatiguantes, elle avait enchaîné une semaine difficile après les évènements plutôt traumatisants qui l'avaient changé. Cependant, elle se sentait aussi déjà plus forte par rapport à ce qu'elle était la semaine passée. Étrangement, elle n'était pas très inquiète cette semaine en voyant la notification de quête hebdomadaire cette fois-ci.

Quête Hebdomadaire N°2

Voici ta seconde quête hebdomadaire, Joueuse.
Voici les deux étapes que tu as à accomplir.
Tu as cent soixante huit heures pour les accomplir à partir de cet instant.

- Tu dois atteindre 100 cibles avec des projectiles de ton choix en restant à plus de 20 mètres de ces dernières, selon un parcours qui débutera à l'instant où tu choisiras de tirer sur une cible. Si tu l'arrêtes en cours ou si tu arrêtes de bouger ne serait-ce qu'un instant, le décompte recommence à 0.
- Tu dois déplacer un poids de 100 kilogrammes sur une distance de 1 kilomètre. Le poids apparaîtra régulièrement sur ta route et le trajet se dessinera devant toi quand tu essaieras de le déplacer. Si tu décide d'arrêter en cours d'étape, la distance restante à parcourir revient à 0.

Récompenses : ?

Pénalité en cas d'échec : Donjon punitif

Si quelques secondes plus tôt, elle était sereine, la lecture des demandes lui fit froid dans le dos. Tirer sur cent cibles ? Elle ne pourrait jamais faire ça à Tokyo, elle se ferait arrêter rapidement, et puis elle avait des chances de tirer sur quelqu'un si jamais elle se loupait... Sans même parler de se balader avec un lance-pieu en pleine ville. Non, c'était une catastrophe. L'arme qu'elle avait reçu à son réveil et qui trônait dans cet étrange "inventaire" qu'elle avait depuis était bien trop visible pour la capitale. Non, il fallait qu'elle aille ailleurs, dans un endroit plus calme. Enfin, pour l'heure, elle devait travailler toute la semaine, elle chercherait un lieu plus adapté pendant ses jours de travail.

À moins que... Elle avait du temps ce matin, autant l'employer à trouver là où elle irait. Se mettant donc à chercher sur l'ordinateur de sa cabine, elle trouva assez rapidement ce qui semblait être la meilleure solution qui lui soit abordable, à savoir la ville de Kamakura et ses alentours plutôt calmes et boisés, ce qui lui laisserait une bonne liberté pour ses épreuves sans risquer d'embrocher un innocent au passage. Elle devrait y aller en train et ça lui coûterait un peu, mais elle avait déjà suffisamment de côté pour payer l'aller, alors avec son salaire de la semaine, elle pourrait compléter le retour. Satisfaite de sa trouvaille, la petite brune laissa sa cabine et sortit du cybercafé, affaires en main et casquette sur le visage pour profiter un peu du soleil avant le début de son service sans se faire attraper par les yakuza qui en avaient après elle.

Haruna s'étira. Son train partait dans quarante minutes, il fallait donc qu'elle se prépare rapidement et qu'elle embarque son sac pour rejoindre la gare à temps. Sans trop de mal, habituée à devoir être rapide et efficace, la demoiselle se retrouva avec quelques minutes d'avance dans la file qui allait lui permettre de monter dans le train. Sac et trompette bien attachés sur son dos, elle tenait précieusement le billet qui lui avait coûté plusieurs jours de travail acharné. Lorsqu'elle le présenta pour le poinçonnage, elle fut satisfaite de voir que tout allait bien et que le contrôleur ne s'arrêta pas plus sur son cas que sur les autres. Elle était dedans, elle pouvait à nouveau respirer.

Le voyage fut assez court, tant par sa durée que par l'impression qu'il laissa à la jeune fille qui resta collée à la vitre tout le long. Elle s'émerveillait facilement des paysages nimbés de la lumière du matin qui défilaient à toute vitesse. Lorsqu'enfin elle dut descendre, c'est presque à contrecoeur qu'elle quitta le wagon pour rejoindre le quais. Se reprenant une fois le pied à terre, l'Arai se mit à chercher une carte de la région qu'elle trouva bien vite. En quelques minutes, elle localisa le lieu qu'elle avait repéré sur une carte en ligne. L'arrière de la montagne était bien boisé et les gens n'y allaient pas trop, plutôt intéressés par l'autel qui était sensé rendre riche ceux qui y lavaient de l'argent. Peu crédule sur ces sujets là, Haruna n'y avait même pas prêté attention. Pour l'heure, seule sa mission comptait.

Sac sur le dos, trompette en main, la demoiselle observa rapidement la carte de la gare. Elle savait où elle devait aller, par où passer, mais elle préférait se rafraîchir la mémoire une dernière fois avant de partir à l'aventure dans la nature. C'était important qu'elle s'éloigne suffisamment pour éviter les problèmes avec d'éventuels passants. Il ne fallait pas qu'ils alertent les autorités et qu'elle se retrouve dans une geôle pour tirs aléatoires. Parce que s'il y a une chose dont elle était certaine, c'était qu'elle était la seule à voir toute cette histoire de notifications étranges qui la suivaient depuis deux semaines maintenant.

S'enfonçant dans les chemins qui partaient de la petite cité de Kamakura, la jeune femme aux yeux pourpres approchait petit à petit de son lieu-cible, le milieu de la forêt qui recouvrait la montagne la plus importante et la moins visitée du coin, enfin d'après wikipédia. Et pour l'instant, le site qui rassemblait de très nombreuses données et connaissances sur à peu près tous les sujets imaginables avait plutôt raison à en croire l'absence de badauds sur les chemins qu'empruntait la brunette.

Il lui fallut ainsi plus de deux heures avant de véritablement atteindre ce qu'elle souhaitait, s'étant écartée suffisamment de toute civilisation si elle ne s'était pas trompée dans le chemin qu'elle souhaitait suivre. Prenant une grande respiration, elle ouvrit son inventaire et sélectionna son lance-pieu, l'attrapant dans l'espèce de trou d'espace-temps qui s'était ouvert à côté d'elle. La sensation était très particulièrement, comme si son bras quittait son corps l'espace de quelques instants tout en y restant lié. Elle n'aimait pas ça, aussi se dépécha-t-elle de prendre l'arme avec le petit anneau qu'elle enfila. L'objet augmentait l'agilité d'après la description qui y était attachée, et à peine l'eut elle glissé autour de son doigt qu'elle sentit son corps comme allégé soudainement. Chacun de ses gestes devenait comme plus précis. C'était grisant.

« Allez... Quand faut y aller... C'est parti... »

Prenant une grande bouffée d'air, elle arma son arbalète et visa la première cible, commençant immédiatement à se mettre en mouvement. Premier tir... Dans le vide. Second, pareil. Le recul était difficile à encaisser sans s'arrêter aussi. Elle était suffisamment loin, c'était certain, mais elle avait du mal à tout gérer. Pour ce qui était de la recharge par contre, tout allait bien. Elle s'en sortait pas mal. Mais la visée était complexe, même à seulement vingt mètres environ.

Nouvelle respiration, nouveau départ. Nouveau tir décoché. Clac ! Bon, ce n'était pas dans le mille, mais c'était déjà ça. Elle continua, nouvelle cible. Nouveau tir. Un échec. C'est qu'elles n'étaient pas très grosses, ces cibles... Mais elle bougeait toujours, le compteur qui était apparut au premier clac restait à 1. Au moins elle n'avait pas à en réussir cent d'affilé, ce n'était pas si mal.

Pas besoin de courir, juste de marcher. Alors en prenant son temps, elle s'appliquait à viser tout en se déplaçant. Elle préféra se mettre face aux cibles puis reculer pour prendre la distance suffisante avant de tirer. Au moins un petit indicateur lui permettait de vérifier qu'elle avait la longueur suffisante. Elle savait au mètre près la distance entre elle et le point qu'elle essayait de viser. C'était utile pour ce cas là, ou alors était-ce spécifique à ce moment ? Elle ne savait pas, elle n'avait pas encore employé son lance-pieu dans une autre occasion.

Haruna s'appliquait ainsi, avançant petit à petit. Treize, quatorze, quinze. Ça avançait assez lentement. Mais elle commençait à avoir la technique. Elle ne se loupait plus trop sur les tirs, ne prenant pas particulièrement de risques pour les rendre complexes. Vingt-cinq, vingt-six, zblaff. Elle s'était emmêlée les pieds dans une racine en avançant vers la vingt-septième cible. Tombée face contre terre, elle avait, malheureusement, arrêté de bouger. Le compteur fit un petit bruitage de défaite typique des jeux des années 2000 puis se remit à zéro. Baissant la tête quelques instants, la tête contre le sol, la jeune fille soupira, ennuyée par la situation. Puis elle se redressa d'un bond, sans même s'aider de ses mains, chose qu'elle aurait été bien incapable de faire par le passé. Elle se sentait plus forte, plus agile, un choc comme celui-ci ne provoquait même plus la moindre douleur chez elle. Tout était changé. C'était... étrange. Mais elle n'avait pas la possibilité de s'y attarder pour l'instant. Elle devait finir ces deux quêtes et rentrer à Tokyo. Et peut-être passer un dimanche tranquille. Enfin elle l'espérait.

L'Arai s'épousseta, arme en main. Elle regarda à nouveau vers la cible. Haruna aurait presque put l'entre rire, se moquer d'elle dans sa maladresse alors qu'elle était une chasseuse désormais. C'était ses débuts et l'épreuve réclamait beaucoup d'attention sur plusieurs paramètres. Le lieu qu'elle avait choisit lui épargnait le risque de blesser quelqu'un ou de se retrouver en garde à vue, mais en échange elle avait ce genre d'inconfort et certaines branches étaient ennuyeuses, présentes entre ses cibles et elle. La petite brune soupira. Elle avait encore beaucoup à faire.

Reprenant rapidement un rythme, elle avait désormais le coup de main et regardait régulièrement le sol pour éviter une nouvelle chute. Hors de question de recommencer encore une fois, cent cibles c'était déjà beaucoup. Tir après tir, elle se rapprochait de son objectif, passant la barre des cinquante réussites en mouvement perpétuel. Mais ses bras commençaient à tirer. L'arbalète était une arme assez lourde même s'il était facile de viser avec, elle avait donc l'inconvénient majeur de fatiguer rapidement la jeune fille qui n'avait encore que peu d'expérience.

Réfléchissant, elle détermina finalement qu'elle devrait pouvoir faire une "pause". En effet, rien ne parlait d'un délai entre deux cibles à atteindre. Posant son arbalète au sol, la demoiselle aux yeux violets se mit à faire des tours autour d'un petit groupe d'arbres tout en faisant des étirements pour ses bras. Ainsi, après cinq minutes, elle se sentait déjà mieux et pu reprendre l'arme qui patientait appuyée contre un tronc.

Prêtant toujours la plus grande attention à rester en mouvement, elle recommença à viser, pieu enclanché dans le mécanisme de propulsion. Shlack ! Clac ! Le frottement de la corde contre la hampe de l'arme suivi de son arrêt brutal puis quelques secondes plus tard du carreau qui se plantait dans le bord de la cible. 51. Haruna respira. Le chemin continuait.

Suivant ainsi le sentier qui s'enfonçait dans les bois, elle continua de voir les cibles les unes après les autres et de les atteindre. Mais alors qu'elle venait d'atteindre la soixantième, elle remarqua que les cibles commençaient à se mouvoir. La difficulté augmentait donc... Et le nombre d'échecs également. Tirant plusieurs fois dans le vide avant de s'adapter à la vitesse de déplacement de ce qu'elle devait atteindre, Haruna finit par réussir à réenclancher le compteur et son augmentation.

Quelques centaines de mètres plus loin, elle planta son carreau en plein dans la cible numéro 80. Et déjà, elle pouvait apercevoir la numéro 81 qui bougeait nettement plus vite. Un peu inquiète de parvenir à suivre la cadence, elle préféra ne pas laisser tomber. La crainte du "Donjon Punitif" restait présente. Armant à nouveau son arme, retirant le cran de sûreté, Haruna prit le temps de viser tout en marchant en arrière, ayant vérifié auparavant une nouvelle fois si aucune racine n'était là pour la faire trébucher. Après dix secondes à préparer son tir... Shlack ! ... Un bruissement dans les feuilles plus loin fut la seule réponse suivante. Premier échec. Ça allait être dur. La cible était rapide. Mais au moins elle formait un motif rectangulaire toujours identique, facile à prévoir. Soupirant, Haruna se concentra et continua ses essais. Il lui fallut six essais avant de parvenir à toucher cette cible.

Continuant son épreuve, elle tira plus de cinquante traits pour les cibles 81 à 95. Lorsqu'enfin elle toucha cette dernière, elle arma à nouveau le lance-pieu, pensant en voir une similaire, mais là, c'était différent. La cible était plus petite, bougeait tout aussi vite mais ses mouvements étaient hiératiques. Tir après tir, la brune eut beaucoup de mal à l'atteindre et ce n'est qu'après vingt-trois carreaux, fatiguée, que la jeune fille parvint à atteindre cette cible de malheur. Et dire qu'il en restait quatre...

Après quelques instants de réflexion, l'Arai choisit de prendre une nouvelle petite pause pour ses bras, les laissant balloter un peu entre deux étirements, marchant à nouveau en rond. Une dizaine de minutes plus tard, lance-pieu en main, elle était de nouveau prête quand des bruits de discussion au loin la firent sursauter. Cachant en vitesse son arme, elle enfonça ses mains dans ses poches et fit mine de se balader en sens inverse du groupe de randonneurs qui arrivaient sur les lieux. Tachant de paraître le plus naturel possible, Haruna ne put retenir un soupir de soulagement en les entendant s'éloigner. Patientant cinq minutes de plus en revenant en vue de la cible numéro 97, elle ressortit son arme et la reprépara. Tendant l'oreille, elle s'assura que plus personne n'approchait puis reprit sa session de tirs.

Là encore, il lui fallut une bonne dizaine d'essais avant que le carreau ne parvienne à atteindre la cible. La 98 se passa cependant bien mieux puisqu'au second tir, elle atteint cette dernière en plein centre. Coup de chance cependant, puisqu'il lui fallut douze essais pour enfin tomber la cible ornée du nombre 99.

Enfin, elle arriva devant la centième cible. Plus rapide encore que les précédentes, plus petite, cette dernière passait d'arbre en arbre, se cachant dans les branchages. Il fallut plus de trente essais avant qu'enfin Haruna la voit dégringoler, un carreau l'ayant atteinte. Un véritable enfer qui se terminait, lui laissant les bras en compote et pleins de bleu à force d'encaisser les reculs des tirs d'arbalète. Mais c'est avec plaisir qu'elle ouvrit sa fenêtre de quête et put voir la ligne concernant les cibles légèrement scintiller en vert.

Il lui restait maintenant l'étape du poids, mais elle s'autorisa d'abord une pause d'une heure, sortant une bouteille d'eau de son sac. Le rafraîchissement était plus que nécessaire et il fut accompagné rapidement d'un fruit pour compléter ce qui serait son encas de midi. Le trajet d'un kilomètre serait sans doute dur, mais il ne serait pas si long normalement, elle pourrait rentrer sans problème à Tokyo pour la nuit. Et ça, c'était plutôt une bonne nouvelle.

Appuyant sur sa fenêtre de quête, Haruna regarda une nouvelle fois le petit encart surligné en vert qui indiquait 100/100 pour les cibles à atteindre tout en restant en mouvement. Le second par contre était toujours en lettres dorées, indiquant que la quête était encore en cours. Parcourir un kilomètre avec un poids de cent kilogrammes. Elle doutait déjà de pouvoir le pousser avec la seule force de ses bras, alors lui faire parcourir une telle distance ?.. Elle soupira.

Est-ce que c'était obligatoirement une épreuve de force, ou est-ce que l'intelligence pourrait prendre le pas sur ça ? Elle le verrait vite. Haruna avait prévu deux stratagèmes, sans doute les emploierait-elle ensemble pour plus de facilité. Enfin, peut-être que le chemin désigné par le système aurait tôt fait de lui faire regretter ses préparations. Elle serait bientôt fixée quoi qu'il en soit. Les poids, c'était assez simple de les reconnaître. On aurait dit de gros blocs de calcaire presque immuables qu'elle seule semblait voir pour l'heure. Tous ceux qu'elle avait vu à Tokyo, les passants pouvaient les traverser sans peine. Ce qui était plutôt troublant à ses yeux.

Mais pour l'heure, il fallait qu'elle s'attèle à la tâche. Ouvrant sa fenêtre d'inventaire où elle avait à nouveau rangé son arbalète, mais gardant son anneau au doigt, toujours les mains gantées pour éviter qu'il ne soit remarqué et qu'on tente de lui voler, la jeune femme sortit cette fois-ci deux planches de skate et une longue corde. Le tout maintenant, c'était de parvenir à installer le bloc sur les planches. Rapidement, il apparut à Haruna que simplement porter le roc et le poser ne serait pas possible. Cent kilos à bout de bras, elle n'y parvenait tout simplement pas.

Alors, elle choisit de creuser un peu sous les bords de la roche d'une centaine de kilos qui patientait là puis elle y planta le bord des planches. Ensuite, elle prit la corde et elle la fit tourner autour du bloc, faisant plusieurs passages afin de s'assurer que le noeud était solide et que les planches étaient à peu près équilibrées. Suite à ça, s'aidant de la corde dont elle avait gardé une certaine longueur de chaque côté et de ses jambes pour bloquer les planches, elle fit basculer le roc sur le côté afin que ce soit les roues des skates qui soient au sol. Rapidement, le terrain étant très légèrement en pente, l'attelage ainsi formé se mit à glisser sur le côté. Pestant un peu, la brune mit tout son poids pour arrêter la cariole ainsi formée. Bon, au moins, les skates semblaient tenir et ils parvenaient à rouler.

Attachant la corde à son bassin, l'Arai se mit alors à tirer son poids lourd, penchée en avant dans sa marche pénible. Mais bon, avec ses préparations, elle s'en sortait plutôt bien. Au départ, le système se montra généreux. Les chemins étaient larges, plutôt bien entretenus, la terre était solide et stable. Elle avançait ainsi plutôt bien et la distance qui lui restait à parcourir diminuait peu à peu. Arrivé à la moitié du trajet sans trop de peine, elle s'arrêta donc pour boire un moment. Pour ces seuls cinq cent mètres, elle avait dû tirer pendant plus de quarante cinq minutes. Elle n'avançait pas beaucoup, mais elle tenait le bon bout. L'épreuve était possible.

Après cinq minutes de pause, la jeune fille repoussa les cailloux qu'elle avait employé pour bloquer les roues lors de son arrêt pour éviter d'avoir à courir un peu partout. C'est après une nouvelle marche d'une centaine de mètres, alors qu'il lui en restait quatre cent à parcourir, que l'épreuve se corsa. Évidemment, c'était trop facile jusque là. Arrivée en contrebas de la montagne, elle se rendit compte que la rivière avait sans doute tendance à quitter son lit régulièrement et le sol était boueux. Elle avancerait moins vite et si elle ne faisait pas attention, elle aurait vite fait d'embourber les petites roues des skates, et là, ce serait l'enfer.

S'appliquant donc à éviter les flaques les plus grosses qui faisaient la boue la plus profonde, elle était parfois obligée de s'arrêter et de se détacher pour y mettre des cailloux plus ou moins gros afin de faire un passage plus acceptable. Tracter son poids était bien plus dûr et il lui fallut une nouvelle pause après seulement cent nouveaux mètres. Plus que trois cent. Ellle pouvait le faire. Buvant à nouveau, ses vêtements lui collant à la peau, elle avait chaud et froid à la fois. Elle était fatiguée et l'air glacé d'hiver n'arrangeait rien. Avec ces bêtises, elle allait tomber malade... Mais c'était trop tard, elle ne pouvait pas abandonner, et puis c'était presque fini. Après tout, seules deux épreuves avaient été annoncées cette fois-ci et elle en avait déjà fait une.

Continuant donc une fois son souffle retrouvé, évitant de trop traîner pour rapidement retourner à Kamakura même et y trouver un onsen, elle se rattacha et continua son chemin péniblement. Vers les deux cent mètres restant, un nouveau cauchemar s'ajouta. Si jusque là le chemin était plutôt plat voire en descente, maintenant il montait. Et les trente premiers mètres étaient boueux. L'enfer. Criant une fois fortement son agacement prononcé face à cette désagréable situation, la jeune femme choisit de se détacher et de préparer à l'avance tout le terrain où la pluie et l'eau de la rivière avaient fait leur oeuvre destructrice. Ainsi, après une bonne vingtaine de minutes de préparations à rouler des pierres pour stabiliser le chemin, la demoiselle aux yeux pourpres qui commençait à avoir sacrément mal aux épaules et aux hanches malgré le harnais qu'elle s'était fait avec la corde recommença son épreuve, tirant le bloc. Une fois ce passage cruel dépassé, elle dut s'arrêter à nouveau et elle frotta un peu les roues pour que ces dernières ne se bloquent pas. Il lui restait cent soixante-dix mètres seulement.

Le nettoyage terminé, Haruna reprit son ascension, fatiguée, lorsqu'après seulement quarante mètres pour cinq minutes d'effort, le ciel qui s'était doucement assombrit commença à laisser échapper ses premières gouttes. Désemparée, la jeune fille épuisée cria à nouveau pour se donner du courage et employa toute son énergie à avancer. En seulement dix minutes, elle parvint en haut de la côte. Il ne restait que trente mètres à faire, et le chemin devant elle était plat. Soupirant profondément, heureuse de voir qu'elle en avait quasimment fini, il lui fallut près d'une minute de pause à reprendre son souffle pour s'apercevoir avec horreur que si le chemin normal devenait plat, c'était vers le haut de la montagne et surtout hors des sentiers, au milieu des arbres, que partait le tracé fait par le système pour son épreuve. Criant encore une fois de peine et de douleur face à cette situation injuste et gratuite, elle donna un coup de pied dans le sol et glissa en arrière, se cognant la tête contre son attelage et finissant les fesses dans la boue. Les mains portées à la tête, en pleurs sous la pluie qui ne faisait que s'intensifier, l'Arai resta de longues minutes adossée à son poids qu'elle devait encore déplacer au milieu des racines et des troncs d'arbres. Pourquoi c'était toujours pire quand elle croyait que ça allait être fini ? C'était quoi ces épreuves sadiques ? Elle n'avait même pas fait de crime en plus... Elle avait envie de tout abandonner et de rester là, d'attendre que quelqu'un vienne la sauver de cette impitoyable défaite qu'elle était en train de subir. Il lui fallut dix nouvelles et longues minutes pour reprendre un peu ses esprits et retrouver un peu de motivation. Ce n'était que trente mètres, elle en avait déjà parcouru neuf cent soixante-dix. ALLEZ !!!

Se relevant en criant de rage encore une fois, la douleur à la tête toujours présente suite au choc, la demoiselle dans un état bien triste mit toute son énergie à faire basculer le roc sur le côté. Ainsi, elle put enlever les planches de skate qui de toute façon s'étaient embourbées avec la pluie et n'auraient plus pu faire le moindre mètre. Se rattachant au bloc, elle donna toute son énergie pour le faire basculer ainsi, manquant à chaque fois de se faire à moitié écraser par ce dernier. Mais cette méthode avait l'avantage, si elle était épuisante, de lui permettre d'avancer sur tout terrain et peu importe la pente.

Lentement, mètre après mètre, elle faisait "rouler" le parallélépipède rectangle de cent kilogrammes jusqu'à atteindre, après près d'une heure avec des pauses, sous la pluie de plus en plus forte, la destination souhaitée. Le bloc disparut alors, laissant une Haruna éreintée, en sueur avec des vêtements trempés, collant à sa peau. Elle éternua plusieurs fois d'affilé, tremblante. Elle allait être malade, c'était presque sûr. Rangeant ses quelques affaires dans son inventaire, elle retourna péniblement vers la ville, vérifiant au passage ses notifications...

Alors que la demoiselle aux cheveux mi-long à la teinte charbonnée peinait à marcher pour revenir vers Kamakura, encore bien loin de la ville, elle remarqua la nouvelle notification qui était arrivée il y a quelques instants. A bout de force, elle leva difficilement le bras pour appuyer dessus. Une fenêtre s'ouvrit alors d'un seul coup devant elle, lui montrant ce qu'elle n'aurait su voir.

Quête Hebdomadaire N°2

- Cibles atteintes : 100/100
- Distance parcourue : 1 km

Félicitations pour la réussite de ces deux premières étapes, Joueuse. Voici maintenant ta troisième et dernière étape de la semaine.

- Tu dois méditer sous une cascade pendant 5 heures sans interruption et sans bouger.

Récompenses : ?

Pénalité en cas d'échec : Donjon punitif

Un instant d'incompréhension, suivi d'un doute, puis d'une frayeur. Non, c'était pas vrai... Elle ferma et rouvrit la fenêtre. Rien n'avait changé. Criant à nouveau de toutes ses forces, Haruna tomba à genoux en frappant cette instance. Vraiment ? Pourquoi est-ce que ce foutu système ne pouvait pas la laisser en paix ? Pourquoi elle devait se forcer à continuer pour ça ? Elle s'en moquait de devenir plus forte, plus rapide... Elle voulait juste vivre paisiblement, ne plus avoir de dettes, souffler... Et là elle se retrouvait dans un état lamentable, agenouillée dans la boue. Elle allait tomber malade seulement deux semaines après être engagée sans endroit pour se reposer et sans argent pour aller voir un docteur et se rétablir correctement. Pourquoi est-ce que ça devait lui tomber dessus maintenant alors qu'elle n'allait rien faire ?

Épuisée, elle n'avait plus qu'envie de pleurer et de se mettre en boule pour attendre que la mort vienne la prendre. C'était peut-être ça le mieux, en vérité. Peut-être qu'elle n'aurait pas dû tenter de survivre. Peut-être que la mort aurait été une meilleure solution, que tout s'arrête en fin. Peut-être qu'il n'y avait pas de fin dans ce tourbillon qui l'enfermait toujours un peu plus sur elle-même.



Puis elle repensa à ce qu'elle avait vécu ces deux dernières semaines. Ce qu'elle avait réussi à faire là. Un sentiment de rage l'habita, et elle se releva d'un bond. Elle regarda le ciel qui continuait de se noircir sous les nuages, un premier éclair zébrant le tableau sombre qui s'y était peint. Il était loin. Le bruit avait mit du temps à arriver. Ravalant sa salive, cheveux plaqués sur le visage, elle se mit à marcher frénétiquement vers la ville. Elle allait rejoindre un onsen, elle allait mettre ses vêtements à laver. Elle allait se battre. Non, il était hors de question qu'un emplumé d'hibou et quelques orques la rendent folle et la fassent abandonner sa vie. Elle avait passé son temps à souffrir, elle allait utiliser ce système à plein régime pour retrouver ce qu'elle avait toujours voulu avoir. Une vie agréable, où elle n'avait pas peur de ne pas avoir de quoi manger le soir ou de se faire attraper par une bande de grincheux qui voulaient de l'argent qu'elle n'avait pas.






Oubliant toutes les douleurs qui parcouraient son corps, elle marchait avec ferveur, avec toute cette haine qu'elle avait pu accumuler jusque là. Non, elle ne se laisserait pas abattre. Ce n'était pas un "système" qui allait la vaincre et lui prendre sa vie. Ces "dettes", elles les rembourserait pour qu'on lui foute la paix. Même si elle n'estimait pas en être responsable. Parce qu'elle voulait atteindre cette utopie qu'était la liberté.

Après une heure à rythme soutenu sous l'orage puissant qui grondait sur la région, elle parvint enfin dans les premières rues de la cité, où elle aperçu quelques regards se tourner sur son passage sous les parapluies et venant des maisons. Mais ce n'était rien. Elle s'en moquait. Ces gens-là n'étaient pas importants. Et de toute façon, ça n'aurait rien changé à sa situation. Là, elle devait juste se sécher et se laver puis se reposer. Elle ne devait pas tomber malade. Parce que sinon, elle serait effectivement dans un plus gros pétrin. Si elle se laissait aller maintenant, la suite ne serait que pire. Elle devait affronter à bras le corps cette nouvelle et la surpasser. Surtout que maintenant, elle savait qu'elle pouvait vérifier son journal de quête à tout moment pour voir sa progression. Plus besoin d'attendre une notification en croisant les doigts. Elle avait prit le temps d'explorer les diverses fenêtres qui se trouvaient devant elle, savait comment choisir et augmenter ses caractéristiques, savait exactement à quoi elles correspondaient. Elle savait où trouver ses équipements, comment utiliser son inventaire. Tant de petits détails qui l'aidaient à avancer.

En poussant la porte de l'établissement de bains, elle se retrouva enfin à l'abris du tonnerre et s'approcha du comptoir en faisant mine de fouiller dans ses poches, passant en réalité la main dans son inventaire pour attraper son argent. Payant ainsi pour son séjour, elle se dirigea vers les vestiaires, profitant de la laverie qui était juste à côté pour y enfourner ses habits. Lançant la machine, elle se dirigea avec sa serviette dans les bains où elle se glissa avec plaisir dans l'eau chaude, savourant le moment en fermant les yeux. Doucement, elle put se détendre et reprendre ses esprits. Analyser la situation, déterminer la suite de ce qu'elle allait faire. Elle avait déjà payer le billet de retour qui était à l'aube le lendemain et elle n'avait pas de quoi en acheter un autre. Il fallait qu'elle aille à la gare ce soir et qu'elle voit pour se le faire rembourser ou l'échanger. Mais bon, pour l'instant, elle avait surtout besoin de se reposer.

Doucement, la demoiselle rouvrit les yeux. Elle était là sans doute depuis un certain temps, ayant perdu la notion du temps depuis un bon moment maintenant. Elle les referma, s'enfonçant un peu plus dans l'eau chaude pendant quelques instants avant de se décider à sortir et de se doucher, se lavant rapidement avant de quitter la partie bains de l'établissement. Ses affaires venaient de finir d'être lavées dans la machine, aussi les sortit-elle pour les mettre au sèche-linge puis elle les mit à étendre. Emmitoufflée dans la serviette, assise sur les bancs en bois rouge, Haruna patienta longuement, perdue dans ses pensées.

Étrangement, elle ne tremblait plus de froid, elle n'éternuait pas, ne se sentait pas spécialement mal. C'était vrai qu'elle ne tombait pas facilement malade de manière générale, mais là ?.. Sans doute était-elle allé se doucher assez vite ? Ou était-ce un des avantages à ce développement et à l'investissement de quelques points en constitution ?.. Sans doute. Elle ne voyait pas vraiment d'autres raisons pour qu'elle soit ainsi aussi résistante déjà. Ça devait être lié.

Après quelques dizaines de minutes, sa tenue était suffisamment sèche pour qu'elle la range dans son sac qu'elle sortit discrètement de son inventaire, choisissant une autre tenue dedans. Lorsque vint le moment de sortir, elle attrapa naturellement un des parapluie qui étaient dans la boite pour ces derniers et l'ouvrit, sortant à nouveau sous l'orage qui s'était un peu calmé pour aller au cybercafé du coin. Elle n'aimait pas vraiment faire ça, mais elle n'avait plus vraiment de quoi en acheter un en plus de son séjour au cybercafé et elle serait refusée si elle était trempée pour rentrer dans le bâtiment qui offrait une connexion internet à qui payait le prix d'entrée et le prix à l'heure. Mais avant, elle se souvint qu'elle devait faire un tour du côté de la gare.

L'Arai partit donc rapidement sous la pluie, tenant fermement son unique protection contre les trombes d'eau qui déferlaient du ciel. Elle marchait vite, ses pas battant le pavé avec les larmes du ciel. En une petite dizaine de minutes, elle retrouva le centre-ville et put se diriger dans cette cité qu'elle ne connaissait pas bien. Après quelques minutes supplémentaires, la brune atteignit les guichets où elle put en quelques clics échanger son billet contre un autre qui partirait le lendemain en milieu d'après-midi. Rassurée, elle repartit sous l'eau, cherchant ce qui serait son lieu pour dormir mais aussi pour trouver sa destination du lendemain pour l'épreuve qui l'attendait.

Haruna poussa alors la porte du café, fermant son nouveau parapluie et le rangeant dans l'une des cases prévues à cet effet. Peut-être qu'elle ne le retrouverait jamais. Qu'importe. Elle était là pour le temps de l'orage de toute façon. Payant pour une cabine, elle alla fouiller sur internet pour trouver la cascade la plus proche de Kamakura qui se situait dans la nature, et après une trentaine de minutes, elle trouva son bonheur. Une cascade située sur un autre versant de la montagne où elle avait fait ses épreuves aujourd'hui. Elle aurait une heure ou deux de plus de marche, mais elle serait normalement au calme, et elle pourrait toujours louer un vélo pour la journée. Oui, c'était sans doute la meilleure option d'ailleurs. Cherchant donc où trouver son bonheur, la jeune femme désormais déterminée à réussir cette mission parvint à sélectionner le magasin de location le moins cher de la ville. Le vélo ne serait peut-être pas très bien, mais au moins elle pourrait l'emprunter avec les derniers sous qu'il lui reste. À condition de ne pas acheter à manger cependant. Enfin, un jour sans repas, elle l'avait déjà fait plein de fois.

Se perdant sur internet comme souvent, la brunette finit par doucement sentir le sommeil venir la chercher, la fatigue de sa journée éreintante venant la rattraper. Le repos qu'elle s'était offert dans l'onsen était trop léger pour lui permettre de tenir bien plus longtemps, et c'est aux alentours de vingt-et-une heure qu'elle sombra. Ce n'est qu'un tour d'horloge plus tard que la jeune fille rouvrit les yeux, baillant et s'étirant. Après un bref massage de ses paupières, elle se leva et s'étira à nouveau. La nuit n'avait pas été très agréable, le sol en parquet étant sans doute plus facile à laver pour les employés mais bien moins agréable que la moquette qu'elle y trouvait généralement. Trop dur à son goût. Elle quitta donc l'enseigne informatique, attrapant au passage le parapluie qu'elle y avait laissé la veille. Quitte à l'avoir prit, autant le garder. Il était banal de toute façon, pas comme si quiconque allait le reconnaître. Le rangeant discrètement dans son inventaire en passant dans une ruelle calme où personne ne pouvait trop voir ce qu'elle faisait, elle atteignit rapidement la boutique de vélos.

Après quelques échanges, laissant son passeport aux mains du gérant avec un peu d'appréhension, la petite brune aux yeux violets grimpa sur sa monture et fit toutes voiles vers ce qui était sa destination pour la dernière épreuve qui l'attendait, la cascade Tokuhama. En seulement une heure et demi, la Joueuse atteignit son but, bien plus vite que les quatre heures et quelques qu'il lui aurait fallut si elle avait souhaité voyager à pied. Et c'était un sacré avantage puisqu'elle avait cinq heures à tenir sous l'eau torrentielle et un retour à faire avant dix-sept heures. Jaugeant un peu la cascade des yeux, elle décida d'enlever ses vêtements, ne gardant que son soutien-gorge et sa culotte qu'elle avait bien sûr choisis noirs pour éviter des désagréaments plus grands en cas de rencontre fortuite avant d'engager le pas sur les rochers qui lui permettraient d'atteindre le lieu où elle devrait méditer pendant cinq heures. Voilà qui s'annonçait complexe...

Légèrement vêtue, l'Arai déterminée respira un grand coup avant de faire le premier pas vers la chûte d'eau. Elle allait devoir tenir cinq heures sous les chûtes d'eau et méditer. Elle n'avait jamais fait ça, même juste quelques minutes, prendre le temps de réfléchir et laisser son esprit errer volontairement comme ça, se concentrer sur soi. Elle n'avait jamais prit le temps de le faire, n'avait jamais eu l'idée même de le faire. Mais cette fois, elle n'avait pas le choix. Frissonnant un peu dans le vent froid, elle serra les dents et prit son courage à deux mains. Il était particulièrement sadique, ce système. Lui ordonner ça pendant l'hiver, c'était à se demander s'il ne prenait pas plaisir à la voir ainsi souffrir. Peut-être même qu'elle rendrait l'âme. D'ailleurs maintenant qu'elle y pensait, avait-elle raison d'obéir ? Est-ce que cette ombre planante qu'était le "donjon punitif" était réellement dangereuse ? Elle soupira. Non, cet éveil lui avait donné des armes, elle pouvait maintenant certainement tenir malgré le froid. Elle avait bien réussi à trimbaler ce poids qui était deux fois plus gros qu'elle sur un kilomètre. Certes, ça avait été l'enfer, mais elle avait réussi.

Se claquant les joues, elle les frotta un peu puis prit une nouvelle grande respiration, atteignant enfin l'eau. Le choc du liquide glacé sur sa peau nue lui coupa le souffle pendant plusieurs secondes. La puissance de l'eau qui s'abattait sur ses épaules l'écrasait. Les gouttes qui voletaient se plantaient sur son épiderme comme des lames tranchantes. Elle se mit à craindre que si elle rouvrait les yeux après les avoir fermé par réflexe, l'eau qui l'entourait soit devenue rouge. Qu'elle soit sanguinolante et que la mort venait l'emporter en quelques secondes.

Mais non. Quand elle osa les rouvrir, rien. Par contre, elle sentait le froid dévorer son corps aussi rapidement que le feu l'aurait fait pour un fétu de paille. Elle sentait les sensations dans ses doigts et ses pieds s'éloigner. Le froid engourdissait tout son corps, son regard se voila. Est-ce qu'elle allait mourir comme ça ?

Ce ne fut que le vacarme de la cascade qui lui répondit. Si elle avait fait un semi malaise le temps de quelques secondes, le bruit et la douleur la gardaient éveillée. Tremblante, Haruna décida de faire comme elle avait vu certains moines le faire parfois dans des films. Ils s'asseyaient en tailleur et fermaient les yeux, les mains posés sur les genoux. Peut-être que ce n'était pas ce que le système attendait, peut-être qu'elle se fourvoyait. Mais c'était sans doute la meilleure manière pour elle de sauver ses doigts que de les glisser aux creux de ses genoux. Les garder le plus possible à l'abris du froid torrentiel qui s'effondrait sur elle pour ne pas qu'ils se glacent totalement.

Elle ferma de nouveau les yeux, obéissant à cette image qu'elle avait dans ses souvenirs. Elle essaya de toute son âme de se concentrer alors, de faire abstraction de son corps qui ne faisait plus que la faire souffrir. Mais la souffrance était étrange, lointaine. Comme si ce n'était plus sur son corps que l'on frappait mais sur une couche de glace qui l'entourait et ce n'était que les vibrations, les résonances des coups qui l'atteignaient. C'était très particulier, cette forme d'anesthésie par la douleur et le froid mordant. Les cheveux collés sur la tête, elle respirait profondément. Elle essayait de rester consciente de toutes ses forces, employait toute son énergie à garder cette concentration fragile qu'elle essayait d'instaurer dans son esprit. Elle ne pouvait presque plus sentir son corps après seulement quelques minutes. Mais peut-être était-ce ce qu'il lui fallait, puisqu'alors que le froid engourdissait de plus en plus sa capacité de réflexion rapide sur ce qui l'entourait et les sensations physiques qui la parcouraient, elle commença à ne plus être gênée par tous ces stimulis.

Doucement, la brune aux yeux fermés sentait de moins en moins son corps et les souffrances qui y étaient associées sur le moment. Elle se perdit dans sa concentration, portant sa réflexion sur son esprit. Si elle avait cru que le temps lui aurait parut interminable, ce n'est que le son de l'arrivée de la notification devant elle qui lui permit de découvrir que les cinq heures étaient passées. Mais ainsi perturbée par l'écran qui venait de s'afficher, elle revint brusquement à elle, et la douleur la foudroya. Elle qui avait perdu toute notion sentit d'un seul coup tout ce dont son état de concentration l'avait défendue. D'un seul coup, elle n'était plus que souffrance. Le froid la dévorait, elle avait l'impression que ses membres allaient tomber au moindre choc. C'était à peine si elle parvenait à bouger. Il lui fallut ainsi plus de trois minutes pour faire les quelques mètres qui la séparaient du bord. Elle n'avait pas la moindre idée de si quiconque était venu l'observer, si des gens étaient passés sans la remarquer. Mais une chose était sûre, en cet instant, elle regrettait mille fois de s'être décidé à s'embarquer dans cette torture.

N'arrivant même plus à se lever, se déplaçant à quatre pattes, elle bougea péniblement le bras pour ouvrir la notification, se laissant tomber sur le côté sur l'herbe fraîche. Elle observa pendant de longues secondes, l'esprit embué, le panneau qui se dressait alors devant elle. Qu'est-ce que tout ceci signifiait ? Elle avait du mal à lire. Sa vision était trouble tout comme sa capacité de réflexion, ralentie par le froid. Il lui fallut encore une fois un certain temps avant de pouvoir comprendre ce qui était devant elle et qu'elle seule pouvait voir.

Haruna observa longuement la fenêtre en tremblottant. Elle se frotta doucement les mains pour essayer d'y ramener un peu de chaleur, mais le froid terrible revenait plus fort encore à chaque léger coup de vent, la faisant gémir de douleur. Tout en observant sa notification qui lui annonçait la fin de sa quête, elle tourna lentement la tête pour ensuite tendre le bras vers l'un des boutons sur lesquels elle pouvait appuyer pour ouvrir ses panneaux de profil et d'inventaire notamment. Ainsi, elle put accéder à son sac et en tira deux serviettes dans lesquelles elle essaya de s'emmitouffler pour se sécher et se réchauffer.

Avec lenteur, elle parvint à enlever la plupart des gouttes d'eau qui la faisaient souffrir à chaque courant d'air. Peu à peu, elle se réchauffa, retrouvant des sensations à peu près normales dans chacun de ses doigts, sur sa peau, dans ses jambes, ses pieds. Doucement, la douleur qui l'assaillait s'amoindrissait. Elle pouvait respirer sans avoir l'impression que sa gorge la brûlait de l'intérieur. L'Arai s'étendit alors quelques minutes supplémentaires, respirant faiblement, pour essayer de retrouver de l'énergie. Elle n'avait pas à manger, elle n'avait plus le moindre yen, mais elle devait retourner à la gare avant que le train ne parte et rendre le vélo auparavant.

Ce fut ainsi une véritable quatrième épreuve que de se lever puis d'aller jusqu'à son vélo, puis de pédaler près de deux heures pour atteindre Kamakura et retrouver le gérant des locations. Elle lui rendit donc le vélo, récupérant son passeport. L'homme la regarda un peu étrangement, ne s'attendant pas à voir une fille sortir faire du vélo avec les cheveux mouillés en plein hiver, mais retint son commentaire. Après tout, elle était adulte d'après ses papiers d'identité, si elle voulait tomber malade, ça la regardait. Si seulement il savait...

Haruna se mit ensuite à courir de toutes ses forces pour atteindre la gare à temps, se jetant dans le train à la dernière minute après avoir poinçonné son billet. Épuisée, la demoiselle aux yeux améthyste s'endormit en quelques secondes une fois installée sur son siège, soulagée d'avoir pu prendre le train de retour pour Tokyo. Elle avait deux services le lendemain, elle devait être au restaurant à 8h30. Alors louper son train maintenant, sans moyen de communiquer à Jotaro et Jolyne pour les prévenir... Ça aurait été une véritable catastrophe, et elle ne voulait vraiment pas leur faire cela.

Maintenant, il ne lui restait plus qu'à espérer qu'elle ne tombe pas malade, bercée par les cliquetis du train et son mouvement répétitif. Dans les bras de Morphée, seul le noir l'accompagna, sans doute trop éreintée pour penser à quoi que ce soit. Ce n'est que l'annonce d'entrée en gare de Tokyo, celle qui représentait le terminus de ce train du soir, que la jeune femme se réveilla, un peu en sursaut. Quelques regards amusés d'autres passagers croisèrent celui de la demoiselle, mais personne ne lui fit de remarque, heureusement. Elle n'aimait pas ça, les échanges dans ce genre de situation où elle se sentait presque en faute juste par le fait de dormir dans un lieu public. Ce qui était plutôt paradoxal pour elle qui dormait habituellement dans les cybercafés et les karaokés. D'ailleurs, elle n'avait plus d'argent pour se payer une nuit sous un toit, il allait falloir qu'elle se trouve un plan de secours pour cette nuit, ou elle passerait cette lune sous les étoiles.

Un peu embarassée, elle se présenta à quelques motels, essayant de négocier auprès des personnes qui s'occupaient de l'accueil des clients une nuit au chaud pour un paiement le lendemain soir, mais rien n'y faisait. Après quelques tentatives, un groupe de trois jeunes hommes de quelques années de plus qu'elle avait remarqué son va-et-vient et s'étaient décidé à l'approcher, mais leurs airs pervers lui firent peur. La jeune femme ne connaissait rien dans le domaine de la sexualité mais elle avait cependant bien vu quelques affaires de viols collectifs aux journaux ou sur les télés publiques et ne comptait pas être la prochaine à faire la une.

Fuyant donc dans la nuit, elle se trouva après quelques dizaines de minutes à tourner un coin un peu à l'abris du vent et des regards où elle se blottit entre quelques cartons, une veste sur les genoux et une autre sur les épaules. Le froid était alors aggressif, mais ce n'était pas le dizième de ce qu'elle avait déjà affronté sous la cascade et en ressortant de cette dernière.

Lentement, elle sombra à nouveau dans le sommeil, le trajet d'une heure et quelques ne lui ayant absolument pas suffit à recouvrer toute l'énergie qu'elle avait dépensé dans ce weekend pour compléter les tâches bien cruelles à son goût qu'elle avait dû affronter cette fois-ci. Au moins, elle n'aurait pas de "donjon punitif" à faire.

Alors qu'elle laissait son esprit voguer pour pouvoir s'endormir rapidement et tirer un maximum de temps de repos malgré les conditions pour le moins désagréables dans lesquelles elle se trouvait, Haruna se surprit à penser que peut-être, en franchissant ces obstacles, elle s'était un peu trouvé elle-même, avec ses limites, ses doutes, ses faiblesses.