Bargain with Death [Donjon rang E] (PV Xue Shen)

Quand je suis partie de chez moi, je savais qu’il y aurait des difficultés. Que j’allais d’un coup tout perdre, foyer, amis, le confort et la sécurité, l’assurance d’avoir toujours un endroit où loger et une assiette bien remplie. Et des problèmes d’argent. Surtout des problèmes d’argent. Mais dès lors, j’avais déjà prévu différentes solutions pour m’en sortir en me basant sur…

…Bon, ok.

J’avais rien prévu du tout à part des éventualités vagues, comme à chaque fois. Et pour la monnaie, ben… disons qu’en gros les risques que j’ai pris étaient calculés, ...mais que je suis mauvaise en math.
Du coup je me retrouve à dépenser bien plus que “prévu”, car c’est pas toujours possible de voler sans me faire remarquer, et vu ma situation faut que j’évite de trop me faire remarquer. Ouais, c’est mieux. Piquer des sandwich c’est bien, mais les chambres d’hôtels de passage c’est compliqué d’y passer sans payer. Surtout que tout le monde n’accepte pas les mineures, et que les rares qui veulent bien me louer quelque chose je voudrais éviter de me fâcher avec eux. Au cas où je repasse au même endroit, ou encore une fois simplement pour éviter que la police ne soit contactée…

Tout ça pour dire que là, je suis sévèrement en rade. Il me reste à peine de quoi tenir deux jours, et trouver des petits jobs payés en liquide c’est pas toujours simple, en plus d’être peu fiables et dangereux.
Ouais, “légal, facile et rentable” c’est trois mots qui vont pas ensembles malheureusement. Ça m’arrive de devoir faire le guet pour des petits dealers ou à subtiliser de l’alcool pour les refiler à des gens qui veulent pas payer le prix fort, mais pour l’instant j’ai rien trouvé dans cette ville. Et j’ai pas le temps de chercher plus longtemps.
Par contre y’a bien quelque chose qui a attiré mon attention… Un portail. C’est vrai que ça sert à ça d’être une éveillée, à la base…  Même si c’est ni légal ni facile.
Rentable donc?

Je me rappelle qu’à l’époque du club d’occultisme, on avait créé des comptes sur un site de recrutement pour chasseur indépendants. En mentant un peu sur notre âge c’est sur, mais celui-ci avait un bug qui permettait de s’inscrire sur des petits donjons  sans avoir besoin de donner une carte d’identité valide. Bon, du coup il présente que des portails de bas rang et a une réputation affreuse mais ça peut m’arranger dans l’immédiat… sauf qu’évidemment je serais pas payée comme chasseuse indépendante, mais là où j’en suis je compte surtout sur la revente de cristaux au noir.
Du coup, dès la sortie de l’hôtel, direction la bibliothèque pour accéder à un ordi -ouais, je préfère éviter d'utiliser mon téléphone… et surtout la localisation, au cas où-. Paf, recherche google, et…
Le site existe toujours !

Du coup je m’y connecte, recherche Sapporo dans la liste, et retrouve assez rapidement le portail que j’ai aperçu. Rang E. Bon, encore une fois sur des sites plus ou moins officiels faut pas s’attendre à des miracles…
Et en parlant de miracle, je constate qu’il reste plus qu’une place. Coup de bol ça !  Hop, comme on avait trouvé la dernière fois je joins un pdf remplis de deux pages de charabia appelé “carte_identite.pdf” et passe à la page suivante avant que le système n’ait fini de scanner le fichier. Et mon nom apparaît ainsi tout en bas de la liste des inscrits.
Victoire !

Une dizaine de minutes plus tard, mon portable vibre et je reçois un sms qui confirme mon inscription et donne rendez-vous demain à 10h dans un petit bar à deux rues du portail.  Un genre de point de rassemblement.

Et j’y suis précisément à 9h30 le lendemain. Y’a pas grand monde à l’intérieur, mais à l’une des tables y’a quelques types avec des tenues excentriques et des armes médiévales. Pas de doute je crois que j’ai trouvé mon groupe.
Donc, sans plus de cérémonie, et agissant tout à fait naturellement comme si j’étais parfaitement dans mon droit d’être ici malgré mon apparence clairement juvénile je m’asseois avec eux, commande un soda, et entame la conversation:

“Yop’ ! Chizuko Mori. Z’êtes ici pour le donjon j’imagine. J’suis la dernière à m’être inscrite.”

M’en fous je suis inscrite ils peuvent pas me virer !

Sans grande surprise, les autres chasseurs semblent… un peu étonnés par mon intervention. Et moyennement emballés en fait:

-Euh?...
-C’est une blague?
-Nope !
-Bon écoute gamine, arrête de te moquer de nous et retourne jouer ailleurs, c’est pas un boulot pour les fillettes.
-Ben je sais. Je suis dans votre groupe. Vous avez qu’à regarder.

Le guerrier équipé d’une épée et d’un bouclier -le tank peut-être?- regarde alors sur son téléphone portable, suivis de son pote l’archer, et tous deux affichent une mine mauvaise en réalisant la vérité.

-Merde...Franchement les jeunes vous savez plus quoi inventer pour vous faire remarquer hein?
-Tu sais que c’est dangereux là où on va?
-Yep’ !
-Et elle a l’air motivée en plus… Bon, quoi qu’il arrive tu restes à distance d’accord? Évite d’approcher les monstres.
-On verra bien. ~

Mais ils n’ont pas l’air de trouver ça drôle.

-Roh… ça va, je suis pas idiote. Je suis pas venue mourir là-dedans vous savez?
-Nan, je sais pas pourquoi t’es venue… Mais j’m’en tape écoute. Si tu perds un bras faudra pas venir chialer, ta maman elle pourra rien pour toi là-dedans.

Et le guerrier se lève, visiblement un peu furibond. Ouais, j’imagine que je peux comprendre pourquoi.
Mais je m’en fous un peu en fait. Il faut que je fasse cette expé alors je la ferai, que ça plaise ou non et peu importe le danger. C’est comme ça que je fonctionne. Et que j’ai toujours fonctionné.

Du coup avec l’heure qui approche, les participants se rassemblent devant le portail. Visiblement, on a plusieurs petits groupes qui ont l’air de plus ou moins se connaître pour certains et de faire connaissance pour d’autre, s’organisant selon les rangs et spécialités de chacun.

Cependant y’a un type qui reste un peu évasif, ne se mêle pas vraiment au reste de l’expédition. Un lancier qui était déjà au bar avec nous, et qui me dit vaguement quelque chose… Une connaissance? Nan… s’pas vraiment un lycéen. Et je m’en souviendrais si je lui avais déjà parlé.

Hum… du coup, je me met un peu à l’écart, sors mon carnet et commence à le feuilleter. Puis rapidement, je tombe sur l’info qui m’intéresse. J’avais une amie du club d’occultisme qui était fan de cette idole, Gura…  alors sur la page de la fille-requin j’ai une photo d’un de ses concerts, le seul auquel j’ai été je crois.
Et paf.
Le guitariste. Je lève les yeux vers le lancier pour confirmer… et ouais, pas de doute c’est bien lui. Pis comme il a pas l’air bien extraverti on peut pas dire que y’ait grand monde à doubler pour aller lui parler.

“Hey, dîtes, vous êtes pas guitariste vous?”

Non mais pour qui il se prend lui?! Je voulais juste aborder la conversation et il me sermonne déjà ! Zut, si j’avais su…

“Bien sûr que j’ai pensé à la sortie !! Je compte pas me faire payer, j’me contenterais juste des cristaux pour payer l’hôtel une semaine de plus… pfeuh. Si j’avais le choix je ferai autrement qu’aller risquer ma peau hein !...”

...Bon, ça je sais pas si c’est vraiment vrai mais disons que ça l’est au moins en partie. Je n'ai sincèrement pas envie d’aller me risquer à combattre des monstres. Vraiment pas. J’aime pas forcément me battre en fait. Mais dans l’immédiat j’ai pas d’autre option viable.  

“Bien sûr que si j’ai mis mon vrai nom !”

...Ce qui était p’tet pas une super idée, d’accord. J’ai… j’y avais pas vraiment pensé, c’était juste mécanique et évident pour moi de mettre mon vrai nom. Comme, je sais pas… un défi aux autorités? Prouver que j’ai pas peur et que je me cache pas?
J’en sais trop rien en fait… et j’imagine que ça va arriver à un nouveau sermon ça.

M’enfin. Je suppose que ça doit pas lui plaire non plus d’avoir une gamine dans les pattes, alors j’essaye de me calmer et surtout d’éviter de bouder. Car j’suis pas spécialement contre l’idée d’avoir quelques conseils en fait…

“J’sais pas trop pour mon rôle. J’ai euh… récupéré ces trucs là un jour.” dis-je en sortant de l’intérieur mon sac deux gantelets-lames que j’équipe d’ailleurs sans attendre quand nous passons le portail.

“Et une arbalète de poing aussi. Ah, pis j’ai fait le test, je crois que je suis… Assassin. Ouais, c’est ça. C’est ce qu’ils ont dit. Du coup j’ai pris ces armes là vu que, ben… ça collait au thème quoi. Pis ça fait vaguement des griffes et je trouvais ça drôle.”

Non, rien de très “stratégique” donc. Je lui montre donc les “griffes”.

“...Mais bon, du coup, comme je suis assez rapide j’imagine que je dois planter ça dans le dos des méchants? Ouaiiiis. Ça va le faire.”

Je fais la fière, mais quand on commence à parler de zombies, et surtout à les sentir et les entendre, en vérité je le sens un peu moins. Bon, bien entendu je vais JAMAIS montrer que j’ai peur, surtout à des vieux qui me sermonnent !
Mais… voilà. C’était pas l’idée du siècle, encore.
Et en même temps si. Je veux dire… bon, ça fait peur, mais en même temps c’est un peu excitant d’être là faut avouer. Le seul truc triste c’est que je peux pas prendre de photo… Du coup je m’efforce de mémoriser tous les décors, les imprimer dans ma mémoire. j’aurais pas d’image mais au moins je pourrais toujours raconter tout dans mon journal…

Le groupe s’aventure donc dans l’étrange galerie, le guerrier qui m’avait parlé toute à l’heure en tête, et rapidement on arrive au premier problème: Un croisement.

“Bon. On a deux routes possibles. D’ici, impossible de voir où elles vont. Il pourrait y en avoir une piégée. Ou alors les deux sont essentielles?
-Peut-être qu’il y a deux mini-boss au lieu d’un boss? Une sorte de donjon qui contient deux mini-donjons?
-C’est une possibilité. Le seul moyen d’être sûr c’est de se séparer. On a deux tanks et deux soigneurs donc faire deux groupes de cinq est faisable.”

Je lève alors la main.
...Les autres éveillés me regardent alors bizarrement, et le guerrier soupire.

“Ah, t’es à toi? On n’est pas à l’école tu sais…
-...Ah oui, réflexe ! Nan, je voulais juste dire que ça ressemble quand même vachement à un contexte de film d’horreur. Et dans les films d’horreur les gens finissent toujours par se séparer et c’est comme ça que y’a toujours plein de morts, donc… c’est p’tet pas une super idée?”

Devant cet argument imparable, le groupe est quelque peu confus. Mais au moins, cela donne matière à débat en quelques sortes…

“-Pas bête. On va essayer ça.

Une seconde bouteille est donc lancée dans l’autre couloir, qui ne semble cependant pas moins occupé que le premier.

-Bon, ça valait le coup d’essayer. On se sépare donc, faîtes deux groupes !

Les membres de l’équipe s’organisent alors, scindant l’escouade en deux groupes de cinq. Ne connaissant finalement personne d’autre, je reste avec le lancier… et voit bien le guerrier-leader s’arranger pour être dans l’autre équipe. Surement pour m’éviter.

-On part à gauche, partez à droite. Allez, on se revoit toute à l’heure, et évitez de vous faire tuer !” ajoute-t-il en jetant un regard mi-mauvais mi-sadique dans ma direction, avant de se retourner et partir avec les quatre autres éveillés.

Notre nouveau tank est donc un jeune adulte qui doit avoir 21-22 ans et est certainement assez débutant aussi, seulement équipé d’un bouclier et d’un plastron de cuir. En fait j’ai comme l’impression que notre “leader” a surtout gardé avec lui les éléments qui semblaient le mieux équipés/compétents et a laissés les autres...ben avec moi, déjà.
Super la cohésion d’équipe.

“Bon, euh… je suppose qu’on va y aller nous aussi?” annonce notre tank qui semble encore moins confiant que moi.

Nous nous enfonçons donc dans la galerie, toujours aussi lugubre et peu éclairée que la première partie, jusqu’à ce que le groupe se stoppe quand, au travers de la pénombre, nous puissions distinguer des formes humanoïdes se déplaçant avec des gestes larges , maladroit, entraînant leur buste et leur tête dans le moindre de leur mouvement.
...Le problème, c’est qu’à la portée qui nous permet de les entrevoir, eux ont déjà largement eu le temps de nous entendre venir.

Et s’approchent rapidement de nous en poussant des grognements dignes des meilleurs Roméro.

Le reste du groupe écoute silencieusement le lancier qui s’improvise alors leader par défaut, de part son expérience qui semble supérieure aux autres membres, qui préfèrent se référer à quelqu’un proposant une stratégie concrète. Suite à son discours, les gens se regardent, puis les présentations enfin faîtes.

“-Mon nom est Eri, je suis une archère spécialisée dans la discrétion et les pièges.
-Zeshin. Soigneur par défaut, mais j’utilise l’élément feu alors considérez moi plutôt comme un support offensif.
-Et moi, euh… S-Shunko. Je suis un tank, mais je n’ai que ce bouclier.”

...Ah. C’est moi qu’ils fixent maintenant. J’imagine que je dois faire pareil?

“Chizuko ! Je suis...ouais, un genre d’assassin je crois? ‘Fin j’ai jamais vraiment planté qui que ce soit hein ! C’est juste le nom de l’archétype qu’on m’a donné. Sinon, ben je suis plutôt mobile, assez furtive et observatrice, mais je peux pas me rendre invisible par contre.”

L’éclaireur désigné semble donc être Eri, qui part donc devant après avoir disparu dans l’obscurité. Et donc, comme prévu, nous progressons dans l’obscurité de la galerie pas à pas, profitant dans notre organisation et du potentiel assez offensif de l’équipe pour se débarasser rapidement des zombies qui viennent s’empaler sur la formation, perforés de coups de lance et de flèches. Pour l’instant, les morts-vivants que l’on croise semblent tous similaires, humanoïdes, lents… hey, ça a pas l’air si dangereux les donjons en fait.
Quand on reste en arrière.

Tout ça dure jusqu’à notre arrivée à...ben, une impasse. En plein milieu de la galerie, un énorme mur de briques qui semble la couper en deux, sec et net. Comme s’il était apparût là d’un coup.

“Euh… ouais ! Ouais je fais ça !”

...Mais ce truc est gros, très gros, et si le lancier m’avait pas ramassée je crois que je serai…
Ouais, je serais étalée sur le sol, putain… C’est à ce moment que je commence à regretter d’être venue, à maudire mes fichues compulsions de curiosité et de… je sais pas quoi. Rébellion? Excès de confiance en soi? J’en franchement sais rien… La seule chose certaine, c’est que le dernier endroit où j’ai envie d’être c’est ici. Ouais, même chez mon foutu père je serais peut-être mieux...
L’idée de m’enfuir pendant que le reste du groupe est occupé contre le mini-boss m’est même passée par la tête. Après tout je connais le chemin et le portail est à double sens…

…

Je déteste avoir ce genre de pensées. Ils ont besoin de moi et je veux pas être ce genre de personne. Je savais que ce serait dangereux, maintenant faut assumer la décision d’être venue !
Rassemblant mon courage, je grimpe sur un balcon proche en sautant sur l’échelle d’évacuation, de façon à avoir une vue plus générale de la situation, tout en gardant un oeil sur Zeshin et ses environs.
...Et c’est un sacré bordel.



Avec la visibilité réduite, le combat semble encore plus chaotique qu’il ne l’est déjà. Mais les quelques sorts enflammés de l’éveillé magique percent irrégulièrement l’obscurité, révélant un affrontement de titan entre les trois combattants et le gigantesque zombie. Le métal perce la chair décomposée du mort-vivant, les flèches sifflent dans les airs, et le monstre répond avec toute la brutalité que son corps permet. Ses coups détruisent les murs proches, fissurent et font trembler le sol au point que je doive m’accrocher au garde-fou du balcon pour ne pas tomber, et même notre tank a la présence d’esprit de ne pas tout encaisser de front.

Quelques zombies faibles se joignent également à la partie, sortant des magasins proches pour avancer lentement vers nous. Mais l’organisation du groupe est telle que les dps parviennent à gérer cet imprévu sans briser la formation, le pyromancien projetant ses traits de feu dans toutes les directions, entre les sorts de soin pour Shunko qui ne peut pas toujours tout esquiver.

Une vive douleur me perce alors le bras gauche à plusieurs endroits, causée par une main avec de longs et sales ongles servant de griffes qui vient de m'agripper. Le zombie qui vient d’arriver sur le balcon me force à me retourner, et mon visage se retrouve alors à quelques centimètres d’une tête zombifiée à moitié dissoute, qui souffle alors son haleine pestilentielle directement dans mes narines. Je me retrouve encore complètement tétanisée, alors que la gueule dégarnie du mort-vivant s’ouvre en révélant de longues dents jaunies mais pourtant bien trop affûtées.  
C’est alors qu’une décharge de chaleur provenant de derrière moi lui arrive en plein dans la tronche, le faisant lâcher prise et perturbant ses sens par la même occasion car sa tête est en train de brûler. Jetant un oeil derrière moi, je vois simplement Zeshin qui lève un pouce en l’air avant de se reconcentrer sur les autres zombies. La poussée d’adrénaline me rend le contrôle de mon corps, et en m’appuyant sur la barrière je balance mon meilleur coup de pied dans le ventre du mort-vivant qui passe au travers de la baie vitrée du magasin.

Pas le temps de calmer mon souffle complètement irrégulier de panique, que j’entend le géant derrière tomber à genoux, et me retourne pour voir le lancier qui me fait signe d’intervenir.
Y’a vraiment pas le temps de faire une pause en fait ! Je jette un oeil à mes gantelets-lame comme pour m’assurer qu’eux ne se sont pas enfuis comme je meurs d’envie de le faire, et me redresse.

“Quand faut y aller… bordel !”

Je pourrais sauter et grimper sur le dos de la créature… mais j’ai une meilleure idée. J’active ma rune de charge, et vise directement le cou du monstre, la rune me propulsant à toute vitesse sur lui, lames en avant… et immédiatement après, je me glisse sur sa nuque, et commence à enchaîner inlassablement les attaques avec toute la sauvagerie que je peux déployer, y mêlant ma peur, la douleur de mon bras, et le profond désir d’en finir avec ce truc…
La chair vole, le sang épais et partiellement séché gicle sur mes vêtements et mon visage, et quand le titan s’est
enfin effondré je continue compulsivement de lacérer sa nuque, ayant complètement éteint mon cerveau.

Là, ça fait… beaucoup à encaisser. Après avoir stoppé ma frénésie décervelée contre le corps cette fois à jamais sans-vie du géant morbide, il me faut de longues secondes pour calmer ma respiration, les yeux rivés sur mes lames ensanglantées et recouvertes de chair morte. Des lames qui n’avaient jamais servi jusque là. Se frotter pour la première fois à des monstres est déjà une certaine expérience; mais la nature décharnée de ceux-ci, mêlée à leur semblant d’humanité lointainement disparue, n’aide vraiment pas.

Du coup je reste un peu à l’écart quand le lancier fait ses découvertes, essuyant tant bien que mal mes armes contre les restes de vêtements d’un des zombies ayant été fauchés d’une flèche dans la tête. Et je me redresse d’un bond, encore un peu plus choquée, après ses affirmations:


“Ola, ola, attends… c’est pas du tout censé se passer comme ça !”

Outrée et écoeurée de l’entendre, je m’avance vivement vers lui:

“Je veux dire… merde ! Dans un donjon, on est pas censé juste combattre des monstres venus de j’sais pas où pour les dépouiller et se faire de l’argent comme ça? Déjà que c’était pas évident… mais c’est des monstres quoi ! Ils existent même pas pour de vrai ! Là, tu parles de-”

Je trébuche à moitié sur un cadavre et manque de tomber, dans ma confusion:

“zut...de...de tuer des vrais gens ! Ok, il y en a un qui est resté là… mais c’était peut-être sa décision, ou l’est tombé sur un zombie avec une arme, ou j’en sais rien… mais mais tu peux pas dire ça juste come ça !... C’est...on va tuer personne hein? C’est pas pour ça que je suis venue !...”

Je trébuche de nouveau, cette fois sur rien de particulier, pour tomber à genoux devant le leader du groupe, haletante et soudainement très lourde, épuisée, éreintée, alors que ma poussée d’adrénaline dû au combat précédent ne s’achève et que parler et devienne difficile:

“Est-ce que… est-ce qu’on peut faire une pause? Genre...juste… juste cinq minutes quoi…le temps de s’en remettre...”

J’écoute silencieusement les paroles de Shen, épuisée d’entendre ça. Mais bordel, je sais très bien que les humains font rarement des trucs pour la beauté du geste ! C’est juste que...merde…

Le lancier commence à partir, et je me relève difficilement, regardant mes armes d’un oeil vide. L’idée de prendre mes jambes à mon cou revient sur le devant de mon esprit. Franchement, qu’est ce que je fais là? J’suis pas différente des autres en fait. J’suis juste venue pour gagner de l’argent, rien de plus. J’ai pas signé pour tuer qui que ce soit, encore moins pour risquer ma peau si je garde pas un oeil sur mon propre groupe.

Une pression sur mon épaule me sort de mes pensées. C’est la main de Zeshin, qui me lance un sourire désolé avant de s’avancer pour rattraper le manieur de lance déjà rejoint par l’archère.

...C’est pas vrai...si j’les lache maintenant, je crois que je m’en souviendrais toute ma vie. Surtout si j’apprend derrière que ça s’est mal passé…

“Bordel !”

Je commence à me presser pour les rejoindre à mon tour.
Faut que je continue. Au moins jusqu’au bout de celui-là. Après… on verra. Mais maintenant que je suis ici je peux pas lâcher. C’est pas ma manière de faire.

On continue donc d’avancer dans la galerie, les gens forts du groupe s’assurant que les cadavres sur le chemin restent inanimés pour de bon, jusqu’à ce qu’Eri -toujours en éclaireur- revienne nous voir:

“Ils sont à une centaine de mètres devant, en train de se battre contre ce que je suppose être le boss. Ça a l’air d’être une créature svelte mais rapide… l’opposé total de celui qu’on a descendu plus tôt en somme.”

Il y a un court instant de silence, avant que la fatidique question ne soit posée:

“...Qu’est ce qu’on fait?”

Adossée à un mur pour reprendre mon souffle, j’écoute l’avis de Shen sur la situation. Ouais, tuer des gens ne m’enchante toujours pas, les laisser mourir non plus… ‘fin c’est vraiment pas ce à quoi je m’attendais à venir ici. Mais bon, maintenant que j’ai repris le contrôle de mes pensées… ouais, il a pas vraiment tort.

“Ça...ça me fait pas plaisir mais je crois que Shen a raison. Perso, je suis venue pour gagner un peu d’argent, rien de plus… Je suis pas une héroïne. Alors je sais pas si c’est la bonne décision, et franchement je sais même pas si y’en a vraiment une mais… je suis d’avis d’attendre aussi.”

Pis franchement, même s’ils s’en sortent… vu comment ils ont laissé leur pote derrière, aucun doute qu’ils feraient de même pour moi. Ou même en dehors du donjon, je vois bien ce guerrier aller me dénoncer ou essayer de me capturer juste dans l’espoir d’avoir une récompense…
Donc clairement le risque en vaut pas le coup.

Les autres membres du groupe semblent globalement neutre sur la question. Tout le monde a très bien vu le corps laissé derrière par ceux qui sont en train d’affronter seuls le boss actuellement. Eri et Zeshin acceptent donc silencieusement.

Une chose m’inquiète cependant:

“Par contre vous êtes sûrs que ça ira? ‘Fin, j’veux dire… c’est pas calibré pour dix éveillés ces machins? P’tet pour ça que eux galèrent… ça va aller d’être que cinq?”

C’est Shunko qui finit alors par se manifester:

“Écoutez, ils ont peut-être agit de manière inhumaine toute à l’heure… mais à les laisser mourir comme ça, nous ne serions pas meilleurs qu’eux. Et je pense que nous avons plus de chances de nous en sortir en les aidant, alors j’y vais !”

Et c’est sur ces mots qu’il se sépare de nous, se dirigeant vers le combat malgré les arguments avancés par le lancier.

Et merde...

Tandis que le lancier fait diversion, nous nous rassemblons rapidement avec les deux rescapés pour nous préparer rapidement. Ceux-ci semblent blessés, mais Zeshin s’occupe rapidement de traiter les plaies les plus graves. Je reconnais bien sûr le guerrier qui m’avait froidement accueillie toute à l’heure, accompagné d’un utilisateur de pistolets. Ces derniers semblent un peu surpris de nous voir arriver mais n’en disent pas mot.

Avec un nouveau tank accompagnant Shunko et un autre dps à distance se joignant à Eri, la formation est assez évidente. Les deux guerriers se ruent sur la créature pour intercepter ses coups sur Shen et détourner son attention du lancier bien entamé, tandis que les tireurs harcèlent l’agile boss de projectiles qu’elle ne peut pas tous éviter.

Ayant mis mon arbalète de poing à mon bras, j’essaye de profiter de l’attention que produit le reste de l’équipe pour me placer à quelques mètres derrière elle, tirant plusieurs projectiles sur le mort-vivant en visant ses jambes pour la ralentir -hé, on sait jamais, ça a peut-être des articulations?...-

Cela fonctionne plus ou moins, et malgré des débuts difficiles, le sous-nombre et le manque de confiance entre les deux équipes; on commence à prendre un début d’avantage. Enfin, jusqu’à ce que la créature décide de changer complètement de comportement.

La chose se décide soudainement d’ignorer les combattants au corps à corps, et avec une vitesse presque impossible à suivre à l’oeil nu s’attaque aux distances. Eri se fait renverser d’un coup d’épaule, le pistolero esquive de justesse un coup de griffes qui visait dangereusement son cou, et je suis la troisième…

Ayant pu voir le truc venir, j’arrive à me décaler intuitivement pour limiter les dégâts de la charge, mais cela n’empêche pas les puissantes griffes du boss de se planter dans mon épaule alors que je tombe par terre, me clouant ainsi littéralement au sol avec la créature au dessus de moi. Et pour couronner le tout, elle se met à pousser un cri strident… le genre de cri qui perce les tympans, fait tourner les têtes, et perdre l’équilibre, tout en appelant quelques zombies qui sortent de terre tout autour de nous.

Les choses se déroulent de manière très confuses. Le combat fait rage, des morts-vivants hurlent et se déplacent dans tous les sens alors que coups, sorts et projectiles volent partout sur le champ de bataille. Une odeur pestilentielle mélangeant chair morte, chair brûlée et sueur envahit les lieux souillés par les cadavres.

Et moi ben… je reste au sol comme une larve. Après l’agression, la douleur dans mon épaule envahissant toutes mes pensées et le cri les ayant tout bonnement éteintes, mon cerveau a décidé que c’était plus la peine de me relever. Même quand la situation finit par s’apaiser je peux rien faire d’autre que remarquer les bras qui me transportent, et constater d’un regard inerte que le lancier n’a pas l’air en meilleure forme.

Pour la suite, ben… je sais pas trop. J’me suis évanouie avant de voir le portail de sortie, ça c’est la seule chose sûre. Après, j’me suis réveillée à l’auberge du coin. Semble-t-il que le gérant ait bien voulu prêter des lits le temps qu’on se réveille… ‘fin même si je vois pas Shen, je suppose qu’il a fait pareil pour lui.

Je retrouve toutes mes affaires, auxquelles sont venues s’ajouter un petit sac de cristaux, comme quoi y’a au moins quelques personnes dans le groupe qui sont pas des rapiats… Enfin, je suppose que c’est pas l’autre guerrier qui m’a laissé ma part cela dit.

Et justement, par la fenêtre je le vois discuter avec des types qui ressemblent beaucoup trop à des policiers à mon goût. Du coup je crois qu’il est grand temps que je parte sans demander mon reste. Hop, je ramasse mon sac, trouve une autre fenêtre du côté opposé du bâtiment, et m’échappe comme une maîtresse qui fuit la maison de son amant.
Ouais, drôle de comparaison… mais avec tout ça j’ai pas dû retrouver toute ma tête.

J’me demande quand même si on se recroisera avec les gens du petit groupe… histoire de parler de ça comme d’une vieille histoire. M’enfin, ce sera probablement pas en donjon cette fois.

Car je risque pas d’y retourner de sitôt !