so lost
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Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
Messages : 7
Date d'inscription : 06/12/2020

Vivre, aimer et mourir [quête hebdomadaire solo] Empty Vivre, aimer et mourir [quête hebdomadaire solo]

Ven 8 Jan - 15:36
Il ne se voyait pas vraiment comme un grand séducteur, un casanova de campagne prompt à séduire les touristes charmées par son côté sauvage d’homme des bois rustique. Il ne se voyait pas non plus comme un adonis exotique, un géant blond et musclé qui sentait bon la résine de pin et dont les cheveux dorés faisaient tourner les têtes des geishas. Mais en ce moment, quand il plongeait son regard dans celui de Mitsuko, il devait bien avouer que ce qu’il y voyait était extrêmement plaisant. Le froid avait fait légèrement pâlir son teint, transformant la porcelaine de son visage en une nacre précieuse et rare, et ses yeux d’un noir de jais prenaient lorsqu’ils dévisageaient le visage épais de Vsevolod des allures d’abysses insondables, dans lesquels il était facile et tentant de se noyer. Il passa un doigt ganté sur le contour délicat de sa pommette. C’était dommage, que de voir ainsi le système venir s’immiscer dans leur excursion romantique, plus encore quand on considérait tout ce que Vova avait fait pour qu’elle soit parfaite. Il avait préparé ses bêtes la veille, veillant à ce que leurs petites pattes soient en bonne état, massant les jambes des chiens qui devaient tirer le traineau, leur fournissant un repas adapté à l’effort qu’il allait leur demander. Le traineau lui-même, fier engin de sa propre conception, avait été soigneusement inspecté, pour être totalement certain qu’il n’y aurait aucun problème. Il avait ensuite fait ses provisions. Une bonne bouteille de saké de la région, sec et tout à fait adapté à l’accompagnement du délicieux repas qu’il avait préparé. De la viande à la japonaise, marinée et enveloppée dans des feuilles : juste ce qu’il fallait de tradition pour montrer qu’il était plus qu’un baka gaijin, juste ce qu’il fallait de modernité pour surprendre et enchanter les papilles. Tout cela, et tant d’autres détails, des couvertures épaisses aux chandelles qu’il allait allumer une fois le lieu de leur pique-nique atteint, tout cela devait normalement s’additionner pour que la somme de ses efforts produise un effet merveilleux. Il lui devait bien cela, à sa douce Mitsuko.

Peut-être était-il plus romantique que ce qu’il pensait, au final. Hm.

Mais cela importait peu, maintenant. Le système s’était manifesté, et juste avant qu’il ne finisse d’installer confortablement sa tendre et douce sur son carrosse royal, l’écran bleu lui avait indiqué qu’il attendait de lui qu’il fasse vingt-cinq kilomètres en sport de glisse. Avant de se préoccuper plus avant des impérieuses demandes du système, il en termina avec elle, l’harnachant convenablement. Lui resterait debout derrière le traineau, à diriger l’attelage. Il sentait les bêtes s’impatienter, aussi mit-il tout ce beau monde en branle, l’équipage s’activant dans un tonnerre d’aboiements et de jappements enthousiastes. Pour une journée, une petite journée, il allait cesser d’être un chasseur, ou un joueur, ou l’esclave d’un maître inconnu. Il allait simplement redevenir lui-même, se rappeler des temps simples et heureux d’une époque révolue, quand les choses étaient faciles et qu’il pouvait rire sans crainte que le son de sa voix ne rameute quelques curieux mal intentionnés. La neige était douce, et poudreuse, et il n’avait même pas eu besoin d’enfiler à ses animaux les petits chaussons destinés à protéger leurs pattes lorsque le sol gelé se faisait trop abrasif. Cela allait être, il le pressentait, une balade tranquille, qui passerait près des ruisseaux encore immobiles et entre les conifères vénérables du nord du pays. Un grand éclat de rire secoua la partie supérieure de son corps, et il profita des grands espaces. Le ciel s’ouvrait au-dessus de lui, d’un bleu métallique et aseptisé, sa couleur lui rappelant les yeux ennuagés de ses premières proies. La neige semblait un linceul, et les arbres des allumettes ou des doigts qui montaient en gerbes implorantes vers les cieux. L’air, froid et tranchant, s’engouffraient en flots rapides dans ses narines avides, et il se sentait vivant, chaque fibre de son être tendue vers un but commun, un effort doux et galvanisant. Il regarda Mitsuko, immobile et placide. Elle avait l’air si sereine.

Il aurait normalement voulu éviter de lui imposer un trajet trop long. Vingt-cinq kilomètres, c’était long, et il savait qu’elle avait besoin de son attention, et ce assez rapidement. Mais le système réclamait, et Vsevolod savait où se trouvaient ses priorités. Il n’y avait de toute façon à ces heures matinales et froides personne dans cette campagne dépeuplée pour venir les troubler, et les sentiers cachés qu’il empruntait n’étaient à vrai dire pratiqué que par lui, et quelques rares touristes en quête d’expériences authentiques. Personne, donc. Le japonais était par nature d’un panurgisme à toute épreuve, et les occidentaux qui venaient se prélasser dans le nord du Japon préféraient généralement rester dans les circuits balisés : onsen-temple-shopping-randonnée. Ils étaient seuls. Cette vérité, si bien connue de lui, répétée encore et encore comme le mantra d’un bonze, ne perdait à la manière de ce genre de prière rien de son pouvoir mystique, même lorsqu’il se la répétait avec autant d’entêtement. Ils étaient seuls. Loin de ses congénères. Loin des hommes. Lui, elle, ses bêtes, et la nature qui se déployaient sur son chemin de manière docile.
Vsevolod Yegorovich
Vsevolod Yegorovich
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Ven 8 Jan - 16:41
Le trajet, chose heureuse, se passa sans encombre, et la parenthèse enchantée ne fut troublée d’aucun nuage surnuméraire. Il passa près d’une rivière encore gelée, la peau translucide déjà en train de se fracturer lentement et de se faire fine. Bientôt, la membrane diaphane disparaitrait, et les couleurs vertes du monde reprendraient leurs droits. L’hiver nippon, même dans ses régions les plus septentrionales, était bien trop court à son gout. Le fait même qu’il soit difficile de trouver des régions perpétuellement enneigées sans en escalader les pics l’avait pendant un moment déstabilisé. Il n’était pas habitué à ce genre de chose, et le cycle des saisons semblait parfois un peu trop abrupt pour son esprit. Mais pas en ce moment. L’idée que la nature pouvait renaître, aussi clichée soit-elle, lui semblait actuellement d’une rare pertinence et d’une grande poésie. Il continua son chemin, remontant le cours de l’eau endormie, et se demandant ce qui se passerait pour lui quand ce serait à son tour de mourir. Il espérait que sa mort serait violente et la conséquence d’un difficile conflit. Il espérait qu’il aurait lutté avant de trépasser, et se serait révolté contre un destin impossible à éviter. Il ne voulait pas mourir bêtement, dans son lit, son corps affaibli par le passage des saisons, sa chair molle et fatiguée. Il voulait mourir comme il entendait vivre. Sa main droite quitta le bois du traineau, se posant délicatement sur l’épaule de la jeune femme, avant de remonter son visage jusqu’à se cheveux.

Vingt-cinq kilomètres, et le système qui lui annonçait que l’objectif de la semaine avait été accompli. Il n’y prêta pas attention, habitué qu’il était à ses interruptions. Il pouvait attendre, et si Vsevolod avait déjà été obligé de tolérer son intrusion dans ce qui aurait du être un moment privilégié et d’une rare intimité, sa patience était finalement assez limitée. Dix minutes plus tard, il arrivait sur les lieux du pique-nique. Ce dernier aussi avait été soigneusement préparé, pour que tout soit parfait. Un cercle de pierre et du bois, pour un feu de camp. Un autel temporaire, un arrangement de branchages et de tissus et de peaux et de cuirs. Des outils. Ici, perdus dans la nature, éloigné de toute forme de civilisation, ils étaient dans un univers différent. Il se détacha du traineau, et alla s’occuper de ses chiens, libérant les bêtes pour qu’elles puissent s’ébrouer et se reposer sans être encombrées par les attaches de son véhicule. Il s’occupa ensuite de la jeune femme, essuyant d’un geste attentif le frimas qui se formait autour de ses yeux. Ses cheveux déjà été craquants, raidis par la rudesse du climat. Il la tira hors du traineau, et la déposa sur le drap qu’il avait étendu devant le feu. Il alluma le feu, les allumettes embrasant l’herbe sèche. Il sortit la nourriture des petites boites plastiques. La viande avait un gout et une odeur de vinaigre. Elle était mauvaise. Ses dents sectionnèrent la chair, et il mastiqua, un filet de sauce coulant de la commissure de ses lèvres. Il regarda les flammes danser, et leur halo qui repoussait progressivement la couleur de la neige, laissant à la place du blanc linceul une terre encore trop froide pour absorber l’eau de la fonte. Il se leva, une fois son repas accompli, et déshabilla la jeune femme. Il lui manquait ses jambes. Elle était belle, se dit-il. Comme un oiseau délicat, une grue noire ou un corbeau un peu pale, comme un animal précieux, estropié. Comme un prix que l’on devait garder précieusement, dans sa cage, sans qu’il ait la place de déployer la maigre envergure de ses ailes.

Il invoqua l’écran du système, et confirma que la quête avait été achevée. C’était le cas. Il le renvoya d’une injonction mentale. Ce moment leur appartenait, à elle et à lui, et il ne voulait qu’il vienne de nouveau le troubler. Il se dirigea vers l’autel. Chaque moment qui passait le rendait plus fort, plus sûr de sa propre puissance. Chaque moment qui passait était une rassurance, et l’enhardissait. Bientôt, il le savait, il serait assez fort pour pouvoir de nouveau exécuter les rites anciens, comme autrefois. Il lui semblait pouvoir de nouveau sentir l’odeur de la cuisine rance de la maison familiale, et celle des corps mal lavés, et les bruits imbéciles des bouches vulgaires de sa famille. On lui avait ôté tout cela. Ce n’était pas grave. Il avait, il était, autre chose, maintenant.

Et ce moment, comme beaucoup d’autres à venir, lui appartenait. Sa main glissa vers les outils sacrés qui ornaient l’autel, et il commença.
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